Intervention de Michel Miraillet

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 10 juin 2020 à 10h35
Pilotage stratégique par le ministère de l'europe et des affaires étrangères des opérateurs de l'action extérieure de l'état et sa déclinaison au niveau des postes diplomatiques — Audition pour suite à donner à l'enquête de la cour des comptes

Michel Miraillet, de la culture, de l'enseignement et du développement international au ministère de l'Europe et des affaires étrangères :

Je reprends à mon compte la quasi-totalité des remarques de M. Andréani.

Certes, l'AFD est un enfant quelque peu agité, difficile à contrôler, voire hyperactif, mais le père et la mère ne sont pas au même niveau ! En effet, le MEAE ne peut agir que sur ce dont il a la responsabilité : la conduite de projets, qui relève du programme 209 et représente moins de 10 % du bilan de l'établissement bancaire qu'est l'AFD. Le reste, c'est-à-dire l'activité de prêt, relève du ministère de l'économie et des finances, à travers la direction générale du Trésor.

Au cours d'un entretien de deux heures avec Rémy Rioux hier, je lui ai demandé si l'AFD se considérait comme un opérateur : je n'ai pas eu de réponse... L'AFD, par la voix de son directeur général, se considère comme une plateforme à vocation internationale. Sa volonté de présence renforcée, accompagnée d'un développement de ses capacités financières, est à mettre à son crédit.

Mais il faut aussi raison garder : le bilan de l'AFD représente peut-être un vingtième, voire un cinquantième de celui de la Chinese Development Bank... Pour le prochain Forum pour la paix qui se tiendra les 12 et 13 novembre prochains, l'AFD a pris l'initiative intéressante d'inviter les 400 agences et banques de développement mondiales à réfléchir sur la crise qui touche notamment l'Afrique au plan économique, avant de la toucher sur le plan médical. Cependant, quel est le but de l'exercice ? Veut-on une déclaration sur les objectifs du développement durable ? Dans ce cas, quel texte sera négocié ? Comment tirer la Banque chinoise de développement, qui finance des centrales à charbon, vers l'environnement ?

Le directeur général de l'AFD développe une véritable vision du développement dans son dernier ouvrage, à l'opposé de celle de la tutelle - un mot que l'on n'aime pas prononcer dans les couloirs de l'agence... On peut comprendre que le développement relève d'une politique en soi pour l'AFD ; c'est une vision généreuse qui correspond à l'image de notre rayonnement international ; mais je viens des milieux politico-militaires et je vois l'aide au développement comme un instrument d'influence au service de notre diplomatie. Cette vision me semble confirmée par la diplomatie du masque à laquelle nous avons assisté au cours des derniers mois. Quelles conceptions des relations avec la Chine en découlent ? Faut-il lui accorder des prêts au titre du développement ? On voit que la tutelle relève de la pesée d'intérêts au trébuchet.

Les conseils d'administration sont studieux, on y traite beaucoup de dossiers, souvent transmis au dernier moment. C'est la stratégie de ces organisations que de nous pousser dans nos retranchements. L'AFD a bâti, sous l'impulsion de son directeur général, une équipe de communication d'une vingtaine de personnes, avec la volonté de se projeter vers l'extérieur. En a-t-on réellement besoin ?

Certains projets de l'AFD parviennent, en même temps qu'à la tutelle, sur le bureau du directeur du programme 209, de celui du programme 110 à la direction générale du Trésor, au Parlement et sur certains bureaux de la présidence de la République... C'est de la très bonne politique, et je ferais sans doute la même chose à la place du directeur général de l'AFD ! Il faut cependant rappeler que l'agence dépend des crédits alloués par les ministères des affaires étrangères et des finances.

L'enjeu consiste donc à trouver le moyen de réguler cette activité. Voilà trois mois, le MEAE m'a demandé de concevoir une initiative sur l'Afrique. L'AFD a réagi très rapidement et formulé une proposition ambitieuse. Cependant, la mise en oeuvre a nécessité un exercice de négociation et de discussion afin de réorienter les crédits déjà engagés - ce que l'AFD ne sait pas bien faire.

Par conséquent, ne croyez pas que dans l'examen des projets, l'administration fasse fonction de guichet à hygiaphone ou de chambre d'enregistrement ! Le portage est nécessairement source de tensions face à une organisation qui a considérablement grossi et conserve un réel dynamisme, notamment grâce à sa filiale Proparco. Cependant, la montée des crédits publics implique un examen ; on ne gère pas le don aux ONG comme la distribution de macarons dans la rue... Cela exige une attention soutenue de nos équipes.

Le directeur général de l'AFD me réclame en permanence un assouplissement des seuils d'autorisation d'engagement. J'ai des difficultés à percevoir le lien entre l'aide à une association de basket-ball et le développement... L'institution se prend à son jeu.

Je partage donc votre jugement : Jean-Yves Le Drian vous l'a dit, il est extrêmement vigilant sur cette question. Ce n'est pas un exercice facile. Pour tout projet d'aide à l'Afrique, on se tourne vers l'AFD et le programme 209, mais ce programme est sous tension extrême !

Pour autant, il n'y a pas de laisser-aller dans le contrôle. J'ai dit à Rémy Rioux que les projets se concentraient trop en fin d'année, ce qui donne des conseils d'administration de huit ou neuf heures. On peut regretter certaines dérives, mais la direction générale du Trésor et la DGM sont très attentives. L'exercice du contrôle est très politique : tous les deux ou trois mois je réunis le Trésor et l'AFD au Quai d'Orsay, pour évoquer les dossiers sur un plan très général, celui des grandes orientations. Reste à déterminer qui fait quoi. Il n'est pas normal que la France soit représentée par la seule direction générale du Trésor à la Banque mondiale, alors que le MEAE est bien le chef de file de l'aide au développement.

Sur toutes ces questions, nous recevons des réponses parfois avec retard, mais nous ne renonçons pas. Faites confiance au Quai d'Orsay pour veiller à l'emploi du moindre sou dépensé. Nous sommes en train d'achever la rédaction du contrat d'objectifs et de moyens de l'AFD. D'aucuns ont jugé qu'avec la crise sanitaire, il n'était plus nécessaire. Nous avons remis les points sur les « i » : il l'est plus que jamais. Le texte sera prêt avant l'été.

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