Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour la première fois depuis longtemps, effectivement, on peut penser que l'agriculture et les agriculteurs en France vont mieux. Les hausses de prix des matières premières agricoles ont rendu le sourire à nombre d'entre eux.
Le renversement brutal de la conjoncture a même surpris les experts ainsi que les responsables politiques nationaux et européens.
Globalement, les prix ont augmenté de 15, 9 % par rapport à octobre 2006. Je citerai, à titre d'exemples, les céréales - plus 61 % -, les fruits et légumes - plus 6, 1 % -, le lait - plus 6 % -, les oeufs - plus 39 % -, les produits animaux - plus 5, 5 %.
Dans le même temps, le prix des gros bovins enregistre une baisse de 1, 5 %, tandis que celui du porc dégringole et que celui des pommes de terre diminue de 16 %.
Cependant, il ne faut pas se laisser emporter par cette euphorie ambiante, car elle peut cacher des lendemains qui déchantent. Le bon sens paysan est emprunt de beaucoup de perplexité. La peur du feu de paille s'exprime au détour de multiples réflexions que vous ne devez pas ignorer, monsieur le ministre.
L'extension des surfaces cultivées en Europe, avec la suppression des jachères, ou en Amérique du Sud, pourrait très bien retourner la conjoncture très rapidement.
Il faut donc rappeler que les prix agricoles sont toujours en déphasage excessif, en positif comme en négatif, par rapport à la réalité de l'évolution de la production. Un faible déficit ou un faible excédent conduit toujours à des hausses ou à des baisses de prix plus fortes que la réalité du marché. Cela signifie que les prix agricoles sont, par nature, très volatils. L'exemple de l'évolution du prix du porc à la baisse le prouve amplement à l'heure actuelle.
Cela doit nous appeler à la prudence dans l'appréciation de la situation. Les renversements de conjoncture restent toujours imprévisibles, parce qu'ils sont liés structurellement aux aléas climatiques ; les mauvaises récoltes de céréales ces temps dernier, en Australie, en apportent une nouvelle fois la preuve.
De plus, ces hausses ont aussi un caractère spéculatif. Les fonds d'investissement dans le domaine agricole sont passés de 10 milliards d'euros en 2001 à 150 milliards d'euros en 2007. On sait bien, cependant, que ces fonds pourraient très rapidement se désengager si la conjoncture devenait moins favorable.
Le deuxième élément à apprécier est, en contrepartie, pour les agriculteurs, la hausse des coûts des intrants, de l'énergie, du matériel agricole, des engrais azotés - phosphate, potasse.
Ainsi, l'ammonitrate est passé de 200 euros la tonne à 248 euros la tonne, sans parler du prix du gazole, des pesticides ou de celui des aliments destinés au bétail, qui est passé de 165 euros la tonne en 2006 à 240 euros la tonne en 2007.
Tout cela vient contrebalancer la hausse des prix de vente des produits agricoles.
Par ailleurs, de nombreux agriculteurs pensent que ces hausses de revenus récentes viennent à peine compenser les baisses des années précédentes. Ils ont le sentiment, pour le moment, d'éponger les pertes des années difficiles et de se reconstituer une trésorerie.
Cette fragilité est encore accrue par la succession des crises sanitaires qui touchent l'élevage : ESB, fièvre aphteuse, grippe aviaire, peste porcine, fièvre catarrhale ovine et bovine.
L'extension géographique inexorable de la fièvre catarrhale, partie des départements du Nord et des Ardennes, pour atteindre aujourd'hui le Massif central, le Limousin, l'Auvergne et les Pyrénées-Atlantiques, a des conséquences financières désastreuses pour bon nombre d'élevages qui sont, par ailleurs, excellemment tenus.
Aujourd'hui, plus de 30 000 cas ont été relevés dans l'Union européenne.
La mortalité, les avortements s'accroissent. On note également une baisse de la production de lait de 30 % à 40 %, une diminution de la fertilité et des problèmes de commercialisation. Je peux en témoigner dans ma propre région du Nord-Pas-de-Calais, en particulier dans l'Avesnois, où un certain nombre d'élevages connaissent des conditions financières extrêmement difficiles du fait de cette crise.
Nous devons donc, monsieur le ministre, assurer une bonne maîtrise des mesures sanitaires, avec la désinsectisation et par la restriction intelligente des mouvements d'animaux agricoles. L'économie agricole liée à l'élevage ne doit pas être complètement paralysée ; il faut permettre des dérogations qui facilitent l'abattage des bêtes dans les abattoirs de proximité.
Il convient également d'améliorer encore la trésorerie de ces exploitants en facilitant les allégements de charges, ce qui a déjà été fait en partie, l'indemnisation des mortalités et la prise en charge de la sérologie de contrôle.
Il faut aussi obtenir de Bruxelles, monsieur le ministre -- et c'est peut-être là l'enjeu principal -, la création d'un fonds d'intervention pour les crises sanitaires.
Par ailleurs, il convient d'intervenir afin que soit rapidement élaboré un vaccin qui soit disponible au printemps 2008. Il faut espérer que la providence nous apportera, cet hiver, une longue période de gel intense qui permettrait d'éliminer cette maladie. Mais en ces temps de réchauffement climatique annoncé, j'ai peur que ce ne soit qu'un voeu pieux !
En conclusion, j'estime que ce serait une erreur de diminuer l'effort de la collectivité nationale en faveur de l'agriculture en prenant prétexte de la hausse des prix agricoles. Il convient de profiter de cette période pour fortifier les relations entre agriculture et environnement, et pour trouver un équilibre plus judicieux qui préserve le revenu des agriculteurs tout en favorisant l'effort vers de meilleures pratiques culturales et en cassant la tendance, parfois mal maîtrisée, à une intensivité excessive qui se justifie encore moins qu'auparavant.
Il nous faut donc garder le cap de la régulation et de l'encadrement des marchés agricoles, national et européen, et conserver les outils de régulation. Leur suppression, déjà en cours, est lourde de menaces pour l'avenir de notre agriculture. Ainsi, je me demande, par exemple en ce qui concerne la gestion de la betterave sucrière, si l'on ne regrettera pas, dans les années qui viennent, les diminutions de quotas et les fermetures d'usines, autant d'outils indispensables à cette industrie sucrière.
Toutes les réflexions actuelles sur la suppression éventuelle des quotas laitiers s'inscrivent dans cette démarche des néolibéraux, qui veulent tout déréglementer. Ce n'est pas acceptable, cela conduirait à la création d'énormes usines à lait et à la quasi-disparition des petits et des moyens éleveurs.
Assurer l'alimentation de la population de notre pays est un objectif stratégique de toute la nation, qui garantit notre indépendance. Maîtriser le marché reste une nécessité absolue de notre politique agricole. Comment accepter qu'aujourd'hui nous importions 500 000 tonnes de viande quand on nous dit que, demain, nous en importerons peut-être 1, 2 million de tonnes ?
Ma dernière réflexion personnelle s'inscrit aussi dans la vision que l'on peut avoir de l'agriculture dans les dix ou vingt ans qui viennent. La chute continue et permanente du nombre des agriculteurs a atteint un seuil qui me paraît dangereux.
Ce mouvement séculaire de concentration des exploitations, qui voyait les hectares libérés par des exploitants partis en retraite être repris par de jeunes exploitants qui y trouvaient un moyen de rentabiliser un matériel agricole de plus en plus performant mais aussi de plus en plus coûteux, a atteint, me semble-t-il, ses limites. Aujourd'hui, c'est l'existence même de l'agriculture qui est en péril.
La diminution du nombre des éleveurs fait que la France n'arrive même pas, actuellement, à tenir le quota laitier qui lui est annuellement attribué par l'Union européenne. Cela doit nous interpeller. La collecte du lait a affiché un repli de 1, 9 % par rapport à la même période de l'année dernière, et le déficit est estimé à 600 000 tonnes.
Je crois donc qu'il nous faut mieux prendre en compte l'impact des évolutions socioculturelles dans le monde agricole, et aider davantage les agriculteurs qui s'installent.