C'est un plaisir et un honneur pour moi d'être aujourd'hui devant votre commission pour cette audition, initialement prévue début mars. Sont présents ici avec moi Dominique Antoine, conseiller maître, et Laurence Haguet, vérificatrice. Les deux piliers de l'enquête, Adeline Baldacchino et Claude Lion, conseillers référendaires, suivent la réunion en téléconférence.
Je vous remercie de nous avoir donné ce sujet à traiter, qui nous a permis de faire un inventaire des relations du MEAE avec 12 entités, dont toutes ne sont pas des opérateurs au sens de la LOLF. Nous avons défini ce périmètre à la suite d'échanges avec les rapporteurs spéciaux, et une lettre du Premier président du 29 mars 2019 a précisé le champ de l'enquête.
Je le rappelle, 4 opérateurs relèvent directement du programme 185 « Action extérieure de l'État » : l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), l'Institut français, Campus France et Atout France. Le ministère participe, conjointement avec d'autres ministères, à la gouvernance des 8 autres entités : l'Agence française de développement (AFD), en cotutelle avec les finances et les outre-mer, Business France et Expertise France en cotutelle avec les finances, France Volontaires, en association avec l'agriculture et l'éducation nationale, le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et l'Institut de recherche pour le développement (IRD) en cotutelle avec l'enseignement supérieur, et enfin Canal France International et France Médias Monde en cotutelle avec la culture.
Nous avons étudié le sujet au travers de deux prismes : comment est organisé le ministère pour dialoguer et travailler avec ces « opérateurs » au sens large, y compris ceux qui ne sont pas formellement des opérateurs ? Les fils qui relient ces opérateurs au MEAE convergent vers la direction générale de la mondialisation (DGM), dont le directeur est ici présent. Les trois champs d'intervention sont la culture, le développement et l'action économique extérieure.
Nous avons laissé de côté, en accord avec les rapporteurs spéciaux, les modalités techniques d'exercice de la tutelle, pour nous concentrer sur la fonction d'orientation stratégique du ministère et l'articulation des missions des opérateurs avec l'action extérieure de la France. Nous avons examiné si les priorités de ces derniers étaient bien en adéquation avec les priorités politiques et géographiques du ministère, si les objectifs stratégiques définis par le MEAE étaient convenablement reflétés dans les conventions d'objectifs et de moyens ou de performance des opérateurs et quelle était la qualité du suivi de ces orientations par le ministère. Un volet particulier a été réservé à la coordination locale par les postes au sein des ambassades.
En ce qui concerne la méthodologie, nous avions fort heureusement contrôlé récemment certains de ces opérateurs : l'AEFE, l'AFD, ainsi que la DGM elle-même. Par conséquent, nous avions déjà des informations. Nous avons procédé à des enquêtes sur pièces, mais également sur place, dans deux postes diplomatiques. Nous en avons tiré des constats transversaux et des observations propres à chacun des opérateurs.
Les constats transversaux se déclinent en trois séries d'observations.
D'abord, nous avons dressé un inventaire des différents outils qui servent au pilotage stratégique des opérateurs, sur la base des directives de 2010 et 2015 du Premier ministre. Ils comprennent des conventions d'objectifs et de moyens, des lettres de missions et d'objectifs, des évaluations, etc. On constate une tension entre l'utilisation parfois minutieuse de ces instruments, qui tend à obérer la liberté de gestion des opérateurs, et la capacité d'influence au fond du MEAE, qui n'est pas toujours aussi exacte et articulée avec ses objectifs généraux qu'on pourrait le souhaiter. Aux instruments prévus par les circulaires du Premier ministre s'ajoutent des documents d'orientation, des stratégies sectorielles, des rapports, des discours de politique étrangère - en la matière, le rôle du Président de la République s'exerce parfois par ce biais -, et de simples courriers. Bref, un ensemble de documents qui nous paraissent devoir être rationalisés et faire l'objet d'une formalisation plus synthétique et régulière. Certains des documents les plus formels, comme les conventions d'objectifs et de moyens, tardent à être conclus dans les délais prescrits.
À la suite de l'instruction du Premier ministre en 2015, le ministère a lancé un plan d'action de renforcement de la tutelle comprenant la mise en place d'un comité des opérateurs, qui ne s'est réuni qu'une fois en octobre 2016. Il faut relancer cet effort.
Ensuite, nous avons constaté que les choses se passaient mieux au niveau local, pour ce que nous en avons vu dans les deux postes visités et au travers des nombreux contacts que nous avons eus avec les chefs de poste et l'ensemble des directions des opérateurs. Les ambassadeurs ont des instruments juridiques, des moyens d'action, des documents sur lesquels ils peuvent s'appuyer pour coordonner l'action de leurs opérateurs.
Le ministère doit avoir des instruments propres qui puissent être articulés avec ceux des opérateurs. Dans le champ du développement, nous avons relevé, avec un peu d'alarme, la difficulté - due à la baisse des crédits - à mobiliser les fonds de solidarité pour les projets innovants (FSPI) et les crédits d'intervention des services de coopération et d'action culturelle (SCAC).
Enfin, le troisième constat touche à l'interministérialité. En cas de tutelle conjointe des ministères concernés, les feuilles de route gagneraient à être davantage articulées.
Je veux évoquer les ressources humaines de la DGM : elles ne nous paraissent pas à la hauteur des objectifs qui lui sont assignés, spécialement dans le champ de la tutelle. La majorité des 380 emplois de la DGM sont en CDD, ce qui pose un problème de fuite d'un certain nombre d'agents chargés de la tutelle vers les opérateurs, dont certains offrent des positions beaucoup plus attractives. Parmi nos recommandations générales, nous proposons d'accentuer le professionnalisme des fonctions liées à l'exercice de la tutelle, de veiller aux problèmes de déontologie, de définir des orientations sectorielles dans des documents de politique publique de référence et de revenir au plan d'action de 2015 sur la tutelle des opérateurs.
Nous avons ensuite dressé des constats concernant chacun des opérateurs, lesquels ont été regroupés en trois secteurs correspondant aux strates successives de compétences du ministère.
La première strate est celle de l'action culturelle et de l'enseignement à l'étranger : la deuxième, la coopération depuis la fusion avec le ministère de la coopération en 1998 ; et la troisième résulte de la dévolution en 2012 de responsabilités accrues au ministère dans le champ de l'action économique extérieure.
Je n'énumérerai pas toutes les recommandations relatives à ces 12 opérateurs, mais me permettrai d'attirer l'attention de votre commission sur les organismes pour lesquels la situation est plus sensible.
Dans le champ de l'action culturelle, nous observons que depuis qu'a été interrompue l'expérimentation du rapprochement des instituts français avec l'Institut de Paris, le champ d'activité de ce dernier est en décalage avec les dispositions du décret de 2010 le régissant. Tous les instruments d'orientation ne sont pas utilisés, notamment le comité d'orientation stratégique, qui ne se réunit plus. Une redéfinition du rôle de l'Institut français doit être opérée.
S'agissant de l'AEFE, un objectif très important lui a été assigné par le Président de la République : le doublement des élèves scolarisés d'ici à 2030. Aussi faut-il d'urgence renouveler le contrat d'objectifs et de moyens de l'agence.
En ce qui concerne l'audiovisuel extérieur, le transfert de la tutelle au ministère de la culture laisse ce secteur quelque peu en déshérence du point de vue des orientations stratégiques. L'aspect international a toujours été un volet secondaire de l'action audiovisuelle extérieure suivie par la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) du ministère de la culture. Le ministère des affaires étrangères, qui ne contribue plus financièrement à ce secteur, a été remplacé dans ses fonctions par une administration dont la priorité n'est pas l'audiovisuel extérieur. Cela pose des difficultés d'articulation avec les priorités de l'action internationale de la France.
Le deuxième secteur est celui de l'aide au développement. Au-delà des orientations fixées au niveau politique par le Comité interministériel de la coordination internationale et du développement (Cicid), l'AFD tend à devenir non seulement l'acteur central de cette politique, mais aussi sa force d'initiative principale. Le rôle d'orientation stratégique des deux tutelles ministérielles s'affirme plus difficilement. Celles-ci ont essayé soit de revitaliser des instruments anciens, comme le comité d'orientation stratégique, soit d'en créer de nouveaux, comme la réunion régulière entre le directeur général de l'AFD, le directeur du trésor et celui de la mondialisation. Ces outils ne sont aujourd'hui ni articulés entre eux ni suffisamment effectifs. Tout en respectant la qualité et l'autonomie de gestion nécessaire de l'agence, une attention particulière doit être portée sur l'activité « dons », financée sur des crédits budgétaires relevant des deux ministères. Deux documents sont en cours de discussion : le contrat d'objectifs et de moyens 2020-2022 et la refonte de la convention-cadre entre l'État et l'AFD. Ces échéances doivent être l'occasion de renforcer la capacité d'orientation stratégique du ministère. La présence au conseil d'administration ne garantit pas à elle seule la capacité d'orientation du ministère vis-à-vis de l'agence.
Dans le champ économique, le MEAE assure depuis 2012 la cotutelle des opérateurs des secteurs du commerce extérieur - Business France - et du tourisme - Atout France.
S'agissant de Business France, la situation est satisfaisante dans un contexte de repli des moyens et du réseau à l'étranger de cette agence, avec la fermeture de 15 implantations. La refonte de son programme de travail se passe bien et l'exercice conjoint de la tutelle nous a semblé avoir trouvé son équilibre.
Atout France est un groupement d'intérêt économique de moindre importance vis-à-vis duquel, peut-être en raison des compétences multiples de cet organisme, les orientations stratégiques des tutelles apparaissent moins claires. C'est au travers d'un projet de rapprochement des réseaux, surtout dicté par des impératifs budgétaires, que s'exerce aujourd'hui le travail de tutelle stratégique.
À ce sujet, et cette remarque vaut également pour Business France, il faut certainement articuler les décisions de réduction des réseaux prises dans le cadre d'Action publique 2022 et le recentrage de leurs dispositifs auquel devaient procéder ces deux organismes.
En conclusion, le MEAE a des marges de progrès pour opérer un pilotage véritablement stratégique d'une galaxie d'organismes très différents vis-à-vis desquels il n'existe pas de prescription unique. C'est pourquoi 10 de nos 15 recommandations sont particulières à certains organismes et 5 seulement sont de portée générale. Il faut trouver un équilibre entre la nécessaire autonomie de gestion des opérateurs et le pouvoir d'orientation et de contrôle du ministère. Cette difficulté n'est pas propre au MEAE : dans le système public, certains opérateurs s'estiment, peut-être un peu trop vite, émancipés de la tutelle de leur ministère de rattachement, tandis que d'autres continuent à être regardés comme ce qu'ils étaient dans le passé, c'est-à-dire des services extérieurs, voire des démembrements, des ministères.
Le modèle d'agence à la française, qui était l'un des objectifs de la LOLF, n'a pas encore trouvé son point d'équilibre. Avec ce rapport, nous espérons aider le MEAE à y parvenir.