Intervention de Véronique Guillotin

Réunion du 4 juin 2020 à 14h30
Création de points d'accueil pour soins immédiats — Rejet d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Véronique GuillotinVéronique Guillotin :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord féliciter Élisabeth Doineau pour la qualité de son rapport et l’équilibre qu’elle a su trouver.

À peine un an après le vote de la loi Ma santé 2022 et alors que le Ségur de la santé se met tout juste en place, cette proposition de loi revêt pour certains un caractère presque anachronique. Nous sommes en effet nombreux à nous interroger sur le timing de cette proposition et sur son articulation avec les nouvelles organisations de soins. Toutefois, ayant pris connaissance de l’avis de notre rapporteure, ainsi que du vote unanime de l’Assemblée nationale, j’ai entrepris de sonder les professionnels de mon territoire afin de confirmer ou d’infirmer ce premier avis. Je dois dire que les retours ont été plutôt unanimes.

Sur le fond, les objectifs sont partagés : désengorger les urgences et offrir aux patients une plus grande lisibilité sur les possibilités d’accès à des soins immédiats. Néanmoins, certains éléments nous empêchent d’y voir une véritable plus-value. La raison principale réside dans l’organisation actuelle du système de soins. Si ce système est bien évidemment perfectible, nous devons reconnaître les efforts des professionnels de santé de ville pour s’adapter, dans un contexte difficile, aux réformes successives de ces dernières années, aux nouvelles organisations et aux nouveaux acronymes : PTS, PTA, CPTS, MSP, ESP… Je pense particulièrement aux maisons de santé pluriprofessionnelles et aux communautés professionnelles territoriales de santé, dont l’une des missions premières est bien l’amélioration de l’accès aux soins en ville, notamment aux soins non programmés.

Dès lors, que dire aux médecins qui se sont déjà organisés sur le terrain, et qui continuent de le faire, pour garantir un accès rapide à la médecine de ville pour tous ? Que nous créons un nouveau dispositif, un énième cahier des charges et de nouvelles exigences ? Quid des relations qu’ils ont nouées depuis des années avec leurs partenaires, comme SOS Médecins ou les plateaux techniques de leur territoire ?

Pour ma part, je suis convaincue qu’il est préférable de consolider l’existant, en confiant pleinement aux acteurs de terrain la responsabilité de mettre en place l’organisation nécessaire pour répondre aux soins dits immédiats, comme ils le font déjà sur de nombreux territoires. L’objectif doit surtout être de clarifier le rôle de chacun auprès des services de régulation et des patients pour orienter ceux-ci correctement, en allouant à ces structures des budgets supplémentaires et en incitant davantage les jeunes médecins à s’installer en zones sous-dotées.

Le plan Ma santé 2022 était ambitieux. Il a posé des bases, et il faut aujourd’hui accélérer sa concrétisation et son déploiement sur le terrain. En juillet 2019, nous avons voté la loi Santé : selon une récente communication, son taux d’application stagnerait encore à 30 % ; nous en attendons une mise en application pleine, entière et plus rapide.

Par ailleurs, des inquiétudes ont émergé quant au risque d’augmenter le recours aux soins, en labellisant des points d’accueil pour soins immédiats. Ces termes pourraient laisser entrevoir une forme de self-service de la santé dans une société où l’on demande toujours plus et toujours plus vite. En outre, on crée un intervenant supplémentaire et on risque de déroger au parcours de soins, dans lequel le médecin traitant joue un rôle central.

Depuis le début de la crise sanitaire, notamment pendant la période de confinement, nous avons assisté à une baisse significative du nombre de passages aux urgences et dans les cabinets médicaux. Si ces chiffres ont pu alerter sur de possibles dégradations de la santé des Français par un moindre recours aux soins, il confirme l’existence de passages inappropriés, notamment aux urgences – la Cour des comptes les a estimés à environ 3, 6 millions pour la seule année 2017. C’est pourquoi je suis convaincue que nous devrions plutôt profiter de cette période et des comportements adoptés pendant la crise pour aider les patients à mieux utiliser notre système de santé.

Enfin, des incertitudes demeurent sur la question des moyens. Si l’auteur de cette proposition de loi entrevoit, grâce à ces PASI, une baisse des dépenses de santé, certains d’entre nous, élus ou professionnels de santé, n’en sont pas convaincus. Au contraire, l’existence de telles structures pourrait conduire à une dilution des moyens existants, notamment humains, déjà très contraints. En effet, le manque de généralistes est criant dans certains territoires, et je crains que cette proposition de loi ne vienne porter un nouveau coup à la médecine de proximité, en polarisant les soins de premier recours autour des centres d’urgence de ville, que l’on imagine plus aisément s’installer en agglomération qu’en zone rurale.

Pour conclure, je dirai que tout le monde s’accorde sur les objectifs et que je souscris aux amendements de la rapporteure Élisabeth Doineau adoptés en commission, qui renforcent la cohérence des PASI avec l’offre de soins et le parcours santé et tentent de réaffirmer l’initiative première des acteurs du territoire dans la démarche de labellisation. Pour autant, je ne suis pas totalement convaincue qu’un nouvel outil réponde aux problématiques soulevées, en particulier dans le contexte du lancement du Ségur de la santé. Là où les organisations sont en place, là où les professionnels de terrain se coordonnent, le système fonctionne bien. Il faut donc accélérer les transformations en cours. Pour cela, un travail doit être mené, notamment sur les zones dites atones, c’est-à-dire là où les élus et les professionnels ont du mal à s’organiser. Une piste que vous pourriez reprendre pour le Ségur de la santé est de renforcer sur les territoires en difficulté une véritable ingénierie de projet.

Je terminerai en rappelant que la période que nous venons de vivre a consacré la pratique de la télémédecine comme alliée indispensable de notre système de santé. C’est avec ces outils, déjà existants, et non avec des échelons supplémentaires, que nous devons penser la santé de demain.

Pour toutes ces raisons, une majorité du groupe du RDSE s’abstiendra sur cette proposition de loi ; certains la voteront.

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