Intervention de Jean-François Husson

Réunion du 2 juin 2020 à 14h30
Soutien des entreprises victimes d'une menace ou d'une crise sanitaire majeure — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, dans cette France du 2 juin 2020 qui retrouve le goût et le plaisir de la liberté, j’ai l’honneur de présenter cet après-midi à notre Haute Assemblée un texte attendu et espéré : une forme de réponse à tous les chefs d’entreprise, qui, dans l’ensemble des territoires de notre République, ont appelé les pouvoirs publics à l’aide.

La crise sanitaire que nous avons connue et que nous connaissons encore a été d’une violence inouïe, sans précédent, par l’ampleur des victimes humaines qu’elle a causées et par le choc économique qu’elle provoque. Face à la vague épidémique, les mesures prises par les pouvoirs publics ont été inédites. Jamais dans notre histoire récente nous n’avions vu un pays si brutalement mis à l’arrêt – d’ailleurs, ce n’était pas seulement le pays ; cela a concerné près de la moitié de la planète –, et l’ensemble des établissements, à l’exception de quelques-uns nécessaires à la vie quotidienne, fermés sur décision administrative.

Cet arrêt brutal de l’économie a fort logiquement entraîné des pertes importantes, voire colossales pour les entreprises, subitement privées de demande alors que l’appareil productif se redressait depuis quelques années. Nos entreprises ont fait face à un effondrement de leurs marges et à une baisse de chiffre d’affaires sans précédent, quand elles n’étaient pas tout simplement privées de chiffre d’affaires, tout en devant honorer leurs charges. Des emplois sont aujourd’hui menacés et la hausse du chômage, rendue publique la semaine passée, est un sujet de préoccupation majeure.

Face à cette situation économique, la réaction logique des entreprises a été de se tourner vers leurs assureurs, pour pouvoir, à côté des mesures de soutien de l’État, bénéficier de leurs garanties. C’est notamment la garantie dite « pertes d’exploitation » qui était recherchée, ce qui était logique au regard des réalités constatées sur le terrain. Mais la garantie pertes d’exploitation ne permet d’indemniser les entreprises que lorsqu’il y a un dommage ; elle n’est que la conséquence attachée au risque garanti.

Cela a évidemment suscité une forme d’incompréhension, voire de colère – la presse s’en est fait l’écho –, créant une polémique.

Les compagnies d’assurance ont-elles bien réagi lorsque le problème a surgi ? Personnellement – mon sentiment est, me semble-t-il, partagé –, je ne le crois pas. Le temps de réaction a été trop long et il y a eu des erreurs de communication, des formes de prudence excessive ou des conservatismes qui ont alimenté des polémiques à mes yeux souvent justifiées. Il n’aurait pas été anormal d’avoir une réactivité plus forte, plus rapide, plus puissante, en allant – c’est ce qui s’est passé plus tard – jusqu’à la responsabilité extracontractuelle. Les assureurs auraient dû manifester immédiatement de l’intérêt et de la compréhension, et expliquer comment ils seraient aux côtés des Français et des entreprises.

Fallait-il pour autant ne rien faire ? Devait-on considérer que l’État devait payer, parce que c’est lui qui, il est vrai, a pris la décision de fermer administrativement un certain nombre d’activités économiques ? Fallait-il rester les bras ballants ? Personnellement, je ne partage pas cette vision défaitiste de l’action publique.

Comme nous avons souhaité le rappeler dans l’exposé des motifs de notre proposition de loi, des « obligations morales » s’imposent aux compagnies d’assurance, pour intervenir et soutenir les entreprises face à des événements exceptionnels, auxquels nous n’avions jamais été confrontés. Il y avait donc urgence à sortir de l’impasse en se hissant à la hauteur des enjeux : c’était une question de survie économique.

Cette crise a d’ailleurs permis de souligner le rôle et l’importance du politique et de la puissance publique. Nous aurions en effet manqué à nos responsabilités et, d’une certaine manière, à la confiance des Français si nous n’avions pas proposé rapidement de nouvelles solutions.

Une première réponse de court terme a été apportée par l’État, avec l’indemnisation du chômage partiel, extrêmement généreuse, et les reports de charges, bientôt transformés en annulations. Les nombreux chefs d’entreprise que j’ai eu l’occasion de rencontrer dans mon département m’ont témoigné de l’importance de ces mesures pour la survie de leur activité.

Mais, nous le savons – le débat a eu lieu –, de telles mesures ont un coût particulièrement important pour nos finances publiques et il n’est pas « philosophiquement » souhaitable que la totalité des dispositifs de soutien revienne à l’État. Avec mes collègues parlementaires Catherine Dumas et Vincent Segouin, et soutenus par plus de 150 des nôtres, nous avons jugé nécessaire de faire des propositions rapidement, au plus fort de la crise, pour brosser le contour de solutions nouvelles.

Nous l’avons bien senti, le modèle sur lequel la relation entre les compagnies d’assurance et les entreprises est construite ne pouvait pas fonctionner dans le cadre d’une crise d’une telle ampleur. Nous avons donc pensé qu’il fallait innover, en partant des besoins des entreprises et en instaurant un dialogue nourri avec les assureurs.

La proposition de loi que nous vous présentons a trois objectifs : tirer les leçons du passé en instaurant un nouveau dispositif garantissant un niveau de protection équivalent pour toutes les entreprises ; définir les responsabilités respectives des assurances, de l’État et des assurés pour éviter que ne se reproduisent les querelles actuelles ; présenter un partenariat nouveau et original associant l’État et les assureurs pour assurer conjointement et solidairement dans les faits la protection de nos entreprises contre les événements sanitaires exceptionnels.

En quelque sorte, nous avons cherché à créer un « paratonnerre économique » reposant sur la responsabilité partagée entre l’État et les assureurs.

Quatre principes fondent ce nouveau dispositif.

Premièrement, les assurances couvriront obligatoirement toutes les entreprises contre les événements sanitaires exceptionnels dès lors que ces dernières auront souscrit une assurance contre les garanties dommages. Je crois personnellement que la notion d’obligation est essentielle pour que la solidarité fonctionne ; d’ailleurs, les acteurs économiques de mon département n’ont pas manqué de le rappeler. Sans dimension obligatoire, il y a le risque d’une insuffisance de l’assiette des cotisants. Celles qui pourraient se permettre de s’en passer ne seraient plus dans la communauté d’intérêts des acteurs économiques.

Deuxièmement, le financement du risque est assuré par une cotisation additionnelle au contrat, qui permettrait de constituer des provisions pour les assurances. Elle viendrait abonder un fonds d’État, instaurant une forme de solidarité entre les assurances pour l’indemnisation des entreprises touchées. Notre proposition de loi prévoit pour ce fonds un abondement annuel minimal de 500 millions d’euros.

Troisièmement, l’indemnisation des entreprises est possible dès lors que les mesures prises pour lutter contre une crise sanitaire entraînent des pertes de chiffre d’affaires d’au moins 50 %.

Quatrièmement, pour indemniser les entreprises victimes de la crise, les assurances seraient aidées par le fonds d’État au prorata des indemnités à verser.

Nous avons aussi souhaité insérer des garde-fous.

D’abord, la garantie est réservée aux entreprises les plus en difficulté, avec une perte de chiffre d’affaires d’au moins 50 %.

Ensuite, l’indemnisation ne couvrirait que les charges fixes d’exploitation, l’État prenant à sa charge le chômage partiel. Les impôts et taxes en seraient aussi exclus.

En outre, l’indemnisation sera versée dans les trente jours.

Enfin, nous souhaitons confier à la Caisse centrale de réassurance la charge de gérer le fonds d’État. Instruits par d’autres expériences, nous voulons éviter que l’État ne vienne siphonner ce fonds quand il en ressentira l’envie ou le besoin. Nous souhaitons que les crédits du fonds soient en totalité dédiés à la couverture du risque pour lequel il est institué.

La proposition de loi, qui n’a pas vocation à tout régler, a été déposée le 16 avril, c’est-à-dire avant même que le Gouvernement ne mette en place son groupe de travail sur les risques exceptionnels. Elle vise à poser les fondations. C’est en quelque sorte la préfiguration des grands principes que le Sénat entend établir pour le nouveau dispositif, répondant à une attente forte des entreprises, quelle que soit leur taille ; PME, entreprises de taille moyenne (ETI), grandes entreprises, indépendants, agriculteurs… tout le monde est dans l’attente. Nous avons un rendez-vous à honorer avec les Français.

C’est peut-être la première pierre du grand plan de résilience que la France doit engager avec ses acteurs économiques. Nous n’avons pas le droit de les décevoir. Avec fierté, vigilance et humilité, nous devons donner le meilleur de nous-mêmes pour que ces principes fondateurs recueillent l’assentiment de notre Haute Assemblée.

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