Intervention de Mariya Gabriel

Commission des affaires européennes — Réunion du 4 juin 2020 : 1ère réunion
Recherche — Audition de Mme Mariya Gabriel commissaire européenne en charge de l'innovation de la recherche de la culture de l'éducation et de la jeunesse par téléconférence

Mariya Gabriel, de la culture, de l'éducation et de la jeunesse :

Comment réduire les obstacles à la coopération entre nos chercheurs ? Ceux-ci doivent partager réellement leurs données sur la plateforme européenne prévue à cet effet. Les résultats obtenus par des projets financés sur fonds européens doivent être accessibles à tous sous trente jours, notamment pour que nos entrepreneurs en tirent profit. Il faut aussi continuer à renforcer les infrastructures de recherche, tout en popularisant ce que nous avons déjà fait. Ainsi, du projet Transvac, que nous finançons à hauteur de 20 millions d'euros, et qui offre gratuitement des services pour le développement de vaccins : tous les chercheurs européens connaissent-ils son existence ? De même, l'Ecrin - European Clinical Research Infrastructure Network - offre un soutien méthodologique pour la mise en place d'essais. Même remarque sur le projet Prepare - Platform foR European Preparedness Against (Re-)emerging Epidemics -, opérationnel depuis 2014 et qui a reçu 24 millions d'euros, et le projet European Virus Archives (EVA), dans lequel l'Europe aura investi 32 millions d'euros jusqu'en 2023 et qui a déjà donné suite à plus de 2 200 demandes venant de quatre-vingts pays. Avant de monter en puissance, nous devons faire connaître ce que nous avons fait et le rendre accessible.

J'aimerais aussi que se développent des synergies. La crise a révélé de grandes capacités de coordination, qui doivent continuer à unir les piliers du programme « Horizon Europe ». La recherche fondamentale, par exemple, doit contribuer à la mission contre le cancer, par exemple, ou aux partenariats public-privé (PPP). Lorsque le Conseil européen de l'innovation identifie une entreprise prometteuse, il n'est pas normal que celle-ci n'ait pas accès à un consortium préétabli et bien financé, pour l'aider à passer à l'échelle supérieure. Le mot « synergie » a été beaucoup prononcé ces dernières années ; je travaille beaucoup à le mettre en oeuvre dans la réalité. Pour cela, il faut développer la confiance entre les acteurs.

Je ne perds jamais de vue la question de l'illectronisme, notamment dans les zones rurales. Je vais lancer une initiative nommée Connectivity For Schools, similaire à ce que nous avons fait avec WiFi For EU, dont nous pouvons être fiers : avant de travailler sur les compétences numériques, il faut garantir une bonne connexion. Nous allons ouvrir la consultation publique ce mois-ci. N'hésitez pas à y participer, pour que l'on retrouve vos idées dans le plan d'action pour l'éducation numérique que je présenterai en septembre.

Quels critères de sélection des projets ? C'est un comité indépendant qui sélectionne. Il faut des projets prometteurs et qui peuvent être mis en oeuvre rapidement : nous avons ajouté le dix-huitième projet un mois après les dix-sept autres, et l'entreprise irlandaise concernée est la première à nous donner un résultat... Je veille à ce qu'on prenne en considération l'équilibre démographique, ce qui est indispensable pour travailler ensemble et ne pas reproduire dans nos politiques les fractures actuelles.

Et je veux aussi davantage de femmes dans la science et l'innovation. Au premier appel à projets du Conseil européen de l'innovation, seuls 8 % des projets retenus étaient portés par des femmes ! Ce n'est pas acceptable. Aussi avons-nous décidé, pour donner confiance aux femmes, de garantir que 25 % des candidats accédant à l'étape de l'entretien soient des femmes.

Je souhaite travailler davantage avec les régions sur les Seals of Excellence, que nous octroyons aux projets qui ont manqué de peu le financement : ces sceaux constituent une garantie européenne de qualité. La procédure de notification fait qu'ils sont souvent considérés comme une aide d'État. Je souhaite qu'on s'en dispense.

Nous allons aussi lancer une campagne d'information intitulée « La science à la rencontre des régions », car la confiance en la science décroît. Nous montrerons l'attractivité de la science européenne, pour attirer des jeunes et construire des partenariats, notamment avec les fonds de cohésion.

Il faut diffuser les bons exemples dans toute l'Europe. Certaines régions ont superbement utilisé le Fonds social européen (FSE) pour renforcer les compétences numériques des enseignants, par exemple. Le Fonds européen de développement régional (Feder) peut financer l'infrastructure d'un centre d'excellence payé par le programme « Horizon Europe », aussi. Dernier exemple : l'Institut européen d'innovation et de technologie doit réformer son fonctionnement : le kick-off digital fonctionne depuis plus de dix ans, et il n'y a que cinq centres de colocation en Europe ! Il faut que cet institut travaille mieux avec les régions, en offrant des formations au niveau local.

Vous évoquez la souveraineté scientifique. Pour la première fois, notamment grâce au Parlement européen, la défense des intérêts européens primerait. Le principe de réciprocité se double désormais, je l'ai dit, d'une volonté, d'être ouvert autant que possible, mais fermé autant que nécessaire. Cela pose la question de la relation avec la Chine. Nous devons nous pencher sur les droits de propriété intellectuelle et la réciprocité de l'accès aux financements publics, par exemple en termes de programmes de recherche ou de bourses. Il est temps aussi de cesser d'octroyer le même accès à tous dans nos programmes liés à Horizon Europe. Allons-nous donner à des pays tiers accès au Conseil européen de l'innovation ? Nous pourrions classer les niveaux d'accès par pilier. Notre budget au service de l'innovation est de 10 milliards d'euros sur sept ans, ce qui est peu par rapport à d'autres zones géographiques. Si nous voulons qu'il ait un impact, il faut le réserver aux entreprises européennes.

Le rôle des universités relève largement des États membres, certes, mais l'initiative que nous avons lancée est dotée d'un budget de 400 millions d'euros. Nous souhaitons développer des actions en la matière au niveau régional.

Pour les fonds structurels, la possibilité que vous évoquez existe. Reste à la populariser. Au début de la crise, nous avons rendu plus flexible leur utilisation. Or, tous les ministres de l'éducation ne sont pas au courant des possibilités actuelles. C'est pourquoi j'ai créé une plateforme pour que les États membres échangent leurs bonnes pratiques. Tous n'y ont pas encore eu recours. Je ferai en sorte de diffuser au maximum ces informations.

Pour les applications accompagnant la lutte contre la pandémie, l'interopérabilité reste notre grand défi, faute de confiance entre États membres, et entre citoyens. Le RGPD est pourtant respecté, mais il prévoit des exceptions en cas de crise sanitaire. Malheureusement, les États membres se focalisent sur la nature (centralisée ou non) du dispositif. Or il y a trois conditions pour sortir de la crise : reflux de l'épidémie, capacités suffisantes des systèmes de santé, et moyens permettant de suivre l'évolution de la situation.

La reconnaissance des diplômes, on en parlait déjà quand j'étais étudiante ! Je souhaite que les alliances universitaires européennes, qui suscitent beaucoup d'enthousiasme, n'attendent pas 2024 pour régler cette question, comme celle du statut de l'université ou la carte électronique d'étudiant : c'est pour faire ce travail, entre autres, que nous les finançons, à hauteur de 5 millions d'euros chacune. Nous voulons de véritables campus européens, où les étudiants passent chaque semestre dans un pays différent. Pour cela, il faudra traiter ces difficultés. Je le dirai aux 41 alliances, lorsque je les verrai en septembre. J'ai prévu un projet-pilote garantissant 2 millions d'euros par alliance pour y intégrer la dimension R&I.

Vous l'avez dit, nous sommes passés d'un projet d'enveloppe budgétaire de 14,4 à 13,2 milliards d'euros pour l'espace. Comme nous ne pourrons pas investir dans tout, il faudra le faire de manière stratégique. Sur ce point, M. Breton est d'accord avec moi. Déjà, nous pourrions mieux utiliser les données que nous avons, et parler davantage de nos réalisations, comme Copernicus et Galileo.

Je travaille continûment sur les fausses nouvelles. Je fais partie, avec M. Borell et la vice-présidente Jourovà, du groupe sur la désinformation, qui présentera la semaine prochaine une communication. Dans le cadre de mon portefeuille, je vais poursuivre le travail. Il faut un réseau européen de vérificateurs de contenus. Surtout, la désinformation sera un point principal du plan d'action pour l'éducation numérique. Jeunes et enseignants doivent proposer des moyens de la combattre par l'éducation. Et nous continuerons la campagne « A Safer Internet for EU », déjà rejointe par 11 millions de citoyens européens. J'ai constaté que les jeunes ont tendance à croire les jeunes : un enfant en primaire croit davantage un jeune en terminale qu'un commissaire européen comme moi ! Les ambassadeurs de cette campagne doivent donc être des jeunes.

Il faut aussi créer une grande plateforme européenne pour héberger des cours en ligne massifs (MOOCs): des cinq plus grosses actuellement, aucune n'est européenne ! Dans le nouveau programme Erasmus+, je proposerai des académies européennes d'enseignants. La désinformation y sera évidemment abordée.

J'ai participé à toute la négociation et aux trilogues pour le règlement du problème du géo-blocage. Pour le contenu audiovisuel, il y aura une révision deux ans après la mise en oeuvre. Il faudra sans doute hausser le ton pour savoir si l'étude d'impact a été faite. Au moment des négociations, tout n'a pas pu être inclus dans le texte, car ce sont des sujets sensibles pour certains États membres.

Sur les vaccins, les entreprises européennes ne sont pas en concurrence. Si j'ai soutenu la société CureVac, qui m'a appelée à l'aide, c'est uniquement parce que c'est une entreprise européenne. J'aurais fait la même chose pour toute entreprise européenne, et, avec la Banque européenne d'investissement (BEI), nous avons déjà soutenu des dizaines d'entreprises depuis le début de la crise. Nous sommes très bien positionnés sur le vaccin, avec deux des cinq premières entreprises au monde, dont l'une a commencé ses essais cliniques, qui passeront en phase 2 et 3 dès juillet. Ce qui m'inquiète n'est pas le développement du vaccin, mais sa production et sa distribution. Il va falloir anticiper : pour le moment, nous n'avons pas de capacités suffisantes de production. Et nous ne savons pas s'il faudra une chaîne de production chaude ou froide. Le marathon des donateurs organisé à l'initiative de la présidente de la Commission européenne nous a donné les moyens d'intervenir lorsqu'arrivera la phase de production, en août ou septembre - merci, d'ailleurs, pour l'importante contribution française ! La coalition pour l'innovation dans la recherche gèrera la partie consacrée au vaccin, mais je souhaite - et nous contribuons à hauteur de 1,2 milliard d'euros - que nous soutenions surtout nos entreprises. En tout cas, nous devrons identifier rapidement les projets les plus prometteurs. Quant à la distribution, l'Union européenne a affirmé clairement que l'accès devrait être universel. Mais nous devons rassurer les entreprises sur le fait qu'elles conserveront leur indépendance financière le moment venu.

Les jeunes sont très durement touchés par la crise, qui affecte leur accès au marché de l'emploi. La garantie jeunesse sera renforcée par le commissaire Schmit, je m'en réjouis. L'investissement dans la jeunesse doit faire l'objet d'un effort supplémentaire de la part des États membres. Dans le cadre du programme Erasmus+, comme la mobilité ne reviendra pas tout de suite, nous renforçons ce que l'on appelle la « blended mobility ». Il y avait 16 500 étudiants Erasmus hors de chez eux au début de la crise. Pour les programmes de longue durée, près de 70 % ont interrompu leur mobilité, et 30 % l'ont continuée en ligne. Pour la courte durée, ces chiffres sont de 60 % et 40 %. Nous avons appliqué la clause de force majeure : les étudiants ne perdent pas leur mobilité, ils peuvent la reporter jusqu'à dix-huit mois, et nous prendrons en charge les coûts supplémentaires.

Le patrimoine culturel me tient à coeur, comme je l'ai rappelé le jour de l'Europe. La culture est notre ADN : c'est le pont entre le passé et le futur, qui doit nous éviter de reproduire les erreurs de jadis. Une réunion est prévue la semaine prochaine avec le groupe d'experts sur l'héritage culturel que nous avons formé. Je lui demanderai de se pencher sur la sortie de crise.

Je me réjouis que ma demande de voir le tourisme culturel faire partie du paquet sur le tourisme ait été entendue. Presque 40 % du tourisme en Europe est culturel. Les trois quarts des Européens choisissent leur destination de vacances en fonction des monuments historiques, et six des dix musées les plus visités du monde sont en Europe. Ce secteur peut nous aider à sortir de la crise. Nous allons lancer une campagne incitant nos concitoyens à passer cet été en Europe, pour découvrir toutes les merveilles qui sont autour de nous, et que l'application Cultural gems signale. Le programme « Discover EU » aide les jeunes à voyager. Je souhaite le focaliser sur les richesses culturelles européennes, en l'assortissant d'accès gratuits aux musées et évènements culturels régionaux. Le budget d'Europe créative est restreint. Le programme « Horizon Europe » peut lui donner de nouvelles perspectives. Le 26 juin, je tiendrai une grande conférence pour fixer les prochaines priorités européennes dans le secteur culturel. Et, même si je ne suis plus chargée du numérique, je continue à suivre l'avancée de la taxation des Gafam - Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft - et la question de l'article 17 de la directive sur les droits d'auteur. La culture doit être une priorité européenne majeure.

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