Intervention de Julien Bargeton

Réunion du 2 juin 2020 à 14h30
Soutien des entreprises victimes d'une menace ou d'une crise sanitaire majeure — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Julien BargetonJulien Bargeton :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi met le doigt là où ça fait mal !

Nous avons vécu une crise inédite, et les risques de faillite ou de difficultés sérieuses pour certaines entreprises sont connus. Les pertes d’exploitation sont évaluées entre 50 et 60 milliards d’euros, même si le chiffre peut faire débat.

Dans cette crise, aux yeux des Français, les assureurs n’ont clairement pas été à la hauteur. Les avis sur les banques ne sont pas toujours plus reluisants – au début de la crise, des remarques ont été formulées au sein de la commission des finances sur la façon dont les prêts garantis étaient accordés –, mais la situation s’est globalement améliorée, en dépit de difficultés qui peuvent subsister ici ou là, notamment pour certains restaurateurs.

En revanche, les assureurs ont été décriés, peut-être en raison d’une certaine difficulté à tenir compte de la situation pour se dépasser et se lancer dans un embryon de responsabilité sociale et environnementale (RSE). Et nous voilà donc réunis aujourd’hui pour examiner une proposition de loi dont les dispositions ne sont au demeurant pas entièrement nouvelles.

Comme cela a été dit, les assureurs ont fini par réagir. Certains ont tenu compte de la diminution des dommages liés aux accidents de voiture. Pour autant, il a fallu la pression du Parlement, des députés comme des sénateurs – plusieurs amendements ont été votés dans cette enceinte –, et la mobilisation du Gouvernement – je veux notamment souligner le rôle de Bruno Le Maire – pour aboutir à une participation de 400 millions d’euros des assureurs dans un fonds.

C’est une première avancée, qui doit toutefois être complétée par un dispositif plus pérenne. Tel est précisément l’objet de ce texte, avec un double dispositif reposant à la fois sur l’État, au moyen d’un fonds, et sur les assureurs, au moyen d’une prime.

Un débat s’est engagé sur les critères de calcul – chiffre d’affaires, notamment – et je remercie le rapporteur pour son implication et ses propositions. Sur ce premier point, pourquoi ne pas avancer dans les discussions ?

Pour le reste, sans doute faudra-t-il aboutir à un dispositif proche de la proposition de Jean-François Husson, dont je salue l’implication ancienne sur ces sujets.

En revanche, il me semble qu’on veut aller un peu vite, poussé par une forme d’urgence. Je regrette que la commission des finances n’ait pas auditionné d’experts ou d’universitaires, d’autant qu’un groupe de travail, au sein duquel siègent notamment Jean-François Husson et Michel Raison, a été mis en place et a déjà tenu quatre réunions.

Peut-être faudrait-il attendre les propositions de ce comité pour pouvoir, toujours dans le courant de l’année 2020, bien entendu, s’entendre sur un dispositif plus abouti.

Dès 2015, dans une tribune, des assureurs se demandaient comment assurer un monde qui va se réchauffer de 2 à 4 degrés. Derrière ce sujet des pandémies, il y a aussi celui de la crise écologique. Comment assure-t-on le monde de demain ? En Californie, certains assureurs refusent déjà d’assurer le risque incendie. D’autres refusent d’assurer le risque inondation dans les zones qui connaissent une montée importante des eaux.

Une personne qui construit sa maison dans le respect des normes antisismiques subira des dommages moins importants que son voisin qui ne l’a pas fait, mais il est vraisemblable qu’elle paye la même prime que lui. Comment intégrer les efforts pour faire face à l’urgence écologique dans le calcul des assurances ? Alors que les assurances reposent sur un risque quantifiable, donc assurable et mutualisable, comment modéliser les pandémies, la pollution ou le réchauffement climatique ? Nous devons répondre à toutes ces interrogations qui nous attendent en même temps qu’à la question pertinente posée par Jean-François Husson. Quel est, au fond, le rôle des assureurs dans la transition écologique et climatique ?

Je ne voudrais pas non plus que l’on retombe dans les discussions que nous avons régulièrement à propos du fonds Barnier. J’entends notamment des critiques, de la part de personnes qui connaissent très bien le sujet, à chaque projet de loi de finances. Ce fonds n’est sans doute pas parfait dans son périmètre et sa conception, mais il représente une énorme avancée.

Nous discutons là d’une proposition de loi engageant quelque 500 millions d’euros, pour des pertes d’exploitation évaluées à 50 ou 60 milliards d’euros. Qui prend en charge l’écart ? Personne ne dit que les 50 milliards d’euros de pertes d’exploitation devront être intégralement compensés par les assureurs, sauf à fermer des assurances et à mettre aussi leurs employés au chômage.

L’État, pour sa part, a déjà injecté au moins 110 milliards d’euros dans les entreprises pendant cette crise.

L’équation est posée, mais elle ne me semble pas entièrement résolue à ce jour. S’il a fallu agir dans l’urgence pendant la crise, il faut aujourd’hui prendre le temps d’affiner nos réponses.

Notre groupe s’abstiendra donc sur cette proposition de loi. Nous partageons certes l’idée qui est sur la table, mais nous devons nous donner plus de temps, notamment pour mener des expertises approfondies.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion