Intervention de Olivier Véran

Commission des affaires sociales — Réunion du 10 juin 2020 à 16h15
Gestion de la crise sanitaire et « ségur de la santé » — Audition de M. Olivier Véran ministre des solidarités et de la santé

Olivier Véran, ministre :

« Moins de barreurs et plus de rameurs », dites-vous ? Les Grenoblois sont très forts en aviron, et je vous répondrai qu'il faut des barreurs pour aller vite et loin. Les premiers retours que j'ai de la crise témoignent plutôt que tout le monde allait dans la bonne direction. Il n'y a pas eu d'ordre et de contre-ordre. Il y avait un ennemi commun, le Covid-19, que l'on combattait quoi qu'il en coûte. Doit-on considérer, dans ces conditions, qu'il est impossible que tout le monde aille dans la même direction ou doit-on plutôt essayer d'alléger les contraintes des normes ? Jean Sol l'a dit, les questions d'organisation du travail, comme beaucoup d'autres choses, sont sur la table. Les directeurs d'hôpital, des directeurs d'ARS, les soignants nous le disent : il y a trop de normes. Il faudra que chacun renonce à une partie des siennes.

Dans un rapport sur le financement de l'hôpital, j'avais établi que certaines professions paramédicales en soins de suite et de réadaptation passaient 5 à 6 % de leur temps de travail à faire du codage de leur activité. C'est aberrant. Je pense qu'on devrait se permettre de renoncer à cette activité. J'ai été médecin à l'hôpital : cela me prenait une partie de mon vendredi après-midi.

La départementalisation des ARS est une bonne question : je constate que les élus sont en grande proximité avec le préfet de département, mais qu'ils le sont moins avec le préfet de régions, moins avec les directeurs d'ARS, mais peut-être moins encore avec les délégués départementaux ou territoriaux des ARS. Si l'on veut plus de proximité, il faut donc peut-être renforcer l'échelon départemental des ARS. C'est pour cela que j'ai besoin de vous, que j'ai besoin que les sénateurs participent au Ségur de la santé. Tout le monde me dit qu'il faut plus de place pour les collectivités ; d'accord, mais lesquelles ? Les intercommunalités, les départements, les régions ? Il y a beaucoup de modèles de distribution des moyens et des responsabilités. Dans le modèle allemand, ce sont les länder qui payent les lits d'hôpital - c'est pour cela que ce pays a plus de lits par habitant. Si une commune veut conserver sa maternité, même si elle perd beaucoup d'argent parce que l'on ne parvient pas à trouver des médecins et que l'on est obligé de les surpayer pour qu'ils viennent, elle ne déploie pas des banderoles pour demander à l'État de la conserver, elle paye, et l'équivalent allemand de l'assurance maladie paye les soins.

Les choix prônés aujourd'hui par un certain nombre d'élus seraient sans doute différents dans ces conditions... Mais je suis un grand démocrate et je suis de moins en moins jacobin : travaillons ensemble, mais vite.

Sur les visites à domicile, effectivement, nous sommes passés du dogme de la médecine chez soi à la médecine près de chez soi, puis à la médecine disponible pour soi avec la télémédecine. La médecine chez soi a de l'avenir - je m'en suis entretenu hier encore avec le directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam).

S'il y a bien une chose que je ne regretterai pas, c'est d'avoir déclenché le plan blanc partout. Nous avons économisé ainsi beaucoup de médicaments, ce qui a permis de sauver des vies. Si nous n'avions pas eu dix à quinze jours d'avance entre le déclenchement du plan blanc et l'arrivée du virus, nous aurions connu un scénario à l'italienne. Ce que nous avons eu de plus que les Italiens, c'est un peu plus de temps. La Lombardie est très bien équipée ; elle a été débordée parce que rien ne lui permettait de prévoir les choses.

Madame Van Heghe, j'ai beaucoup parlé des aides à domicile. Le ministère se concerte avec leurs fédérations demain matin. Jacqueline Gourault et moi-même rencontrerons sous dix jours M. Dominique Bussereau dans le cadre de la concertation sur le grand âge, car cela relève de la responsabilité des départements. Nous avons besoin d'une réforme de fond, notamment pour augmenter la tarification horaire, l'harmoniser davantage, revaloriser les salaires, mettre de la qualité, de la formation, de la coordination ; c'est un très gros chantier que je veux pouvoir porter, mais c'est aussi un réservoir d'emplois : Myriam El Khomri fixe dans son rapport une cible à 350 000 emplois créés en cinq ans, signe que le défi du grand âge est devant nous.

Je suis moins d'accord avec le port du masque obligatoire défendu par Mme Berthet : une obligation implique que la police inflige des amendes aux personnes qui ne la respectent pas. Nous n'avions pas prévu d'amende pour faire respecter les gestes barrières, alors que la distanciation physique est bien plus efficace que les masques. Nous n'avons donc pas prévu d'obligation, sauf là où la distanciation ne pouvait pas être appliquée, comme dans les transports en commun.

On ne peut pas dire que la médecine de ville n'a pas eu du tout de masques pendant trois semaines. Dès que l'épidémie a commencé, j'ai déstocké 15 millions de masques vers les officines - que je remercie pour leur rôle majeur dans la gestion de cette crise - puis 10 millions supplémentaires ; ce chiffre est passé à 30 millions, puis à 100 millions toutes les semaines, compte tenu des besoins des hôpitaux. Je ne dis pas que tout le monde a eu assez de masques - j'ai d'ailleurs suffisamment dit que beaucoup de médecins en avaient manqué -, j'ai même salué en introduction les dentistes parce qu'ils étaient nombreux à avoir dû fermer leur cabinet. Dire que l'on n'en a pas donné aux libéraux n'est pas exact. Nous n'en avons pas donné assez, mais autant que nous pouvions en donner. Par ailleurs, le recours à la médecine de ville a été extrêmement faible, beaucoup plus faible que ce qui était attendu, nous n'étions pas du tout dans une situation grippale.

Je ne connais pas l'association grenobloise d'étudiants en santé, mais les étudiants en santé sont reçus, à l'heure où je vous parle, dans le cadre du Ségur de la santé. Ils étaient là dès le premier jour. J'étais syndicaliste lorsque j'étais étudiant en médecine, il aurait été malvenu que je les exclue. Ce sont eux, l'avenir de la profession.

J'ai signé le décret sur les Padhue le 5 juin. Il est vrai qu'il ne concerne pas les Ehpad, puisque c'est un décret en application de l'article 70 de la loi sur la transformation du système de santé. Les Padhue sont parfois incontournables, donc il faut poursuivre sans doute les travaux. Attention toutefois : je n'ai pas envie que l'on prive des pays pauvres des médecins qu'ils ont eu du mal à former et qu'on ne laisserait pas repartir - je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur service que l'on puisse leur rendre.

Si nous manquons de médecins à l'hôpital, c'est parfois parce que nous manquons de personnes capables de prescrire des soins. Je note que des infirmières capées, qui ont vingt ans de métier, des infirmières à pratique avancée (IPA), ne peuvent pas prescrire du paracétamol, dans le logiciel de prescription hospitalier, alors qu'un faisant fonction d'interne qui vient d'Afrique ou d'ailleurs, qui n'a jamais mis les pieds dans un hôpital français, aura, lui, d'emblée le droit de prescrire. Cette situation persiste depuis un certain nombre d'années. La France n'a jamais osé franchir le cap. C'est peut-être le moment de se poser la question de la création de professions médicales intermédiaires sous la responsabilité de médecins, au moins à l'hôpital.

Monsieur Arnell, la situation de Mayotte et de la Guyane est différente : à Mayotte, on part de haut en termes d'incidence et on est redescendu, le facteur de reproduction virale étant à 1,1. La population malade est jeune, il y a donc peu de complications, la réanimation n'est pas saturée, mais il y a des clusters que nous surveillons de près. Nous envoyons beaucoup de renfort de ressources humaines, y compris des équipes d'épidémiologistes, et beaucoup de renfort en matériel, en masques et en tests. En Guyane, c'est l'inverse : on est parti d'assez bas en termes d'incidence et le facteur de reproduction du virus est à 1,5, compte tenu de la situation frontalière particulière avec le Brésil. Nous avons également envoyé du renfort matériel et du renfort humain. Nous y travaillons beaucoup avec Annick Girardin, nous y avons consacré plus de deux heures hier après-midi en présence du Premier ministre. L'éloignement de ces territoires rendrait des évacuations sanitaires plus compliquées qu'ailleurs, mais les services de réanimation ne sont pas saturés et la situation est sous contrôle.

Madame Jasmin, oui, en pleine crise sanitaire, nous aurions pu faire mieux dans le domaine de la démocratie sanitaire. Je me suis entretenu plusieurs fois avec M. Gérard Raymond, le président de France Assos Santé. Dans certains territoires, cela a bien fonctionné, dans d'autres, non. Ce n'est pas pour rien que mon premier déplacement dans le cadre du Ségur a eu lieu à Dijon avec la CRSA. Je sais qu'il y a une situation difficile en Guadeloupe du fait de l'incendie du CHU, et que les ressources médicales peuvent être difficiles à identifier en Guadeloupe, mais je vous ferai un retour plus précis plus tard.

Monsieur Théophile, la loi relative à l'adaptation et à la transformation du système de santé mettait en place l'université France-Antilles avec une transformation des études, la mise en place de davantage de cohérence dans les apprentissages et un renforcement de l'interprofessionnalité. Une analyse est en cours avec la ministre de l'enseignement supérieur, Frédérique Vidal, pour faire le point, notamment au regard des enseignements de la crise.

Monsieur le président, ancien parlementaire, je respecte profondément le Parlement et les commissions d'enquête. Pourtant, je ne me présenterai pas devant celles-ci comme si j'avais en face de moi des procureurs ou des avocats. J'ai lu dans la presse que des membres de ces commissions avaient pour objectif d'identifier les erreurs et les fautes graves commises... Je sais que ce ne sont pas vos mots, monsieur le président. Ce que je comprends de la démarche du Président de la République m'indique qu'il ne s'agirait pas d'une remise en question du fonctionnement de la justice non plus que des commissions d'enquête, mais que la démarche viserait plutôt une comparaison internationale permettant de connaître l'impact des décisions prises dans les différents pays.

J'ai étudié un peu l'histoire de la santé dans notre pays avant de faire de la politique ; on est souvent jugé au regard des éléments dont les uns et des autres disposent quand ils vous jugent, et beaucoup plus rarement en considérant les données de la science au moment où vous avez pris les décisions. Quand vous avez la tête dans le guidon et que vous vous prenez cinquante décisions par jour, les questions qui se posent sont : les décisions ont-elles été prises dans l'intérêt général ? L'obligation de moyens a-t-elle été respectée ? Les décisions ont-elles été expliquées, ont-elles été comprises ? Après, on peut se poser la question de savoir si elles ont été justes ou non, mais regarder dans la lucarne a posteriori, comme sur le port de masque, en disant que l'Académie dit qu'il faut porter le masque, que le conseil scientifique le dit... Hier, ils ne le disaient pas. Soyons vigilants, notre société est tentée de toujours rechercher des responsables, voire des coupables. Je ne dis pas que moi ou les personnes qui ont travaillé avec moi dans la gestion de cette crise sommes dénués de toute responsabilité, tant s'en faut, mais j'ai la conscience d'avoir fait le maximum avec les moyens qui m'étaient donnés et je me réjouis de pouvoir témoigner sous serment dans une commission d'enquête, ici même, puis à l'Assemblée nationale.

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