Intervention de Patrick Martin

Commission des affaires économiques — Réunion du 3 juin 2020 à 9:5
« plan de relance : quelles mesures pour relancer la consommation et l'investissement ? » -table ronde par téléconférence

Patrick Martin, président délégué du Medef :

Outre mes responsabilités au Medef, je préside une entreprise de taille intermédiaire dans le B-to-B, qui réalise 800 millions d'euros de chiffre d'affaires par an - nous avons perdu 23,5 % de notre chiffre d'affaires dans les deux semaines de confinement de mars, puis 43,5 % en avril, avant de connaître une reprise au mois de mai. Nous devons faire preuve de prudence dans l'analyse, car la situation est inédite sur le plan mondial et, face à une situation à ce point exceptionnelle, nous sommes intellectuellement démunis.

Le Medef a présenté jeudi dernier une quarantaine de propositions, constituant une stratégie que nous avons appelée de « prise de confiance » pour refonder la croissance. Je n'entrerai pas dans la polémique, mais l'impréparation de l'État à une telle crise sanitaire, comme en témoigne le défaut de masques et de respirateurs artificiels, a obligé à arrêter l'économie plus brutalement et plus vite que dans d'autres pays. Ensuite, l'état de nos finances publiques réduit nos marges de manoeuvre - il suffit de comparer notre situation à celle de l'Allemagne pour s'en convaincre : nos voisins ont bien plus de moyens pour agir plus fort et redémarrer plus vite - le BTP a chuté à 10 % de l'activité normale, alors que l'Allemagne n'est jamais tombée en dessous de 80 %.

La consommation reprend, mais prudence sur les derniers chiffres, qui sont encore difficiles à interpréter. Certes, les terrasses sont pleines, car la population aspire à vivre comme avant. Mais les appréhensions sont là, d'ailleurs plus fortes pour les salariés et indépendants moins protégés que ne le sont les cadres, lesquels ont surtout télétravaillé quand les premiers étaient plus exposés. Ensuite, il y a la crainte du chômage et de la crise économique, des plans sociaux sont annoncés, ils influenceront beaucoup la mentalité des consommateurs, avec le risque qu'ils préfèrent conserver tout ou partie de l'épargne accumulée pendant le confinement.

Il faut libérer l'épargne au bénéfice de la consommation et de l'investissement. Nous faisons des propositions dans ce sens, en particulier le déblocage des réserves de la participation pour les salariés, un chèque-consommation réservé aux bas revenus, des avantages aux produits « verts ». Il faut aussi libérer l'épargne pour l'investissement public - les collectivités territoriales vont voir leurs ressources fiscales diminuer, alors qu'elles jouent un rôle décisif dans le financement des infrastructures - et libérer l'épargne pour venir au secours des entreprises - elles ont accumulé des dettes qu'elles auront parfois du mal à rembourser.

Les entreprises doivent mettre en place les consignes sanitaires, ce qui représente, selon nos estimations, 20 points de productivité : cela risque d'obérer leur capacité finale de remboursement. Or, les banques, qui n'ont pas de garantie de l'État pour le calcul de leurs ratios prudentiels, ne pourront pas porter les dettes indéfiniment ; il faut donc réorienter l'épargne vers l'économie. Nous proposons qu'un avantage fiscal soit fléché vers les quasi fonds propres des entreprises.

Il faut également penser au marché de l'emploi, en particulier aux 700 000 jeunes qui vont s'y présenter pour la première fois à l'automne. Nous proposons une exonération de charges d'un an pour tout premier contrat à durée indéterminée (CDI) à un jeune, c'est un avantage exceptionnel qui est à la mesure de la situation exceptionnelle que nous connaissons.

Concernant l'apprentissage, nous étions sur la bonne pente, avec 16 % de stagiaires en plus à la rentrée de 2019, mais bon nombre de chefs d'entreprise hésitent aujourd'hui à s'engager, même s'ils sont convaincus, intellectuellement, que l'apprentissage est une bonne solution. Il faut donc envoyer un signal fort, ou bien les jeunes concernés seront au chômage, avec un risque social et politique très important ; nous avons notre responsabilité envers la jeunesse.

Pour préparer le jour d'après, nous appelons à « refonder » l'économie. Nous avons mis en place un comité d'une vingtaine d'experts qui ne sont pas des chefs d'entreprise - la dimension européenne est décisive, car la France ne s'en sortira pas seule, voyez la taxe carbone. Nous avons identifié trois grands défis.

Le premier défi est celui des relocalisations : la réaction des consommateurs face au prix des fraises est symptomatique de ce qui va se passer, tout le monde veut de la relocalisation, mais elle doit être compétitive. Nous nous sommes félicités que 350 industriels français du textile aient adapté leurs lignes de production pour fabriquer des masques, mais à des prix cinq à six fois plus élevés que ceux qui sont produits en Chine. Demain, une fois la sidération passée, sera-t-on prêt à acheter des masques plus chers parce qu'ils auront été produits en France ? Cela vaut aussi pour l'acier, les médicaments, etc.

Ensuite, deuxième défi, il faut restaurer la compétitivité des entreprises françaises, ce qui nous renvoie au débat sur le partage de la richesse. Or on perd de vue que la France, après transferts sociaux, est le pays où la répartition est la plus égalitaire, et que nous détenons déjà le record pour les prélèvements obligatoires et pour la fiscalité du patrimoine. Nous devons renforcer les entreprises, mais ce n'est pas en envoyant d'emblée un signal négatif aux investisseurs que l'on y parviendra. Il ne faut donc pas tomber dans des débats décalés par rapport à l'urgence économique.

Enfin, troisième défi, le verdissement de notre économie : les entreprises sont mobilisées, mais cela a un coût. L'impératif écologique est incontournable, mais l'impératif économique et social l'est plus encore, d'où la nécessité de concilier les objectifs. Le rôle de l'Union européenne est déterminant, pour la taxe carbone, pour les financements.

Dans le débat sur le jour d'après, qui paraît bien franco-français, reste à savoir si notre modèle va être remis à plat, ou bien si nous allons vers un retour à l'identique : c'est un vrai débat.

Le vrai problème se posera à la rentrée, avec des échéances fiscales et sociales très importantes, et le critère à surveiller sera le niveau de rentabilité des entreprises. Je signale au passage que le crédit interentreprises s'est fortement contracté, alors qu'il est en temps ordinaire plus important que les crédits bancaires à court terme et qu'il a été en 2009 l'un des facteurs de la récession. Bercy réfléchit à un dispositif, en s'inspirant de ce qui se fait en Allemagne, pour donner plus de garanties aux assureurs-crédits - c'est une piste à suivre.

Enfin, la solution ne peut pas passer par plus de fiscalité, il faut tirer les enseignements des crises passées. En 2009, on a voulu rétablir les finances publiques en augmentant les prélèvements obligatoires, le résultat a été catastrophique. Nous pensons, pour notre part, qu'il faut élargir la base fiscale.

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