Intervention de Gérard Bailly

Réunion du 4 décembre 2007 à 15h10
Loi de finances pour 2008 — Compte d'affectation spéciale : développement agricole et rural

Photo de Gérard BaillyGérard Bailly :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits du ministère de l'agriculture traduisent la volonté du Gouvernement de maîtriser la dépense publique et de réduire les déficits.

Vous avez dû faire des choix difficiles, monsieur le ministre, nous en sommes bien conscients. Vos priorités vont à certains dispositifs comme l'enseignement et la recherche, la gestion des crises, la sécurité alimentaire ou les actions qui contribuent au développement d'une agriculture durable, choix pertinents dans le contexte du Grenelle de l'environnement.

Certes, la situation budgétaire est difficile et nous apprécions d'autant plus l'effort que vous avez consenti devant l'Assemblée nationale en accordant 5 millions d'euros supplémentaires pour l'installation des jeunes agriculteurs, le renouvellement des générations étant tout à fait prioritaire.

Il faut dire que le contexte est particulièrement nouveau, cette année, pour le monde agricole : aléas climatiques très importants, politique volontariste de développement des biocarburants, aux États-Unis entre autres, évolution de la demande et des habitudes alimentaires dans certains pays de la planète.

Le cumul de ces facteurs a fait flamber le cours des matières premières agricoles et, pour la première fois depuis vingt ans, les prix cessent de baisser. Nous assistons, en effet, à un renversement complet de tendance avec une hausse spectaculaire des prix des céréales ; je crois, à cet égard, que la suppression des jachères est une bonne chose.

Cependant, la situation est loin d'être la même pour toutes les productions. En tant que président du groupe d'études de l'élevage du Sénat, je ne peux qu'être sensible au fait que les exploitations d'élevage bovin, porcin, ovin et de volailles souffrent aujourd'hui de la hausse des prix des aliments du bétail, qui profite à certains agriculteurs mais en pénalise durement d'autres.

L'évolution désordonnée des prix des céréales crée de grandes difficultés pour ces éleveurs, mais aussi pour les producteurs laitiers, qui sont pénalisés également par la vente de leurs petits veaux. Ils subissent une baisse des prix de plus de moitié, due à la pression des engraisseurs qui ont vu le prix de la poudre de lait augmenter de plus de 70 %. Les producteurs de fromages, eux, n'ont pas encore perçu la hausse du prix du lait.

Tout cela contribue à des disparités croissantes de revenus entre agriculteurs. J'ajouterai - dans la prolongation du discours du Président de la République à Rennes, en septembre dernier - que nous sommes particulièrement attentifs à la réforme de la loi Galland, préparée par Luc Chatel, et au cadre spécifique réservé aux produits agricoles, afin que les agriculteurs bénéficient d'une juste rémunération.

Les revenus de ces éleveurs vont subir de très fortes baisses occasionnées par la hausse du coût de l'alimentation complémentaire - non produite dans les zones de plateaux et de montagne, et qu'il faut acheter -, celle des prix de l'énergie et le prix de vente catastrophique des veaux.

Monsieur le ministre, je veux attirer votre attention sur ce sujet auquel, j'en suis sûr, vous devez être déjà sensibilisé par les éleveurs de votre département et de votre région. Il est indispensable que le montant de l'indemnité compensatrice de handicaps naturels, l'ICHN, soit relevée dans les meilleurs délais.

Vous avez fait un effort afin de résorber les dossiers en attente - plus de 8 000 - pour la modernisation des bâtiments d'élevage et nous apprécions les 29 millions d'euros supplémentaires consentis par l'État, ainsi que le déblocage des crédits communautaires. Il fallait répondre à l'engorgement actuel, mais il est aussi impératif d'allouer les crédits de paiement nécessaires au programme de maîtrise des pollutions d'origine agricole, le PMPOA, répondant ainsi aux objectifs environnementaux des élevages.

Je veux évoquer aussi l'inquiétude des éleveurs touchés par les crises sanitaires qui s'ajoutent aux crises structurelles ou conjoncturelles : vache folle, grippe aviaire, fièvre aphteuse et, maintenant, fièvre catarrhale ovine. Ces crises se multiplient, entraînant de graves conséquences sur les revenus et les courants économiques : produits vétérinaires à acheter, analyses à effectuer, etc.

Le développement de la fièvre catarrhale touche aussi, vous le savez, la filière bovine, qui a connu de grosses difficultés de commercialisation des animaux. C'est notamment le cas pour les broutards français. S'ajoutent des pertes financières, résultant des baisses de production de lait et de viande dues aux avortements et à l'infertilité, qui sont encore difficilement évaluables et ne seront pas prises en charge.

Je sais, monsieur le ministre, que vous avez tout mis en oeuvre afin qu'un vaccin soit disponible l'an prochain. Mais les crédits que vous prévoyez pour 2008 seront-ils suffisants pour faire face aux frais des campagnes de vaccination, d'autant plus que le développement de cette maladie risque de s'étendre à tout notre pays et de conduire à indemniser des éleveurs en grande difficulté ?

C'est sans conteste dans la filière ovine que le problème est le plus grave, car le développement de la FCO fait peser sur elle une menace supplémentaire alors que sa situation structurelle est déjà très préoccupante. Chargé en ce moment même, avec mon collègue des Hautes-Pyrénées, François Fortassin, d'une mission sur l'élevage ovin, j'ai pu me rendre compte, au cours de nos déplacements sur les territoires concernés, de la grande détresse de ces éleveurs - principalement, dans les massifs - qui se sentent abandonnés face à leurs problèmes et dont les revenus sont les plus faibles du secteur agricole.

Les cheptels ovins diminuent rapidement, puisque nous sommes passés de 12, 8 millions de têtes en 1990 à 8, 4 millions aujourd'hui. De ce fait, nous ne couvrons que 45 % des besoins de notre marché national. Notre collègue Dominique Mortemousque m'a demandé de vous signaler qu'il ne reste plus que 54 000 brebis en Dordogne, alors qu'on en comptait encore 100 000 il y a dix ans. La filière, avec son indication géographique protégée « agneau du Périgord », est en réel péril. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres, mais la situation est plus dramatique encore en montagne où il n'existe qu'un palliatif : la friche.

Je sais, monsieur le ministre, que vous êtes très conscient de ce problème, puisque, dans un contexte difficile, vous avez arrêté des mesures d'urgence : prise en charge des intérêts d'emprunt pour les éleveurs les plus vulnérables, report sur la prise en charge des cotisations sociales et aide de minimis complémentaire.

Mais, pour survivre, la profession a réellement besoin de mesures structurelles. Mon collègue François Fortassin et moi-même nous emploierons à vous présenter, dans quelques semaines, des propositions concrètes. Au titre de ces urgences, il convient de renforcer très vite ces productions grâce à une augmentation très significative des aides de la PAC, si nous ne voulons pas que se poursuive l'hémorragie des troupeaux ovins dans nos montagnes et dans les zones difficiles.

Par ailleurs, la présence de prédateurs conduit les éleveurs à une véritable révolte. C'est pourquoi j'ai proposé, avec quinze de mes collègues, un amendement visant à amputer de 3 millions d'euros les crédits destinés au maintien ou à la réintroduction des prédateurs. J'aurais souhaité, monsieur le ministre, que cette somme puisse être réaffectée au soutien au pastoralisme et à la filière ovine, à laquelle il est important d'adresser un signal.

Même s'il est très peu développé dans mon département, je tiens à mettre en garde contre la disparition de l'élevage ovin, qui aurait des conséquences bien plus graves pour l'environnement et serait bien pire que « l'absence de présence » du loup ou de l'ours. Il faut choisir : « Prédateurs et pastoralisme : priorité à l'homme », comme l'écrivait Christian Estrosi dans son rapport rendu en mai 2003, au nom de la commission d'enquête constituée par l'Assemblée nationale.

Il convient, très vite, de lutter contre la disparition de la production ovine - respectueuse de l'environnement, soulignons-le -, qui contribue tant à structurer nos territoires agricoles et à entretenir ceux de montagne.

Vous déclariez il y a peu, monsieur le ministre, à propos des pistes d'aménagement de la PAC que la Commission européenne vient de présenter, que vous souhaitiez que le redéploiement des aides ne se fasse pas uniquement en faveur des questions environnementales, mais s'effectue au profit d'une activité de production dynamique dans les territoires, plus encore aujourd'hui qu'hier, compte tenu des besoins des marchés mondiaux. Vous citiez, parmi les affectations possibles, la production laitière en montagne, le soutien à l'élevage, ovin notamment, et l'agriculture biologique.

Bien que j'approuve tout à fait vos orientations, je tiens néanmoins à vous alerter sur les dangers du découplage que souhaitent certains pays. J'aimerais avoir votre sentiment sur ce sujet. Prenons garde de primer sans être obligés de produire, surtout maintenant que nos marchés sont porteurs ! C'est ce qu'attendent nos filières agroalimentaires créatrices d'emplois dans nos territoires ruraux.

Pour l'heure, monsieur le ministre, je soutiens votre budget. Mais permettez-moi de vous dire, comme d'autres collègues ici présents, que les agriculteurs retraités attendent avec impatience la revalorisation de leurs retraites, qui doit être une priorité dans les prochains budgets.

En outre, soyons vigilants, car sans une hausse de leurs revenus, nous verrons se reconvertir bon nombre d'éleveurs vers les grandes cultures, moins exigeantes en termes de présence, et ce dans toutes les régions propices.

Monsieur le ministre, votre expérience européenne nous réjouit dans la perspective du grand rendez-vous du second semestre de 2008. Vous y jouerez un rôle très important. Soyez assuré de notre collaboration. Vous serez une chance pour notre pays et, comme vous l'avez dit ce matin, pour « le grand retour de l'agriculture ».

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