Nous entendons cet après-midi M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, qui répond ainsi à une invitation qui lui a été adressée au début de la crise sanitaire et que son agenda lui permet aujourd'hui d'honorer. Nous aurons à nouveau le plaisir de l'accueillir le 23 juin prochain dans la perspective de l'examen des projets de loi organique et ordinaire sur la dette sociale et l'autonomie.
Monsieur le ministre, le calendrier nous conduit à évoquer davantage une forme de premier bilan de la gestion de la crise du Covid-19 que les questions à chaud qui justifiaient notre demande d'audition. Vous serez, en outre, probablement amené à évoquer ce bilan devant d'autres instances, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, mais aussi, si j'ai bien compris, au sein du Gouvernement. Il me semble néanmoins important que vous puissiez répondre aux questions de la commission des affaires sociales.
S'il est aujourd'hui établi que ce gouvernement n'a pas hérité de bonnes conditions pour faire face à la crise, ses choix ont toutefois été structurants, vous nous permettrez donc aujourd'hui de les questionner.
Cette crise est également intervenue dans un contexte de crise de l'hôpital, à laquelle le Gouvernement souhaite aujourd'hui notamment répondre par le Ségur de la santé. Vous nous direz en quoi les orientations du Ségur complètent ou reprennent les différents plans précédemment définis par le Gouvernement dans le domaine de la santé.
J'aime le débat, mon propos liminaire sera donc court. Je vous remercie de cette invitation et je vous demande de me pardonner le temps que j'ai mis à y répondre. Je suis venu au Sénat chaque semaine, mais pas devant votre commission, mais je sais que vous êtes restés actifs durant cette crise et que vous avez mené de nombreux travaux utiles.
Cette crise est inédite dans son ampleur comme dans ses enjeux ; l'épidémie de coronavirus aura été - même si l'on ne peut pas encore en parler au passé - une épreuve collective sans pareille pour toute génération qui n'a pas connu la guerre, mais le chômage de masse, la crise économique et les attentats. Cette situation est encore prégnante dans de nombreux territoires. Le personnel soignant a fait face, je tiens à lui rendre un hommage sincère et reconnaissant : la première ligne a résisté avec un courage et un dévouement exceptionnel. Beaucoup d'entre vous se sont impliqués en soutien aux maires et aux acteurs locaux, certains ont même repris la blouse pour aider les soignants. Vous avez poursuivi vos travaux dans des conditions difficiles, car la démocratie ne s'arrête jamais, et vous m'avez alerté sur les situations dans vos territoires. Vos communications et vos retours ont permis de faire évoluer les dispositifs, je pense en particulier à la mobilisation des laboratoires départementaux ou à l'association des établissements de santé privés.
Prendre des décisions dans ces circonstances n'est pas simple et toute la lumière devra être faite sur la façon dont les pouvoirs publics se sont mobilisés. C'est le sens des commissions d'enquête qui ont été mises en place et du travail que nous menons aujourd'hui. Ma priorité a toujours été la transparence, on a pu d'ailleurs me reprocher de trop en faire ; je ne sais pas si j'en ai trop fait mais je n'aurais pas voulu risquer d'en faire trop peu en la matière.
Nous aurions tort de ne pas tirer les leçons de cette période. La première est que le système de santé ne serait rien sans ceux qui le font vivre. Un Ségur de la santé - dispositif inédit - a été lancé et je souhaite ardemment qu'il aboutisse à des accords de la santé. Les soignants attendent un signe de reconnaissance depuis trop longtemps, ils l'obtiendront ; depuis trop longtemps, aussi, les logiques comptables ont pris le pas sur le soin. Reconnaître les soignants et placer le soin au coeur de notre système de santé, c'est cela qui est au coeur du Ségur. Il ne s'agit pas seulement des carrières, mais aussi des investissements, du lien entre la ville et l'hôpital, de la simplification et de la proximité : nous avons besoin que la ville, l'hôpital et le médico-social marchent ensemble au service des malades. Dans quelques semaines, les accords de la santé viendront conclure cet exercice et donneront des perspectives et des moyens à un système de santé dont la crise a mis en lumière les faiblesses, mais aussi les atouts extraordinaires.
D'autres sujets à l'agenda du ministère concernent l'autonomie et le grand âge. L'Assemblée nationale travaille en ce moment sur un texte qui porte la création d'une cinquième branche de la sécurité sociale, étendant son périmètre pour la première fois depuis 1945, qui fait suite à un engagement ancien et partagé, mais qui s'est révélé difficile à tenir jusqu'à maintenant.
J'ai souhaité que les parlementaires aient toute leur place dans le Ségur et nous avons organisé des séances en salle Laroque - un des pères fondateurs de la sécurité sociale - auxquelles ils peuvent se rendre. Deux séances ont déjà eu lieu, une centaine de parlementaires y a participé, vous y serez les bienvenus.
Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions, tout en sachant que les commissions d'enquête de l'Assemblée nationale puis du Sénat porteront sur un bilan qui s'étendra au-delà de mon propre ministère. Vous comprendrez que je leur réserve certaines réponses, et en outre, que je me refuse à parler de mes prédécesseurs.
Nous avons réalisé beaucoup d'auditions sur la branche maladie. Ma première question concerne les stocks d'État de masques chirurgicaux, mais elle relève peut-être des commissions d'enquête. Depuis 2005, la cible officielle est un stock d'État de 1 milliard de masques ; cette jauge a été confirmée par les experts de Santé publique France en mai 2019. Comment expliquer les tergiversations qui ont suivies, malgré les alertes de Santé publique France, et qui ont conduit à ce que nous ne disposions plus que d'un stock d'appoint ? Le choix a-t-il été fait de conserver un stock tampon en misant sur la résilience des circuits internationaux ?
Une deuxième question concerne les essais cliniques. L'étude du Lancet sur l'hydroxychloroquine a suscité un véritable emballement médiatique, mais a, depuis, été largement discréditée. Quelle analyse en faites-vous ? Quand disposerons-nous de données cliniques propres à la France sur la question des traitements efficaces ? L'essai Discovery est un échec au regard du nombre de patients inclus, maintenez-vous la suspension des inclusions dans le bras concernant l'hydroxychloroquine ? Enfin, j'ai déjà posé cette question, mais elle est restée sans réponse : qu'en est-il de la restriction de la liberté de prescription qui a touché les médecins libéraux et qui s'est étendue aux antibiotiques ?
Par ailleurs, nous avons constaté une part importante de renoncement aux soins, malgré le développement de la téléconsultation. Une consultation de bilan et de vigilance, cotée à 46 euros, a été créée pour la prise en charge des personnes vulnérables, mais son champ est trop réduit et elle n'existe que jusqu'au 30 juin. Comptez-vous la prolonger ? De quels éléments disposez-vous pour évaluer l'impact du confinement sur d'autres pathologies que le Covid-19 ?
S'agissant du Ségur, je me suis rendu vendredi aux réunions ouvertes aux parlementaires. Les syndicats infirmiers étaient très mécontents que seul l'ordre ait été convié aux discussions, alors qu'eux-mêmes étaient en première ligne ; il en allait de même du syndicat Jeunes médecins, mais le tribunal administratif a jugé qu'il devait être intégré. Avez-vous élargi la liste des personnes conviées ?
Vous avez anticipé les difficultés qui se posent sur votre première question, concernant la gestion du stock d'État de masques. Quand je suis arrivé, il y avait 120 millions de masques, ils étaient, avant cela, beaucoup plus nombreux. Dans les archives du ministère, il apparaît qu'un très grand nombre de masques avaient été achetés par Mme Bachelot - vous savez combien cela lui avait été reproché - et ne portaient pas de date de péremption. Année après année, ils ont été périmés ou utilisés, mais pas remplacés. Les commissions d'enquête reviendront sur le sujet. Je préfère, quant à moi, regarder devant. Il n'y a pas eu, à mon sens, de faute politique ou individuelle, c'est une question de pilotage, qui doit nous conduire à faire des choix pour la Nation. Notez que 1 milliard de masques distribués en population générale, cela aurait suffi pour cinq à six jours seulement. Comment faire ? C'est une question qui nécessite un débat démocratique qui devra se tenir, car elle emporte un coût dans la durée.
La question des essais cliniques a suscité beaucoup d'émotion, d'incompréhension, et parfois d'agressivité dans la société, mobilisée - je m'en étonne ! - par une partie de la classe politique. Ce qui s'est passé avec l'étude publiée par le Lancet est vraiment regrettable. Cette revue, l'une des trois plus grandes du secteur, a vu trois des auteurs de l'article demander son retrait ; toutefois, cela ne signifie pas que le résultat publié aurait dû être inverse. La qualité méthodologique d'autres études a également été considérée comme douteuse et celles-ci ont été également retirées. Cela crée un émoi légitime et j'ai écrit au Lancet pour demander une relecture indépendante des données brutes. Je le répète, cela ne signifie pas que l'hydroxychloroquine ait démontré son efficacité dans des essais cliniques. J'ai sollicité le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) ainsi que l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), ce qui m'a permis d'autoriser le recours à ce traitement à titre compassionnel, en milieu hospitalier, pour des formes graves.
Je dispose du relevé de conclusions du HCSP, qui contient une revue de toute la littérature en la matière. Son avis n'a pas évolué. Les responsables de l'essai Recovery mené en Grande-Bretagne ont décidé d'interrompre son volet hydroxychloroquine. J'aurais préféré que ce traitement démontre son efficacité, j'avais d'ailleurs tout mis en oeuvre pour que, dans l'hypothèse où ce serait le cas, nous disposions de réserves suffisantes pour traiter tous ceux qui en auraient eu besoin. Les études publiées et à venir dans des revues très sérieuses indiquent que l'on peine à inclure de nouveaux malades, car il n'y en a plus beaucoup. Depuis la fin mars, les prescriptions ont chuté très rapidement, car les cliniciens ont constaté l'absence de données probantes. Si le HCSP me disait de ne pas autoriser la prescription d'un médicament et que je ne suivais pas cet avis, je suis certain, avec le recul, que j'aurais droit à une commission d'enquête, dont la création aurait été justifiée et devant laquelle j'aurais des difficultés à répondre !
Madame la sénatrice, la liberté de prescription n'a pas été entravée. L'article 8 du code de déontologie médicale la définit comme étant limitée par la loi et par les acquis de la science. De plus, on sait que le mésusage de médicaments a entraîné beaucoup plus de drames sanitaires que le retard de prescription.
S'agissant des personnes âgées maintenues à domicile depuis le déconfinement, une campagne de communication nationale a été lancée, une consultation longue spécifique a été créée pour évaluer les impacts du confinement, s'assurer de la continuité des soins et conseiller ces personnes sur les mesures de protection à prendre dans le cadre du déconfinement. Un bilan est en cours sur l'utilisation qui en a été faite, s'il faut poursuivre l'expérience, nous le ferons. La consultation bilan et vigilance annoncée le 29 mai était temporaire, il n'est pas prévu de la prolonger. Il s'agit d'inciter les patients à revenir chez leur médecin pour des consultations de rattrapage. Nous dresserons le bilan de tout cela et tout ce qui devra être prolongé le sera.
Nous étions 300, parlementaires, représentants des collectivités territoriales, syndicats, à la réunion inaugurale du Ségur. Un comité, comprenant une cinquantaine de membres, est consulté sur les retours d'expérience dans les territoires ; le travail se répartit ensuite par groupes sur les quatre grands piliers du processus, dont l'un est chargé des négociations sociales sur les revendications salariales et se plie donc à des règles spécifiques. S'agissant des organisations syndicales, le paysage est complexe : les différents corps médicaux sont représentés par les grandes centrales, auxquelles s'ajoutent, pour les praticiens hospitaliers, des organisations catégorielles. Cela peut donc donner l'impression d'une surreprésentation de certains médecins. Le syndicat Jeunes médecins a demandé à participer et je l'avais convié dès avant le jugement qui nous y a incités. Nous avançons bien.
La consultation nationale destinée à tous les soignants hospitaliers que je m'étais engagée à lancer a été mise en ligne il y a vingt-quatre heures et a déjà rencontré un grand succès, avec plus de 13 000 réponses, dont un tiers émanent d'infirmiers. Ces réponses contribueront à enrichir les décisions que nous prendrons.
Je voudrais revenir un instant sur les masques : face au manque, n'a-t-on pas bâti une doctrine ad hoc indiquant qu'il était peu utile de porter un masque pour se prémunir du Covid-19 ?
Mes autres interrogations sont financières. La commission des affaires sociales souhaite la présentation d'un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS), on nous a opposé qu'il serait difficile de nous fournir des chiffres avant le mois de juillet. Or nous avons déjà des chiffres de déficit et nous allons en débattre au sujet du transfert de la dette à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) les 1er et 2 juillet au Sénat. Devrons-nous attendre cette séance, ou celle du 15 juillet, durant laquelle nous discuterons des finances publiques pour en savoir plus sur l'équilibre de nos finances sociales ?
S'agissant des aides à domicile, j'ai entendu qu'elles auraient droit à une prime, comme les aides-soignantes exerçant à l'hôpital et en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Elles ont en effet concouru, à leurs risques et périls, à conserver un bon état de santé chez les personnes fragiles. Or on indique aujourd'hui qu'il reviendrait aux départements d'assurer ce versement, alors même que les disparités financières entre eux sont considérables et que les associations ou les organismes qui sont en charge du secteur connaissent de grandes difficultés. Ne faudrait-il pas abonder la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) d'un fonds spécial à cette fin ?
Je m'interroge, enfin, sur le rapport entre le plan Ma santé 2022 et le Ségur de la santé. Il y a un an, des orientations avaient été prises, que nous jugions insuffisantes. Nous pensions alors qu'un geste beaucoup plus fort pour l'hôpital, qui aurait d'une certaine manière anticipé l'engagement des soignants, aurait peut-être pu conduire ces derniers à adopter alors une attitude plus positive. J'ai écouté le Premier ministre présenter les cinq orientations du Ségur, qui sont fort intéressantes : revalorisations des soignants, l'investissement dans l'hôpital et ses modalités de financement - ce qui recouvre beaucoup de question qui ont déjà été soulevées -, la levée des freins à la réforme du système de santé, la gouvernance et la question numérique. J'en ajouterais une sixième : le financement de tout cela. Aujourd'hui, l'assurance maladie et le système général de la sécurité sociale sont financés à 53 % par les cotisations sociales et, pour le reste, par différentes taxes, dont la TVA, et par la contribution sociale généralisée (CSG). Ne devrait-on pas chercher autrement comment, à moyen terme, financer tous les besoins qui se font jour dans la population ? J'ai rencontré récemment un think tank qui a réfléchi à un système nouveau de financement, basé sur un prélèvement de 1 % ou de 1,5 % sur les paiements scripturaux, qui représentent 27 700 milliards d'euros d'échanges. Un prélèvement de 1,5 % permettrait ainsi de dégager 400 milliards d'euros pour envisager l'avenir de la sécurité sociale et augmenter le pouvoir d'achat des Français.
À la lumière de la crise sanitaire, comment voyez-vous le positionnement de Santé publique France vis-à-vis du ministère de la santé, s'agissant de la définition de la stratégie de constitution de stocks nationaux de produits de santé ? Après l'épisode du H1N1, ses contraintes budgétaires puis son absorption de l'Établissement de préparation et de réponses aux urgences sanitaires (Eprus) ont-elles contribué à ce que la question du stock de masques perde de son importance stratégique ? Entre 2016 et 2018, les priorités stratégiques assignées par la Direction générale de la santé à Santé publique France ne faisaient en effet plus mention de stocks de masques...
En outre, face aux pénuries concernant certains médicaments essentiels, le rapport de la mission d'information du Sénat sur la pénurie de médicaments et de vaccins avait préconisé en 2018 la mise en place d'un pôle de production public, assis sur une collaboration entre l'Agence générale des équipements et produits de santé (Ageps), la pharmacie centrale des armées et les entreprises pharmaceutiques. Quelle est votre position à ce sujet ? Comment répondre, selon vous, aux tensions sur les médicaments, notamment à l'échelle européenne ?
S'agissant de la prime exceptionnelle, les remontées sont innombrables, qui traduisent l'incompréhension et le mécontentement des personnels externalisés des Ehpad, de ceux des établissements privés à but lucratif et des aides à domicile.
Monsieur le ministre, au début de la crise, nous n'avions ni tests ni masques, il ne restait plus que le confinement. Cette épidémie inédite n'était pas prévisible et vous avez fait le maximum avec ce qui vous manquait. Je remercie le personnel soignant et l'armée, qui ont permis à tous les malades qui en ont eu besoin de bénéficier de réanimation. Pourquoi a-t-on manqué de tests au début, par rapport à l'Allemagne ? Il aurait, en effet, fallu faire alors ce que vous faites maintenant : tester, identifier les contacts, isoler.
Concernant les médicaments, pourquoi n'avoir pas mené une expérimentation de la bithérapie hydroxychloroquine-azithromycine au début des symptômes ?
Pourquoi n'avoir pas impliqué davantage les médecins traitants dans la première phase ? Ils le sont maintenant, dans les tests et dans la recherche de contacts.
En ce qui concerne la prime de 1 500 euros, vous avez répondu favorablement pour les hôpitaux de Corrèze, mais il faut être large, car beaucoup de personnels se sont impliqués dans la gestion du Covid-19 dans les hôpitaux.
Il faut, bien entendu, poursuivre le Ségur de la santé pour tout ce qui concerne les soins à domicile, et s'agissant de l'hôpital, réfléchir au financement et prévoir, en particulier, moins de temps administratif. Il serait, en outre, souhaitable de mettre en place des postes de soins immédiats à domicile, même s'il n'y a pas d'établissement de santé dans la communauté professionnelle territoriale de santé (CTPS). Il est nécessaire, en effet, qu'un endroit soit consacré aux soins non programmés. Enfin, certains groupements hospitaliers de territoire sont trop importants, il faudrait parfois en créer un à l'échelle du département.
Pour terminer, à l'avenir, la perte d'autonomie restera une priorité grandissante et il faudra sans doute augmenter le nombre de personnels en Ehpad.
Ma première question concerne le Ségur : une soixantaine de soignants d'Occitanie se sont portés volontaires pour aider les établissements très touchés de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP). Il s'agissait, en particulier, d'infirmiers, d'anesthésistes et de paramédicaux, qui sont aujourd'hui extrêmement déçus par la mise en place du Ségur, notamment par le manque de représentation de leurs professions. Ils ont été sur tous les fronts, leurs propositions sont constructives, comment envisagez-vous de les intégrer ?
Par ailleurs, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse et le Centre national d'études spatiales (CNES) se sont associés pour le suivi des patients victimes du Covid-19 qui n'ont pas été hospitalisés en réanimation. Beaucoup de ces patients peinent à s'en remettre, la lenteur du rétablissement et les nombreuses complications pulmonaires semblent en effet être une des particularités de cette maladie. Connaître le degré d'atteinte pulmonaire est donc fondamental pour élaborer un traitement. L'expérience intéressante menée au CHU de Toulouse avec le CNES repose sur l'utilisation de l'intelligence artificielle pour interpréter les échographies pulmonaires afin d'évaluer la gravité de l'atteinte et de prévoir son évolution. Ne faudrait-il pas diffuser cette expérience prometteuse pour identifier les formes sévères ?
Monsieur le ministre, je vous ai écrit pendant le confinement, mais je n'ai pas encore obtenu de réponse. Je souhaite attirer votre attention sur la situation très particulière des femmes et des familles qui étaient engagées dans un protocole d'assistance médicale à la procréation (AMP) avant le 12 mars. Tout s'est soudainement arrêté, les laissant dans le stress et les interrogations. Avec le déconfinement, celles qui suivaient ce parcours à l'étranger ont commencé une véritable course contre la montre, plus encore au vu de la probable réouverture des frontières de l'Union européenne. Il faut en effet un délai de cinq semaines pour la stimulation ovarienne avant l'arrivée en clinique. Ces familles ont été laissées dans le flou, sans réponse, ce qui est difficilement acceptable. Quelles dispositions seront prises pour permettre la reprise des protocoles d'AMP en France et à l'étranger ? Envisagez-vous de déroger à l'âge limite de quarante-trois ans pour les femmes qui ont dépassé ce cap durant ces semaines ?
Monsieur Vanlerenberghe, notre seule doctrine pour le port de masque était : protéger les soignants. Elle a été écrite et validée et a donné lieu à des priorisations dans des conditions très difficiles, avec un stock qu'il fallait gérer pour éviter la pénurie, pour protéger les réanimations et les urgences, puis pour distribuer des millions de masques en ville. Cela a donné lieu à des sacrifices importants, comme celui des dentistes, qui n'ont pas pu travailler faute de masques FFP2. J'ai interrogé toutes les agences et toutes les sociétés pour connaître les doctrines en vigueur. En population générale, le HCSP considérait au début de la crise qu'il n'y avait pas de preuve que le port masque soit de nature à protéger, sauf s'il était porté en permanence par au moins 60 % de la population. Ce n'est même pas le cas aujourd'hui, il me semble, alors qu'il est maintenant recommandé et parfois obligatoire. La science évolue, les recommandations aussi et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande désormais dans certaines situations le port du masque en population générale, mais seulement depuis le 5 juin.
Des questions se posent, parfois vivement, je l'entends, mais vous avez sous les yeux des éléments factuels, des recommandations nationales et internationales datées, au sujet desquelles j'ai communiqué. Cela ne satisfera pas ceux qui auraient voulu disposer de masques, mais je n'ai pas cherché à masquer la situation, si je puis dire. J'ai pris mes fonctions le 17 février, je ne suis pas tributaire du stock de masques dont je disposais alors, mais je ne jetterai la pierre à personne.
S'agissant du PLFRSS, en l'absence d'une consolidation des déficits dans le champ des affaires sociales, puisque nous anticipons encore un creusement de la dette sociale, il nous est impossible d'en préparer un qui soit sincère, ou alors il faudrait le faire chaque semaine ! Je comprends toutefois votre question et je suis très attaché, comme vous, à l'exercice budgétaire annuel.
Les aides à domicile sont fondamentales et le premier déplacement que j'ai effectué comme ministre a été pour leur rendre hommage, avec des annonces de rallonges budgétaires, certes aujourd'hui très dépassées. Je considère qu'il s'agit de travailleurs pauvres qui sont pourtant indispensables au fonctionnement de la société. Je crois beaucoup à la notion, parfois un peu ringardisée, du care, du prendre soin. On se rend compte de notre vulnérabilité quand on est très jeune, très âgé ou très malade, une épidémie est donc le bon moment pour reconnaître la place de ces femmes, surtout, dans la société. Joan Tronto ou Carol Gilligan ont d'ailleurs montré que, historiquement, ces métiers étaient sous-payés, car ils étaient destinés aux femmes. Ils le sont restés. Notre responsabilité collective est énorme et nous devons bouger. Sur la prime, nous avons été bloqués par le mécanisme budgétaire, car nous ne pouvions la verser qu'aux personnels rémunérés, même en partie, par l'assurance maladie. Or ce n'est pas le cas des aides à domicile. Nous travaillons sur le sujet avec les départements et notamment avec M. Dominique Bussereau. En tout état de cause, j'entends revaloriser sensiblement leur rémunération, nous en parlerons dans le cadre du Ségur, mais aussi au sujet du plan grand âge autonomie.
Enfin, prélever un pourcentage des paiements scripturaux, cela ressemble bien à une taxe, une sorte de TVA bis. Pourquoi ne pas regarder cette idée ?
Monsieur Daudigny, l'avenir du stock stratégique doit faire l'objet d'une réflexion collective. Tirons les conclusions de cette période : faut-il réaménager les agences sanitaires ? Recréer l'Eprus ? Santé publique France est-elle suffisamment outillée en matière de logistique ? Je ne sais pas, je me pose les mêmes questions que vous et je travaillerai volontiers, avec vous et d'autres, sur la refonte éventuelle de notre système de sécurité sanitaire.
En ce qui concerne le pôle public du médicament et la stratégie européenne, nous ne pouvons pas rester dépendants de l'Inde et de la Chine. Aujourd'hui, plus de 90 % des matières premières qui servent à fabriquer des médicaments essentiels se trouvent au bout du monde. Nous manquons, par exemple, de propofol, nous disposons des compétences pour en fabriquer, mais pas des matières premières nécessaires. Le problème doit être traité, selon moi, au niveau européen, d'autant que ces installations sont souvent classées Seveso et qu'il serait donc préférable de répartir les contraintes. Il faut donc mettre en place une politique européenne en matière de production de médicaments, mais aussi de fourniture en matières premières.
La prime exceptionnelle va bénéficier au secteur lucratif comme au secteur non lucratif, j'ai déjà écrit aux fédérations concernées à ce sujet. Le secteur privé a été mobilisé, il est normal donc qu'il bénéficie aussi d'un coup de pouce.
Monsieur Chasseing, nous n'avions pas de tests au début de l'épidémie parce que ceux-ci n'existaient pas ! Le test PCR a été mis au point en Allemagne après l'identification du virus, et aujourd'hui, nous ne disposons pas non plus de tests pour des virus qui n'ont pas encore été découverts... Nous avons dû implanter des structures lourdes de PCR, nous avons acheté dix-huit machines, des laboratoires se sont équipés. Au stade 1, tout le monde était testé, comme ce fut le cas aux Contamines-Montjoie, au stade 2 également, mais au stade épidémique, l'OMS recommandait de ne tester que pour confirmer le diagnostic chez les personnes très malades, très fragiles ou chez les soignants. Les autres devaient être par défaut considérés comme malades, et recevoir la même prise en charge. Aujourd'hui, nous revenons vers le stade 2 et 99 % des prélèvements effectués sont négatifs.
Fallait-il tester l'association hydroxychloroquine-azithromycine au début des symptômes ? Je ne connais pas le bon timing à mettre en oeuvre pour démontrer que ce traitement fonctionne. Les études publiées sont négatives sur les formes graves, comme chez l'animal, quand on lui inocule la même maladie entraînant les mêmes complications, les observations menées chez les patients traités par chloroquine pour des pathologies chroniques montrent qu'ils ont autant développé la maladie que les autres. Je le regrette, car j'aurais aimé disposer d'un traitement français, efficace, disponible et peu cher ! Il y a eu des études de bithérapie en phase précoce, par exemple à Angers ou à Montpellier, mais elles n'ont pas donné lieu à publication, car elles ne rassemblaient pas assez de patients pour que leurs résultats soient statistiquement valables. Par ailleurs, j'ai reçu des alertes de l'ANSM sur des effets indésirables cardiaques liés à cette bithérapie, avec une rémanence très longue du traitement pouvant provoquer des complications tardives. Il faut faire en sorte que la science l'emporte sur toute autre considération, notamment politique.
Madame Micouleau, les aides-soignants et les infirmiers sont représentés dans le Ségur par les cinq grandes centrales, les syndicats de médecins hospitaliers sont plus catégoriels ; toutefois, les ordres sont également invités et toutes les propositions qui remonteront par quelque structure syndicale nous seront utiles et précieuses et feront l'objet d'un examen attentif. Ces organisations participent en outre aux retours d'expérience des territoires.
Vous avez raison, le suivi des malades du Covid-19 dans la durée est une question fondamentale et l'expérimentation toulousaine est intéressante. D'autres protocoles ont été mis en place avec des épreuves fonctionnelles respiratoires et des scanners low dose pulmonaires pour la recherche de fibroses tardives, y compris chez les patients qui n'ont pas eu de forme grave. Nous devons rester attentifs, car nous n'avons pas de recul sur les complications à moyen ou long terme. C'est une priorité de santé publique que nous regardons de très près.
Madame Meunier, je suis désolé, je ne sais pas pourquoi ma réponse ne vous est pas parvenue. Elle sera double, elle n'a pas fait l'objet d'un arbitrage, mais elle aura valeur de décision ministérielle - que je prends sous le regard inquiet de mes conseillers ! Dans le cadre d'une procédure en France, si la future mère a atteint ou dépassé l'âge limite pendant le confinement, je ne vois pas comment ne pas faire un geste et rembourser la prise en charge, même si le terme de la procédure devait être différé de quelques semaines ou de quelques mois.
La situation est différente pour les nombreuses familles engagées dans une procédure à l'étranger, qui ne peut être remboursée. C'est pour cette raison qu'il faut voter rapidement la loi Bioéthique ! Je comprends la détresse de ces familles, pour lesquelles tout était prévu et qui ont dû interrompre le processus, mais je n'ai pas de solution à leur proposer. Les frontières ouvriront le 15 juin, et certains parcours reprendront, mais ces familles ne sont pas dans une situation légale aujourd'hui.
Je souhaite évoquer le dispositif envisagé pour assurer la reconnaissance automatique en maladie professionnelle par un soignant d'une contamination par le virus de la Covid-19. Cette reconnaissance automatique sera-t-elle étendue aux personnels non soignants qui interviennent en établissements de santé ou en Ehpad et, au-delà, aux membres de forces de l'ordre, par exemple, ainsi que M. Castaner en avait exprimé le souhait ?
De même, quel est votre regard sur la proposition de création d'un fonds d'indemnisation des victimes pour répondre aux demandes de ceux qui ont maintenu une activité professionnelle ou bénévole durant le confinement ? L'engagement de ces personnes, qui a contribué à maintenir des services vitaux dans la sécurité, l'éducation, le transport ou la grande distribution, ne devrait-il pas être reconnu comme un service rendu à la Nation ? Nous examinerons le 25 juin prochain une proposition de loi en ce sens.
Enfin, la prime exceptionnelle a été attribuée aux soignants de certains établissements. Je vous ai sollicité, car, dans le Calvados, certains sites n'avaient pas été retenus dans le décret, ce que leurs soignants trouvaient injuste. Vous avez répondu positivement, au cas par cas, à nos demandes, je vous en remercie, mais de nouveaux établissements me saisissent, notamment l'hôpital de Falaise et le centre hospitalier de la Côte Fleurie, à Cricqueboeuf. Ne serait-il pas plus simple de considérer que tous les soignants qui ont contribué à lutter contre ce virus méritent cette prime, et pas seulement ceux de quelques établissements, choisis selon des critères dont vous reconnaissez qu'ils méritent d'être réexaminés ?
L'entrée sur le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon est conditionnée jusqu'au 10 juillet à un premier test PCR soixante-douze heures avant le départ de l'Hexagone, puis à une quatorzaine stricte sur place, puis à un second test PCR pour autoriser la sortie de la quatorzaine. Or un projet de loi a été annoncé et présenté ce matin en conseil des ministres visant à mettre un terme à l'état d'urgence sanitaire. Cela signifie-t-il que ce dispositif s'arrête le 10 juillet et que le dispositif expérimental que vous avez initié le 9 juin avec un bilan au 22 juin s'arrête également le 10 juillet, ou des mesures alternatives seront-elles maintenues dans un territoire qui se situe dans une zone épidémique nord- américaine ?
Vous avez dit que la ville et l'hôpital devaient marcher ensemble pour le soin, mais aussi pour la recherche clinique. La crise a mis en lumière les difficultés dans ce domaine. Il semble que l'article 23 de la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) prévoie la création de deux comités territoriaux de la recherche destinés à rassembler, justement, tous les acteurs de la recherche clinique hospitalière et ambulatoire autour du CHU, avec l'objectif de mieux ouvrir cette recherche à l'ambulatoire et à la médecine de ville. Pourriez-vous revenir rapidement sur leur fonctionnement ?
Vous avez vous-même posé la question de la stratégie en matière de gestion des stocks, du choix à faire pour la Nation. Pensez-vous soutenir le développement d'une production nationale solide, envisagez-vous de rétablir les protocoles que l'État avait conclus en 2005 et 2006 avec les producteurs nationaux, avec évidemment le risque que des masques, notamment FFP2, se périment ? De tels contrats pluriannuels ne seraient-ils pas la clé d'une filière française suffisamment dynamique, solide et réactive pour faire face à un nouveau risque pandémique ?
Notre rapporteur général Jean-Marie Vanlerenberghe a évoqué la question de la prime en faveur des salariés des services d'aide à domicile ; vous avez vous-même parlé de travailleurs pauvres et d'une responsabilité collective ; vous avez souligné que le président de l'Assemblée des départements de France (ADF), Dominique Bussereau, était très investi - je vous le confirme en tant que sénatrice de son département. Ce ne sont pas les seuls services médico-sociaux concernés : je pense également à la protection de l'enfance. Concrètement, si les départements devaient se substituer à l'État pour verser une prime à ces salariés, cette prime pourrait-elle être exonérée de charges sociales et de fiscalité - même si cela occasionnerait bien sûr un manque de recettes pour l'État ?
J'ai été saisie, comme beaucoup de parlementaires au sujet du matériel de protection en général - masques, mais aussi surblouses - qui a manqué aux soignants dans les établissements de santé. Cela pose la question de leur production.
Vous avez souhaité organiser un Ségur pour répondre à la situation de l'hôpital et de notre système de santé en général. Cela suscite beaucoup d'attentes, parce que la pandémie du Covid n'a fait que révéler et accentuer la profondeur d'une crise déjà connue. Le terme de Ségur fait référence, me semble-t-il, aux accords de Grenelle ; or vous savez pertinemment que, en 1968, ces accords avaient abouti notamment à une importante augmentation du SMIC. Vous savez également qu'une des revendications fortes du personnel est précisément l'augmentation des salaires et que, si les primes permettent d'améliorer le quotidien des familles, ce n'est pas ce qu'il demande. Avez-vous le projet de revaloriser les salaires ?
Cette revendication va de pair avec une demande très forte d'embauches. Ce point suscite une grande inquiétude. Vous le savez pour l'avoir vécu, certains syndicalistes sont partis en claquant la porte. Ceux qui continuent à travailler avec vous témoignent d'une certaine impatience. J'aimerais donc avoir un peu plus d'éléments concrets là-dessus, d'autant que je ne vous le cache pas, ce matin, notre commission a examiné une proposition de loi sur le don de jours de réduction du temps de travail (RTT) qui ne suscite pas un très grand engouement de la part des intéressés - le mot est faible. Notre groupe l'a donc rejeté et il va y avoir un grand mouvement le 16 juin.
Nous avons souffert pendant cette crise, plus encore que d'habitude, de pénuries de médicaments. Nous avons eu un échange en séance publique et vous aviez semblé intéressé par la proposition d'un pôle public du médicament que soutient depuis longtemps le groupe CRCE. Même si nous ne sommes pas à Noël, rien n'empêche de le souhaiter : avez-vous avancé sur cette question ? Que pensez-vous de la création d'un Conseil national du médicament et des produits médicaux qui déterminerait démocratiquement les besoins prioritaires en matière de santé ? Avec Marisol Touraine puis avec Agnès Buzyn, nous avions évoqué le fait que, pour parvenir à créer ce pôle public, il faudrait s'appuyer sur la pharmacie des armées et sur la pharmacie centrale de l'AP-HP.
J'ai été interpellée dans mon département du Val-de-Marne par des personnes travaillant dans des Ehpad qui étaient assez désorientées parce qu'un certain nombre d'entre elles - comme vous l'avez souligné, la plupart sont des femmes - n'avaient pas reçu cette prime et que le délégué de l'agence régionale de santé (ARS) dans le Val-de-Marne leur avait dit qu'il fallait s'adresser au département, alors que cela n'en relève pas. Que devons-nous faire lorsqu'on est témoin du fait que cette prime n'est pas attribuée ? Si chacun vous interpelle en direct, vous risquez d'être submergé !
Il n'y a pas si longtemps, la norme dans les hôpitaux, c'était les masques et les blouses en tissu. Puis la mode du tout jetable est arrivée, ce qui est une catastrophe pour l'environnement. Si le jetable n'est pas plus efficace, ne devrait-on pas revenir au tissu, qui peut être également issu d'une production française beaucoup plus rapide et efficace, comme on l'a vu pendant la crise ? Ne faudrait-il pas profiter de cette crise pour abandonner le jetable ?
La télémédecine a connu une envolée. Quelles mesures envisagez-vous pour profiter de cette vague pour favoriser une pratique qui rend des services extraordinaires dans les déserts médicaux ?
J'ai une inquiétude concernant le Ségur. Nous sommes tous d'accord pour dépenser plus, pour augmenter les salaires, ce qui serait légitime - certains proposent parfois des taxes pour les financer. Mais ne pourrait-on pas essayer aussi de travailler mieux ? Je ne vois que des propositions de dépenses supplémentaires, et cela m'inquiète.
Madame Féret, pour répondre à votre première question, il y a une proposition de loi sur un fonds d'indemnisation des victimes qui sera examinée le 25 juin au Sénat : nous pourrons donc en débattre.
Une précision cependant : j'entends parfois que certains soignants ont la prime et que d'autres ne l'ont pas. Tous les soignants ont la prime, mais son niveau varie en fonction de la charge épidémique dans l'établissement où ils travaillent : elle est de 500 euros pour les hôpitaux n'ayant pas eu plus de 14 malades en réanimation pendant la période et de 1 500 euros pour tous les autres. Une infirmière de réanimation à Mulhouse a forcément été plus impliquée qu'un médecin de médecine nucléaire d'un hôpital loin de tout cluster et qui n'a pas vu un seul malade en réanimation. Les seuils posent toujours des problèmes, mais nous avions à coeur de majorer la prime pour ceux qui ont été mis à rude épreuve.
De mémoire, un appareil pour réaliser des tests PCR a été envoyé à Saint-Pierre-et-Miquelon pour éviter que les malades soient obligés de se rendre au Canada, l'hôpital est donc en mesure de répondre à la situation épidémique. La quatorzaine est effectivement en vigueur jusqu'au 10 juillet ; ensuite, nous continuerons à protéger le territoire, mais en permettant une réouverture indispensable.
Madame Imbert, vous m'interrogez sur l'articulation concernant la recherche clinique entre la ville et l'hôpital. Pour le Covid-19, nous avons organisé la recherche clinique autour du consortium REACTing qui a pu être pilote dans beaucoup d'études cliniques menées tant en ville qu'à l'hôpital. J'ai demandé une analyse de la coordination de ces travaux pour faciliter la conduite de la recherche clinique et en tirer des conclusions dans les tout prochains jours.
Heureusement qu'il existait une filière nationale de masques de protection, pas suffisante en période d'épidémie, mais qui en produit une quantité non négligeable en période normale par rapport aux besoins courants. Nous avons mobilisé très tôt et très fortement tous les industriels, notamment les cinq grands industriels français qui fabriquent des masques ; je les remercie et je remercie tous les salariés qui ont fait les trois-huit pour produire, notamment, des masques FFP2. Depuis lors, beaucoup d'entreprises se sont piquées de réorienter une partie de leur industrie ; Mme Jeanne Lemoine, des entreprises Lemoine, dans l'Orne, a non seulement reconverti son usine de fabrication de cotons-tiges en écouvillons de prélèvements, dont elle produit 800 000 par semaine, mais elle est aussi en mesure de produire désormais 180 millions de masques par an. Le Président de la République s'était engagé à ce que la France soit autonome en production de masques d'ici à la fin de l'année. J'entends les premières critiques qui parlent de surproduction : à l'Assemblée nationale hier, on me reprochait qu'il y ait trop de masques, comme je l'avais prédit. J'assume cette situation, je vous le dis les yeux dans les yeux : étant dans un besoin criant, nous avons fait appel à la mobilisation de la Nation pour disposer de matériel indispensable en pleine période épidémique, mais nous ne pouvions pas savoir si le déconfinement, un mois plus tard, se passerait bien ou pas si bien que cela. Certaines critiques font donc plus mal que d'autres... Cela dit, il faudra répondre aux industriels qui ont fait le travail.
Si la prime pour les personnes travaillant en Ehpad est effectivement versée par les départements, je ne suis pas opposé à ce qu'elle soit exonérée de cotisations comme la prime versée au secteur hospitalier.
Madame Cohen, une séance de négociation salariale multilatérale en bonne et due forme avec les structures syndicales représentatives a lieu vendredi, avec Mme Nicole Notat. Demain, le comité Ségur se réunit toute la journée. Les négociations progressent, mais il faut respecter leur avancée avant de sortir un chiffre. J'entends qu'il y a une attente forte de la profession : je me suis entretenu par téléphone ce matin avec quelques syndicats et avec le Collectif inter-hôpitaux. Rien ne serait à mon sens moins productif que de claquer la porte aujourd'hui. Le syndicat Sud a fait ce choix, mais je le remercie néanmoins, parce qu'il a passé une heure et demie en audition bilatérale où il a pu formuler des propositions intéressantes - pour ma part, j'aurais aimé continuer à en discuter.
Ma porte reste ouverte et celle de Nicole Notat aussi. J'entends l'impatience, il faut que l'on bouge vite, j'en suis convaincu, mais un grand plan de transformation de la santé bouclé en un mois, ce n'est pas arrivé très souvent dans l'histoire. Je me fixe donc l'objectif d'avancer dans l'année et je réserverai les annonces aux intéressés.
Vous demandez s'il ne faudrait pas une démarche citoyenne pour l'évaluation des besoins en médicaments. Fort de l'expérience de l'épidémie, je vous répondrais que je crois en la démarche scientifique pour évaluer au plus près les besoins dans ce domaine. La dernière loi de financement de la sécurité sociale que vous avez votée comportait des mesures contraignant les laboratoires à garantir un stock de médicaments d'intérêt thérapeutique majeur correspondant à quatre mois de consommation courante sur le territoire européen, sous peine d'une forte amende. Évidemment, lorsque se produit une augmentation de 2 000 % de la consommation d'un médicament d'un jour sur l'autre et au niveau mondial, toutes les ceintures et les bretelles législatives imaginables ne peuvent empêcher les difficultés. Je crois très fortement dans la démocratie sanitaire ; il y a d'ailleurs un volet démocratie sanitaire important dans le Ségur de la santé. Je suis donc favorable à la participation de représentants d'usagers en matière de prix des médicaments, mais pour déterminer quels sont les bons médicaments - je le dis sans taquinerie - je préfère faire confiance aux autorités scientifiques compétentes. Je n'estime pas en être une ; c'est pour cela qu'à chaque doute, je les ai saisies.
Le paiement de la prime au personnel des Ehpad est possible en juin ; c'est ce qui explique que certains ne l'ont pas touchée en mai. Elle est remboursable à 100 % par l'assurance maladie dès juillet.
Monsieur Lévrier, on n'arrête pas les prouesses : voici un masque chirurgical qui est filtrant à 95 %. La norme Afnor prévoit une filtration entre 70 et 90 %, mais, comme en France, on aime le travail bien fait, beaucoup de masques lavables se sont retrouvés avec un niveau de filtration supérieur à 90 %, frôlant l'efficacité des masques chirurgicaux. Celui-ci est fabriqué à Grenoble - vous voyez que je n'ai pas perdu mes réflexes de parlementaire... Bien sûr, si on peut les préférer aux jetables, si on peut faire un peu de développement durable et encourager l'industrie textile, ce serait mieux. Je rassure les industriels : la France est le seul pays à avoir normé des masques réutilisables lavables ; or je crois qu'il y a une demande mondiale très forte et je pense que nous avons vocation à exporter. Si nous parvenons à renforcer notre industrie, ce sera toujours cela de pris !
Il y a actuellement 650 000 actes de télémédecine par semaine : ce nombre a baissé par rapport au million d'actes pendant le confinement, mais reste très haut : on n'en était qu'à 20 000 actes par an auparavant. Le Ségur fait évidemment le point précis sur ces questions.
Travailler mieux oui, mais parfois, pour travailler mieux, il faut se sentir valorisé. Si j'étais aide-soignant en Ehpad de nuit, je me serais senti un peu mieux en sortant épuisé de ma garde, si, au moins, je gagnais ma vie correctement. Mais vous avez raison, le Ségur doit réfléchir à des organisations qui permettent à chacun de s'y retrouver.
Le masque fabriqué à Grenoble présenté par M. le ministre a de surcroît l'avantage d'être bleu, blanc, rouge !
La France est un pays où la médecine est particulièrement administrée. L'administratif pèse pour 34 % des dépenses de santé, alors que ce chiffre est de 24 % dans d'autres pays. Face à cette situation, je résume ma position en un slogan : moins de barreurs, plus de rameurs. Il faut plus de personnels soignants. Irez-vous dans ce sens ? Le Ségur se préoccupera-t-il aussi d'organisation territoriale ? La crise a révélé le bon fonctionnement d'un couple qui se connaît bien, formé par le préfet de département et le président du conseil départemental. Peut-être faudrait-il envisager d'avoir dans les départements non plus des délégués des ARS, mais des structures autonomes - sans forcément qu'elles aient plus de personnel.
La télémédecine est une piste intéressante. On reparle aussi des visites à domicile, qu'on avait oubliées, car elles coûtaient trop cher, mais qui peuvent être intéressantes en période épidémique. Il y a eu des maladies non soignées pendant l'épidémie : des spécialistes me l'ont dit, on a revu des pathologies qu'on ne voyait plus. On a tout déprogrammé, y compris dans des établissements privés où il n'y avait pas de lits destinés au Covid...
Il faudrait aussi une meilleure organisation pour la prévention ; on a vu combien l'obésité aggravait la situation pendant l'épidémie et cela peut se reproduire.
Vous ne pourrez pas tout résoudre. Quelles mesures envisagez-vous à court terme ? Comment voyez-vous la nécessaire révolution sanitaire, préventive, médico-sociale pour tirer toutes les conclusions de cette terrible crise sanitaire ?
Le versement de la prime exceptionnelle pour les aides à domicile n'est pas encore arbitré en raison de l'absence d'un accord entre l'État et les départements. Vous en avez dit la raison, mais cette réponse est-elle satisfaisante ? Il faut absolument rétablir l'égalité.
Vous devez la reconnaissance aux soignants, affirmez-vous et vous indiquez que vous la leur donnerez, il faut donc urgemment revaloriser leurs salaires !
Pourquoi le masque n'a-t-il pas été rendu obligatoire lors du déconfinement ? Nous avons entendu en audition plusieurs professeurs qui nous ont dit qu'il fallait le porter dès que l'on sortait de chez soi, ou tout au moins dans les commerces. Après quelques jours de déconfinement, très peu de personnes en portent dans l'espace public.
Médecins, infirmiers, kinésithérapeutes, chirurgiens-dentistes, toute la médecine de ville s'est sentie délaissée pendant la crise. Elle n'a bénéficié d'aucun matériel de protection. Pourquoi le ministère ne s'est-il intéressé qu'à l'hôpital ?
Une association d'étudiants en santé de Grenoble m'a indiqué qu'elle aimerait être sollicitée dans le cadre du Ségur, considérant que ses membres ont des choses à dire en tant que futurs soignants. Ils arrivent effectivement avec une vision toute neuve.
Une ordonnance du 15 avril 2020 prolonge et régularise les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) à l'hôpital. Ceux qui exercent en Ehpad en sont exclus, alors qu'ils ont été utiles.
Depuis la petite île binationale de Saint-Martin, j'ai pu suivre votre action, et je voudrais saluer votre manière de répondre à toutes les interpellations. Vous avez toujours été clair et compréhensible pour le plus grand nombre.
Vous avez déjà répondu à ma première question sur la prime des soignants. Il faut absolument revaloriser leur traitement, cela fait très longtemps qu'ils se battent pour cela et leur implication mérite que l'on s'y attarde.
Ma seconde question concerne les outre-mer. À l'exception de Mayotte et, dans une moindre mesure de la Guyane, ces territoires n'ont pas tellement été touchés par l'épidémie et les mesures restrictives ne sont pas comprises par tous nos concitoyens. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?
J'ai participé hier à l'une des réunions du quatrième pilier du Ségur. Les différents participants ont regretté la non-implication des acteurs lors de l'état d'urgence, notamment pendant le confinement, en particulier des membres des conférences régionales de la santé et de l'autonomie (CRSA) des différentes régions de France, qui souhaiteraient être consultés dans le cadre de la démocratie sanitaire.
Les ARS ont travaillé, sans doute, mais tous les établissements médico-sociaux et tous les professionnels de santé, des kinésithérapeutes aux chirurgiens-dentistes, ont rencontré des difficultés, auxquelles s'ajoutent celles des personnes en situation de handicap et des malades d'Alzheimer. Un plan de continuité des activités pourrait être mis en place pour prendre en compte les groupements hospitaliers de territoires et les conférences de santé et de l'autonomie pour anticiper d'éventuelles crises futures.
Tous les parlementaires de Guadeloupe vous ont adressé un courrier concernant le groupement d'intérêt public de santé-Réseaux et actions de santé publique en Guadeloupe, à Saint-Martin et Saint-Barthélemy (GIP-Raspeg), une structure visitée par notre commission en avril 2018 et qui est aujourd'hui menacée. Nous ne saurions accepter l'émiettement des différents dispositifs déjà regroupés, alors que la loi concernant l'organisation du système de santé donne précisément l'opportunité d'aller au terme du processus de coordination, avec des moyens, bien sûr, mais aussi pour créer un dispositif d'appui à la coordination entre l'archipel de la Guadeloupe et les deux îles du nord, Saint-Martin et Saint-Barthélemy.
Compte tenu des difficultés que rencontre déjà la Guadeloupe, avec son CHU qui n'est pas opérationnel, même s'il y en a un autre en construction, j'aimerais que vous donniez la meilleure réponse à cette situation.
Ma question initiale portait sur les primes, mais vous y avez répondu. J'ai une deuxième question qui pourrait tout aussi bien concerner la ministre de l'enseignement supérieur. La loi du 24 juillet 2019 relative à l'adaptation et à la transformation du système de santé dispose que le Gouvernement remet au Parlement au plus tard en juillet 2020 un rapport sur la création d'une faculté de médecine de plein exercice aux Antilles. Nos étudiants sont obligés aujourd'hui de se rendre dans l'hexagone dès la fin de la troisième année, pour suivre tant bien que mal leur cursus. La crise sanitaire que nous traversons ne fait malheureusement que souligner un peu plus la nécessité et l'urgence d'une telle mesure.
Il s'agit en effet d'offrir à nos étudiants des conditions d'études convenables et de lutter contre les déserts médicaux - car peu d'entre eux font le choix de revenir aux Antilles - et éventuellement, de faire rayonner la médecine française dans l'arc caribéen. Pouvez-vous nous confirmer que ce rapport est rédigé, ou sur le point de l'être ? Pensez-vous que les réflexions que nous menons dans le cadre du Ségur de la santé pourraient accélérer la création de cette faculté de médecine de plein exercice, puisque le Président de la République veut qu'il en sorte un système de santé plus souple, plus innovant et plus à l'écoute de ses professionnels ?
Le Président de la République s'est engagé à revaloriser les professions des soignants, considérés comme des héros. Pour avoir exercé de nombreuses années dans un établissement public de santé, j'en ai personnellement vécu les évolutions de l'intérieur. Je sais, monsieur le ministre, qu'il faut du temps pour bouger, concernant notamment les ressources humaines. Comment revaloriserez-vous les professions de santé et avec quels moyens ? Toutes les professions seront-elles considérées ? Une revalorisation salariale sans plan d'action rapide sur la gestion du temps de travail, les conditions de travail, la diminution des lourdeurs administratives et la prévention des troubles musculo-squelettiques serait vouée à l'échec. Ce plan d'action ne peut s'envisager qu'avec les acteurs concernés.
L'Assemblée nationale a mis en place une commission d'enquête, et le Sénat va le faire. Mais en parallèle, le Président de la République a parlé de créer une commission indépendante, mais financée par l'Élysée - on voit quelle serait son indépendance... - et M. le procureur Rémy Heitz a décidé de lancer une enquête préliminaire qui risque d'être d'une ampleur considérable - c'est lui qui le dit - sur la gestion de la crise. C'est bizarre, car la justice ne lance habituellement ce genre d'enquêtes que lorsque l'ensemble des phénomènes est terminé, comme cela avait été le cas pour l'affaire du sang contaminé. Le lancement de ces deux enquêtes est-il fortuit ?
« Moins de barreurs et plus de rameurs », dites-vous ? Les Grenoblois sont très forts en aviron, et je vous répondrai qu'il faut des barreurs pour aller vite et loin. Les premiers retours que j'ai de la crise témoignent plutôt que tout le monde allait dans la bonne direction. Il n'y a pas eu d'ordre et de contre-ordre. Il y avait un ennemi commun, le Covid-19, que l'on combattait quoi qu'il en coûte. Doit-on considérer, dans ces conditions, qu'il est impossible que tout le monde aille dans la même direction ou doit-on plutôt essayer d'alléger les contraintes des normes ? Jean Sol l'a dit, les questions d'organisation du travail, comme beaucoup d'autres choses, sont sur la table. Les directeurs d'hôpital, des directeurs d'ARS, les soignants nous le disent : il y a trop de normes. Il faudra que chacun renonce à une partie des siennes.
Dans un rapport sur le financement de l'hôpital, j'avais établi que certaines professions paramédicales en soins de suite et de réadaptation passaient 5 à 6 % de leur temps de travail à faire du codage de leur activité. C'est aberrant. Je pense qu'on devrait se permettre de renoncer à cette activité. J'ai été médecin à l'hôpital : cela me prenait une partie de mon vendredi après-midi.
La départementalisation des ARS est une bonne question : je constate que les élus sont en grande proximité avec le préfet de département, mais qu'ils le sont moins avec le préfet de régions, moins avec les directeurs d'ARS, mais peut-être moins encore avec les délégués départementaux ou territoriaux des ARS. Si l'on veut plus de proximité, il faut donc peut-être renforcer l'échelon départemental des ARS. C'est pour cela que j'ai besoin de vous, que j'ai besoin que les sénateurs participent au Ségur de la santé. Tout le monde me dit qu'il faut plus de place pour les collectivités ; d'accord, mais lesquelles ? Les intercommunalités, les départements, les régions ? Il y a beaucoup de modèles de distribution des moyens et des responsabilités. Dans le modèle allemand, ce sont les länder qui payent les lits d'hôpital - c'est pour cela que ce pays a plus de lits par habitant. Si une commune veut conserver sa maternité, même si elle perd beaucoup d'argent parce que l'on ne parvient pas à trouver des médecins et que l'on est obligé de les surpayer pour qu'ils viennent, elle ne déploie pas des banderoles pour demander à l'État de la conserver, elle paye, et l'équivalent allemand de l'assurance maladie paye les soins.
Les choix prônés aujourd'hui par un certain nombre d'élus seraient sans doute différents dans ces conditions... Mais je suis un grand démocrate et je suis de moins en moins jacobin : travaillons ensemble, mais vite.
Sur les visites à domicile, effectivement, nous sommes passés du dogme de la médecine chez soi à la médecine près de chez soi, puis à la médecine disponible pour soi avec la télémédecine. La médecine chez soi a de l'avenir - je m'en suis entretenu hier encore avec le directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam).
S'il y a bien une chose que je ne regretterai pas, c'est d'avoir déclenché le plan blanc partout. Nous avons économisé ainsi beaucoup de médicaments, ce qui a permis de sauver des vies. Si nous n'avions pas eu dix à quinze jours d'avance entre le déclenchement du plan blanc et l'arrivée du virus, nous aurions connu un scénario à l'italienne. Ce que nous avons eu de plus que les Italiens, c'est un peu plus de temps. La Lombardie est très bien équipée ; elle a été débordée parce que rien ne lui permettait de prévoir les choses.
Madame Van Heghe, j'ai beaucoup parlé des aides à domicile. Le ministère se concerte avec leurs fédérations demain matin. Jacqueline Gourault et moi-même rencontrerons sous dix jours M. Dominique Bussereau dans le cadre de la concertation sur le grand âge, car cela relève de la responsabilité des départements. Nous avons besoin d'une réforme de fond, notamment pour augmenter la tarification horaire, l'harmoniser davantage, revaloriser les salaires, mettre de la qualité, de la formation, de la coordination ; c'est un très gros chantier que je veux pouvoir porter, mais c'est aussi un réservoir d'emplois : Myriam El Khomri fixe dans son rapport une cible à 350 000 emplois créés en cinq ans, signe que le défi du grand âge est devant nous.
Je suis moins d'accord avec le port du masque obligatoire défendu par Mme Berthet : une obligation implique que la police inflige des amendes aux personnes qui ne la respectent pas. Nous n'avions pas prévu d'amende pour faire respecter les gestes barrières, alors que la distanciation physique est bien plus efficace que les masques. Nous n'avons donc pas prévu d'obligation, sauf là où la distanciation ne pouvait pas être appliquée, comme dans les transports en commun.
On ne peut pas dire que la médecine de ville n'a pas eu du tout de masques pendant trois semaines. Dès que l'épidémie a commencé, j'ai déstocké 15 millions de masques vers les officines - que je remercie pour leur rôle majeur dans la gestion de cette crise - puis 10 millions supplémentaires ; ce chiffre est passé à 30 millions, puis à 100 millions toutes les semaines, compte tenu des besoins des hôpitaux. Je ne dis pas que tout le monde a eu assez de masques - j'ai d'ailleurs suffisamment dit que beaucoup de médecins en avaient manqué -, j'ai même salué en introduction les dentistes parce qu'ils étaient nombreux à avoir dû fermer leur cabinet. Dire que l'on n'en a pas donné aux libéraux n'est pas exact. Nous n'en avons pas donné assez, mais autant que nous pouvions en donner. Par ailleurs, le recours à la médecine de ville a été extrêmement faible, beaucoup plus faible que ce qui était attendu, nous n'étions pas du tout dans une situation grippale.
Je ne connais pas l'association grenobloise d'étudiants en santé, mais les étudiants en santé sont reçus, à l'heure où je vous parle, dans le cadre du Ségur de la santé. Ils étaient là dès le premier jour. J'étais syndicaliste lorsque j'étais étudiant en médecine, il aurait été malvenu que je les exclue. Ce sont eux, l'avenir de la profession.
J'ai signé le décret sur les Padhue le 5 juin. Il est vrai qu'il ne concerne pas les Ehpad, puisque c'est un décret en application de l'article 70 de la loi sur la transformation du système de santé. Les Padhue sont parfois incontournables, donc il faut poursuivre sans doute les travaux. Attention toutefois : je n'ai pas envie que l'on prive des pays pauvres des médecins qu'ils ont eu du mal à former et qu'on ne laisserait pas repartir - je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur service que l'on puisse leur rendre.
Si nous manquons de médecins à l'hôpital, c'est parfois parce que nous manquons de personnes capables de prescrire des soins. Je note que des infirmières capées, qui ont vingt ans de métier, des infirmières à pratique avancée (IPA), ne peuvent pas prescrire du paracétamol, dans le logiciel de prescription hospitalier, alors qu'un faisant fonction d'interne qui vient d'Afrique ou d'ailleurs, qui n'a jamais mis les pieds dans un hôpital français, aura, lui, d'emblée le droit de prescrire. Cette situation persiste depuis un certain nombre d'années. La France n'a jamais osé franchir le cap. C'est peut-être le moment de se poser la question de la création de professions médicales intermédiaires sous la responsabilité de médecins, au moins à l'hôpital.
Monsieur Arnell, la situation de Mayotte et de la Guyane est différente : à Mayotte, on part de haut en termes d'incidence et on est redescendu, le facteur de reproduction virale étant à 1,1. La population malade est jeune, il y a donc peu de complications, la réanimation n'est pas saturée, mais il y a des clusters que nous surveillons de près. Nous envoyons beaucoup de renfort de ressources humaines, y compris des équipes d'épidémiologistes, et beaucoup de renfort en matériel, en masques et en tests. En Guyane, c'est l'inverse : on est parti d'assez bas en termes d'incidence et le facteur de reproduction du virus est à 1,5, compte tenu de la situation frontalière particulière avec le Brésil. Nous avons également envoyé du renfort matériel et du renfort humain. Nous y travaillons beaucoup avec Annick Girardin, nous y avons consacré plus de deux heures hier après-midi en présence du Premier ministre. L'éloignement de ces territoires rendrait des évacuations sanitaires plus compliquées qu'ailleurs, mais les services de réanimation ne sont pas saturés et la situation est sous contrôle.
Madame Jasmin, oui, en pleine crise sanitaire, nous aurions pu faire mieux dans le domaine de la démocratie sanitaire. Je me suis entretenu plusieurs fois avec M. Gérard Raymond, le président de France Assos Santé. Dans certains territoires, cela a bien fonctionné, dans d'autres, non. Ce n'est pas pour rien que mon premier déplacement dans le cadre du Ségur a eu lieu à Dijon avec la CRSA. Je sais qu'il y a une situation difficile en Guadeloupe du fait de l'incendie du CHU, et que les ressources médicales peuvent être difficiles à identifier en Guadeloupe, mais je vous ferai un retour plus précis plus tard.
Monsieur Théophile, la loi relative à l'adaptation et à la transformation du système de santé mettait en place l'université France-Antilles avec une transformation des études, la mise en place de davantage de cohérence dans les apprentissages et un renforcement de l'interprofessionnalité. Une analyse est en cours avec la ministre de l'enseignement supérieur, Frédérique Vidal, pour faire le point, notamment au regard des enseignements de la crise.
Monsieur le président, ancien parlementaire, je respecte profondément le Parlement et les commissions d'enquête. Pourtant, je ne me présenterai pas devant celles-ci comme si j'avais en face de moi des procureurs ou des avocats. J'ai lu dans la presse que des membres de ces commissions avaient pour objectif d'identifier les erreurs et les fautes graves commises... Je sais que ce ne sont pas vos mots, monsieur le président. Ce que je comprends de la démarche du Président de la République m'indique qu'il ne s'agirait pas d'une remise en question du fonctionnement de la justice non plus que des commissions d'enquête, mais que la démarche viserait plutôt une comparaison internationale permettant de connaître l'impact des décisions prises dans les différents pays.
J'ai étudié un peu l'histoire de la santé dans notre pays avant de faire de la politique ; on est souvent jugé au regard des éléments dont les uns et des autres disposent quand ils vous jugent, et beaucoup plus rarement en considérant les données de la science au moment où vous avez pris les décisions. Quand vous avez la tête dans le guidon et que vous vous prenez cinquante décisions par jour, les questions qui se posent sont : les décisions ont-elles été prises dans l'intérêt général ? L'obligation de moyens a-t-elle été respectée ? Les décisions ont-elles été expliquées, ont-elles été comprises ? Après, on peut se poser la question de savoir si elles ont été justes ou non, mais regarder dans la lucarne a posteriori, comme sur le port de masque, en disant que l'Académie dit qu'il faut porter le masque, que le conseil scientifique le dit... Hier, ils ne le disaient pas. Soyons vigilants, notre société est tentée de toujours rechercher des responsables, voire des coupables. Je ne dis pas que moi ou les personnes qui ont travaillé avec moi dans la gestion de cette crise sommes dénués de toute responsabilité, tant s'en faut, mais j'ai la conscience d'avoir fait le maximum avec les moyens qui m'étaient donnés et je me réjouis de pouvoir témoigner sous serment dans une commission d'enquête, ici même, puis à l'Assemblée nationale.
Merci, monsieur le ministre !
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 18 h 25.