Intervention de Catherine Dumas

Réunion du 2 juin 2020 à 14h30
Soutien des entreprises victimes d'une menace ou d'une crise sanitaire majeure — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Catherine DumasCatherine Dumas :

Monsieur le président, permettez-moi de prendre quelques instants, en préambule de mon intervention, pour m’étonner du passage très éphémère dans notre hémicycle de la secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie et des finances, qui nous a quittés au bout de trente minutes. J’avais cru comprendre que le ministre auquel elle est rattachée attache beaucoup d’importance au sujet que nous traitons aujourd’hui et je pense que les professionnels qui nous écoutent pourraient être surpris de cette attitude.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous vivons une période inédite de l’histoire de notre démocratie. Jamais un gouvernement n’avait décidé de stopper son économie et contraint sa population à se confiner et à renoncer à sa liberté de circulation.

Face au risque pandémique, la France a fait le choix de la quarantaine. Ce choix, inédit, d’un confinement général et non ciblé a imposé à un nombre considérable d’entreprises et de commerçants de fermer, les privant pendant deux mois de toute ressource financière.

Cette situation revêt un caractère encore plus prégnant à Paris, une des premières destinations touristiques mondiales où se concentre un grand nombre de commerces – je pense notamment aux restaurants. Cet épisode catastrophique pour le secteur touristique parisien et français en général vient s’ajouter à une succession dramatique, depuis plusieurs années, d’événements inédits dans leur ampleur et leur enchaînement et qui n’ont eu de cesse de malmener les restaurateurs, les hôteliers, les entreprises touristiques – je pense bien sûr aux attentats, aux « gilets jaunes » et, plus récemment, aux blocages dans les transports.

Dès lors, comment ne pas comprendre que ce désarroi ou ce désespoir se transforme en exaspération ou colère ?

Les professionnels se sont naturellement tournés vers leurs assurances pour que leurs pertes d’exploitation soient prises en charge. Leurs demandes ont souvent été refusées par les assureurs au motif que les pandémies n’étaient pas couvertes par les contrats d’assurance, y compris par les contrats multirisques. Cette réaction des sociétés d’assurance a provoqué, outre la colère des assurés, une interrogation légitime dans notre pays : à quoi servent les assurances si elles ne sont pas au rendez-vous quand une entreprise voit son activité compromise en raison d’un événement, dont elle n’est évidemment pas responsable ?

L’étonnement des acteurs concernés était d’autant plus grand que les pertes d’exploitation liées à une catastrophe naturelle sont couvertes. Il existe des assurances santé ou décès, des assurances pour couvrir un événement reporté ou annulé, des assurances facultatives contre le risque de pertes d’exploitation liées à une épidémie – au demeurant, cette dernière est rarement souscrite par les entreprises. Il n’y a pas d’assurance obligatoire spécifique contre les pandémies avec pertes d’exploitation totales ; rien de tel n’est prévu explicitement dans le code des assurances.

Il existe en réalité une différence importante entre une catastrophe sanitaire et une catastrophe naturelle. Cette dernière est directement responsable des dommages causés par un événement naturel imprévisible. Dans le cas d’une catastrophe sanitaire, ce n’est pas celle-ci qui entraîne directement des dommages, en l’espèce les pertes d’exploitation, mais c’est la décision administrative unilatérale de fermeture de l’entreprise pour limiter la propagation du virus.

Toutefois, le 22 mai 2020, le tribunal de commerce de Paris a condamné l’assureur Axa dans le cadre d’un procès l’opposant à un restaurateur, en rappelant que ce dernier avait souscrit, dans son assurance multirisques, une clause particulière qui prévoyait une indemnisation du préjudice constitué par les pertes d’exploitation résultant d’une fermeture administrative. Au même titre que la clause « meurtres ou suicides dans l’établissement », le tribunal a décidé que cette clause particulière s’appliquait dans le cas d’une fermeture administrative consécutive à un risque sanitaire.

Par ailleurs, sous la pression médiatique, plusieurs sociétés d’assurance ont accepté de prendre en charge une partie des pertes d’exploitation, sans que le contrat les y engage, dans une démarche extracontractuelle solidaire. Nous nous en félicitons.

Cependant, pour la plupart des entreprises, la couverture n’existe pas. La clause d’Axa concerne seulement 10 % des restaurateurs assurés. Il convient donc de créer un nouveau dispositif assurantiel.

La présente proposition de loi vise à préparer l’avenir et ne peut répondre directement à la situation actuelle de manière rétroactive. Néanmoins, ses auteurs, Jean-François Husson, Vincent Segouin et moi-même, estimons – nous l’avons précisé dans l’exposé des motifs – qu’il incombe au secteur des assurances un devoir moral d’intervention et de soutien pour compenser, autant que possible, les pertes financières des entreprises assurées.

Le dispositif que nous proposons consiste à créer une cotisation additionnelle des entreprises à leur contrat obligatoire de protection de leurs biens contre l’incendie afin de financer le risque de pertes d’exploitation en cas de menace ou de crise sanitaire grave. Cette nouvelle garantie assurantielle protégera l’ensemble des entreprises, y compris celles qui subissent des pertes financières indirectes, comme les hôtels qui n’ont pas été contraints de fermer par les autorités, mais qui se sont retrouvés vides, sur l’ensemble de notre territoire, à la suite du confinement de leur clientèle touristique et professionnelle.

Afin de limiter le coût de cette cotisation additionnelle pour les entreprises, nous créons un fonds d’aide à la garantie des pertes d’exploitation d’un minimum de 500 millions d’euros par an alimenté par un prélèvement obligatoire acquitté par les assureurs, dont le taux sera fixé chaque année par voie réglementaire et assis sur le produit des primes ou cotisations des contrats d’assurance des biens professionnels.

Les pertes d’exploitation seront donc prises en charge financièrement à la fois par les entreprises à travers les primes qu’elles acquitteront et par les assureurs eux-mêmes à travers un prélèvement.

Enfin, nous avons prévu que la Caisse centrale de réassurance puisse pratiquer des opérations de réassurance des pertes d’exploitation consécutives aux mesures prises en cas de menace ou de crise sanitaire grave avec la garantie de l’État, si jamais les assurances ne peuvent pas faire face financièrement.

Sous l’impulsion de son rapporteur, notre collègue Claude Nougein, dont je tiens à saluer la qualité d’écoute et la connaissance du dossier, la commission des finances a modifié plusieurs points du texte initial. Nous agréons ces modifications, qui visent avant tout à limiter le coût assurantiel pour les entreprises.

Ainsi, il a été décidé de supprimer la notion de pertes d’exploitation pour la remplacer par celle de charges fixes. En effet, la proposition de loi a pour objet non de sauvegarder les bénéfices, mais de sauver l’entreprise – cela a été dit plusieurs fois, mais je crois que c’est le message le plus important.

En ce qui concerne le personnel, les assurances n’ont pas besoin de couvrir quelque chose qui est déjà pris en compte par le dispositif de chômage partiel. Réduire le champ de la couverture permettra de limiter le montant de la cotisation additionnelle pour les entreprises. Cela permet également de supprimer la franchise pour les entreprises, puisque l’indemnisation sera calculée en fonction des coûts fixes.

Toujours dans l’objectif de limiter le coût de la prime pour les entreprises, la garantie ne s’appliquera que pour les événements sanitaires exceptionnels, et non pour toutes les menaces et crises sanitaires graves.

Enfin, dans le même objectif, le montant de la prime que les entreprises acquitteront sera encadré par voie réglementaire.

Par ailleurs, la commission a prévu quatre niveaux d’intervention en fonction de la gravité de la situation : en premier, l’assureur ; en deuxième, le réassureur ; en troisième, le fonds d’indemnisation créé par la présente proposition de loi ; en quatrième, l’État.

Ces modifications vont dans le bon sens. Nous espérons que le Sénat dans son ensemble, et d’une seule voix, mes chers collègues, soutiendra avec force ce texte afin de préserver à l’avenir nos entreprises et commerces de ce type de catastrophe et, s’agissant du secteur de la restauration, de leur permettre de continuer d’incarner l’art de vivre à la française, tellement apprécié dans le monde entier.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion