Nous poursuivons notre cycle de tables rondes de grands témoins, de capitaines d'industrie, d'experts et d'économistes, pour prendre du recul par rapport à l'actualité immédiate et réfléchir aux orientations stratégiques dont notre pays a besoin en matière économique.
Nous parlerons aujourd'hui des moyens de relancer la consommation et l'investissement dans notre pays. Je suis très heureuse d'accueillir M. Michel-Édouard Leclerc, président-directeur général du groupe Leclerc ; M. Patrick Martin, président délégué du Medef ; M. Xavier Ragot, président de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et Mme Agnès Verdier-Molinié, directrice de la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (iFRAP).
Les nombreuses auditions menées par les membres de la commission nous convainquent que la crise économique va s'installer dans la durée : elle est non pas derrière nous, mais plutôt devant nous, avec une baisse de la croissance estimée à 11 % sur l'année.
Il semble aujourd'hui probable que nous rentrions dans la phase la plus dure de la crise, avec des besoins de financement de plus en plus importants, des faillites plus nombreuses et le chômage en croissance rapide. La perspective d'une crise passagère suivie d'un rebond rapide semble s'éloigner, alors même que nous n'en sommes qu'au début du déconfinement et pas à l'abri d'heureuses surprises. La crise paraît devoir persister, du fait de la baisse durable de la consommation et des investissements liée à la constitution d'une épargne de précaution face aux incertitudes à venir.
La consommation comme l'investissement reposent sur un élément immatériel fondamental : la confiance. Tous les plans de relance resteront vains si la confiance n'est pas retrouvée. Quels sont les outils dont disposent les pouvoirs publics pour agir sur cet élément difficilement mesurable qu'est la confiance, afin que la consommation reprenne ? Le débat est vif sur ce point. Comment agir sur la quantité de consommation, mais aussi sur sa qualité, sur le type de produits consommés ?
La chute de l'investissement, parallèlement, tient au recul de la trésorerie des entreprises, surtout des PME, à la baisse de leur solvabilité, avec des mesures de soutien qui ont souvent pris la forme de reports de paiement ou de prêts venant accroître leur endettement, et, enfin, à l'anticipation d'une demande atone.
Pensez-vous que la chute de l'investissement et celle de la consommation soient durables ? Si oui, quels sont les éléments, les leviers, qui permettent de les relancer de façon sélective ? Quels seraient, selon vous, les domaines prioritaires ?
Derrière ces questions, il y a celle du rôle de l'État. Faut-il renouer avec les méthodes d'intervention classiques : relance budgétaire et fiscale, prise de participation de l'État aux entreprises en difficultés ? L'État vient au secours d'Air France et de Renault, c'est son rôle, mais qu'en est-il au-delà ? La crise va accroître les inégalités et justifie sans doute des politiques sociales plus ambitieuses de prévention du chômage de longue durée : qu'en pensez-vous ?
Le renouveau de la dépense publique tranche avec les objectifs de retour à l'équilibre budgétaire affichés il y a quelques mois. Au-delà d'une relance conjoncturelle, ces remèdes sont-ils soutenables et, surtout, sont-ils toujours efficaces dans des économies aussi ouvertes que la nôtre ?
Nous retrouverons aussi la croissance et l'emploi grâce à la compétitivité de nos entreprises, aux gains de parts de marché sur le territoire national comme à l'export. Dans cette perspective, qu'attendez-vous d'un plan de relance ?
Enfin, ce plan de relance doit être l'occasion de prendre des mesures plus structurelles. Quelles mesures vous semblent-elles souhaitables en matière de charges, de règlementation et d'organisation de l'État ou de décentralisation ?
Nous sommes encore dans la crise, ce qui rend plus compliqué de réfléchir au « monde d'après » - je vous parle depuis le siège du groupe Leclerc, où il n'y a encore que 10 % des effectifs, nous serons 40 % fin juillet, et au complet seulement à la fin septembre. Je pense aussi à mes collègues, par exemple de la FNAC-Darty, qui viennent tout juste de rouvrir, comme les commerces en coeur de ville, et qui ont subi la crise de manière plus forte encore que nous qui sommes restés ouverts pendant le confinement.
Au-delà des aspects sanitaires et médicaux, au-delà des drames sociaux qui nous frappent et dont on connaît les chiffres, je commencerai par souligner que, sur le plan technique, la gestion de la crise nous a fait beaucoup apprendre et, globalement, cette crise d'une ampleur inédite a été plutôt bien gérée. Les distributeurs ont beaucoup parlé avec les transporteurs, les producteurs, les industriels, nous avons repris un dialogue perdu depuis des années, alors qu'on ne parlait plus que de guerre des prix, ce qui est très positif ; nous avons aussi beaucoup dialogué avec les pouvoirs publics, avec les administrations. Nous sommes donc prêts à travailler sur le plan de relance, tous les acteurs des filières ont conscience que personne ne s'en tirera seul, cela me parait un acquis très important de la gestion de crise.
La consommation repart assez fort, apparemment, mais attention aux chiffres trompeurs. N'oublions pas, d'abord, ce que la reprise constatée de la consommation doit à la fermeture des cantines scolaires et de la restauration collective : 1,8 million d'enfants sont nourris à la maison plutôt qu'à la cantine, donc les courses se font dans le commerce. Les hypermarchés ont été très touchés par la crise sanitaire, ils sont loin d'avoir retrouvé leur niveau antérieur, il y a aussi les pertes de loyers dans les centres commerciaux, mais l'impression d'ensemble est que la consommation va tirer la croissance en retrouvant son rang. Au passage, je crois que la comparaison avec la consommation pendant le confinement n'est pas une bonne méthode pour pronostiquer la reprise, car le confinement a été une parenthèse, révélant des comportements de survie, où les consommateurs ont acheté à l'inverse de ce qu'ils faisaient jusque-là. C'était une période exceptionnelle.
Je crois aussi que le modèle français de consommation, plus qualitatif, donc plus rémunérateur pour les filières, va être conforté par la crise : aux critères de traçabilité et de maîtrise de l'approvisionnement vont s'ajouter des critères de sécurisation du produit, les consommateurs vont être plus exigeants sur les modalités de l'acte d'achat. Plus que d'une grande politique de soutien de la demande, nous avons besoin de recréer de la confiance et de l'attractivité sur les offres, pour que les Français dépensent leur épargne.
La crise a fait apparaître, ensuite, que les produits français sont plus chers - c'est un vrai sujet, en particulier pour les ménages qui ont moins de moyens. Au-delà de l'engagement citoyen, de la préférence pour le local, les protestations, voire l'agressivité, que l'on a constatées devant des fraises jugées trop chères, démontrent combien le prix est important. Nous avons donc certainement besoin de politiques publiques d'abord orientées vers les populations les moins aisées.
Outre mes responsabilités au Medef, je préside une entreprise de taille intermédiaire dans le B-to-B, qui réalise 800 millions d'euros de chiffre d'affaires par an - nous avons perdu 23,5 % de notre chiffre d'affaires dans les deux semaines de confinement de mars, puis 43,5 % en avril, avant de connaître une reprise au mois de mai. Nous devons faire preuve de prudence dans l'analyse, car la situation est inédite sur le plan mondial et, face à une situation à ce point exceptionnelle, nous sommes intellectuellement démunis.
Le Medef a présenté jeudi dernier une quarantaine de propositions, constituant une stratégie que nous avons appelée de « prise de confiance » pour refonder la croissance. Je n'entrerai pas dans la polémique, mais l'impréparation de l'État à une telle crise sanitaire, comme en témoigne le défaut de masques et de respirateurs artificiels, a obligé à arrêter l'économie plus brutalement et plus vite que dans d'autres pays. Ensuite, l'état de nos finances publiques réduit nos marges de manoeuvre - il suffit de comparer notre situation à celle de l'Allemagne pour s'en convaincre : nos voisins ont bien plus de moyens pour agir plus fort et redémarrer plus vite - le BTP a chuté à 10 % de l'activité normale, alors que l'Allemagne n'est jamais tombée en dessous de 80 %.
La consommation reprend, mais prudence sur les derniers chiffres, qui sont encore difficiles à interpréter. Certes, les terrasses sont pleines, car la population aspire à vivre comme avant. Mais les appréhensions sont là, d'ailleurs plus fortes pour les salariés et indépendants moins protégés que ne le sont les cadres, lesquels ont surtout télétravaillé quand les premiers étaient plus exposés. Ensuite, il y a la crainte du chômage et de la crise économique, des plans sociaux sont annoncés, ils influenceront beaucoup la mentalité des consommateurs, avec le risque qu'ils préfèrent conserver tout ou partie de l'épargne accumulée pendant le confinement.
Il faut libérer l'épargne au bénéfice de la consommation et de l'investissement. Nous faisons des propositions dans ce sens, en particulier le déblocage des réserves de la participation pour les salariés, un chèque-consommation réservé aux bas revenus, des avantages aux produits « verts ». Il faut aussi libérer l'épargne pour l'investissement public - les collectivités territoriales vont voir leurs ressources fiscales diminuer, alors qu'elles jouent un rôle décisif dans le financement des infrastructures - et libérer l'épargne pour venir au secours des entreprises - elles ont accumulé des dettes qu'elles auront parfois du mal à rembourser.
Les entreprises doivent mettre en place les consignes sanitaires, ce qui représente, selon nos estimations, 20 points de productivité : cela risque d'obérer leur capacité finale de remboursement. Or, les banques, qui n'ont pas de garantie de l'État pour le calcul de leurs ratios prudentiels, ne pourront pas porter les dettes indéfiniment ; il faut donc réorienter l'épargne vers l'économie. Nous proposons qu'un avantage fiscal soit fléché vers les quasi fonds propres des entreprises.
Il faut également penser au marché de l'emploi, en particulier aux 700 000 jeunes qui vont s'y présenter pour la première fois à l'automne. Nous proposons une exonération de charges d'un an pour tout premier contrat à durée indéterminée (CDI) à un jeune, c'est un avantage exceptionnel qui est à la mesure de la situation exceptionnelle que nous connaissons.
Concernant l'apprentissage, nous étions sur la bonne pente, avec 16 % de stagiaires en plus à la rentrée de 2019, mais bon nombre de chefs d'entreprise hésitent aujourd'hui à s'engager, même s'ils sont convaincus, intellectuellement, que l'apprentissage est une bonne solution. Il faut donc envoyer un signal fort, ou bien les jeunes concernés seront au chômage, avec un risque social et politique très important ; nous avons notre responsabilité envers la jeunesse.
Pour préparer le jour d'après, nous appelons à « refonder » l'économie. Nous avons mis en place un comité d'une vingtaine d'experts qui ne sont pas des chefs d'entreprise - la dimension européenne est décisive, car la France ne s'en sortira pas seule, voyez la taxe carbone. Nous avons identifié trois grands défis.
Le premier défi est celui des relocalisations : la réaction des consommateurs face au prix des fraises est symptomatique de ce qui va se passer, tout le monde veut de la relocalisation, mais elle doit être compétitive. Nous nous sommes félicités que 350 industriels français du textile aient adapté leurs lignes de production pour fabriquer des masques, mais à des prix cinq à six fois plus élevés que ceux qui sont produits en Chine. Demain, une fois la sidération passée, sera-t-on prêt à acheter des masques plus chers parce qu'ils auront été produits en France ? Cela vaut aussi pour l'acier, les médicaments, etc.
Ensuite, deuxième défi, il faut restaurer la compétitivité des entreprises françaises, ce qui nous renvoie au débat sur le partage de la richesse. Or on perd de vue que la France, après transferts sociaux, est le pays où la répartition est la plus égalitaire, et que nous détenons déjà le record pour les prélèvements obligatoires et pour la fiscalité du patrimoine. Nous devons renforcer les entreprises, mais ce n'est pas en envoyant d'emblée un signal négatif aux investisseurs que l'on y parviendra. Il ne faut donc pas tomber dans des débats décalés par rapport à l'urgence économique.
Enfin, troisième défi, le verdissement de notre économie : les entreprises sont mobilisées, mais cela a un coût. L'impératif écologique est incontournable, mais l'impératif économique et social l'est plus encore, d'où la nécessité de concilier les objectifs. Le rôle de l'Union européenne est déterminant, pour la taxe carbone, pour les financements.
Dans le débat sur le jour d'après, qui paraît bien franco-français, reste à savoir si notre modèle va être remis à plat, ou bien si nous allons vers un retour à l'identique : c'est un vrai débat.
Le vrai problème se posera à la rentrée, avec des échéances fiscales et sociales très importantes, et le critère à surveiller sera le niveau de rentabilité des entreprises. Je signale au passage que le crédit interentreprises s'est fortement contracté, alors qu'il est en temps ordinaire plus important que les crédits bancaires à court terme et qu'il a été en 2009 l'un des facteurs de la récession. Bercy réfléchit à un dispositif, en s'inspirant de ce qui se fait en Allemagne, pour donner plus de garanties aux assureurs-crédits - c'est une piste à suivre.
Enfin, la solution ne peut pas passer par plus de fiscalité, il faut tirer les enseignements des crises passées. En 2009, on a voulu rétablir les finances publiques en augmentant les prélèvements obligatoires, le résultat a été catastrophique. Nous pensons, pour notre part, qu'il faut élargir la base fiscale.
Je ne doute pas que vos propos vont faire réagir, en particulier leur côté quelque peu contradictoire consistant à demander plus d'intervention de l'État pour soutenir l'économie, même sectoriellement, avec moins de dette publique...
Je commencerai par dire que nous ne comprenons pas cette crise, car elle déborde nos catégories habituelles. D'ailleurs, les positions évoluent fortement : par exemple le Medef demande plus de dépenses publiques, plus d'aides sectorielles, mais sans hausse de la fiscalité. Au moins l'utilisation d'outils publics fait-elle consensus, comme la dette à court terme. Nous savons aussi que cette crise n'est pas comparable à celle de 2008 ni celle de Mai-68, encore moins celle de 1929. Les observateurs ont du mal à s'entendre sur les chiffres de la décrue - les écarts raisonnables vont de -8 % à -11 % du PIB, alors que cette donnée est essentielle pour les finances publiques.
Cette crise est inédite, ensuite, parce que l'État a bien réagi, en copiant le dispositif allemand de chômage partiel, qu'il a appliqué à 8 millions de salariés : il a ainsi assuré le revenu des ménages, même si celui-ci a décru de 7 % en moyenne, quand la consommation a chuté de 30 %. L'épargne a donc augmenté de 80 milliards d'euros, ce qui en fait une variable clé : quelle fraction de cette épargne retournera-t-elle dans les commerces, dans l'activité ? Avec le fonds d'aide et l'assurance chômage, l'État a été keynésien à juste titre, en limitant les pertes de revenus pour les ménages ; reste que la capacité de financement des entreprises a diminué et qu'il faut maintenant éviter les faillites.
Pour suivre l'évolution de la consommation, l'Insee a construit des données très fiables, en utilisant les données des cartes bleues en temps réel à l'échelle internationale, des données beaucoup plus solides que celles qui ont été élaborées dans d'autres pays. On constate que la chute d'activité par secteur est très hétérogène, certains d'entre eux étant particulièrement touchés par une forte chute de la demande - chacun a en tête les transports et le tourisme. En revanche, l'agriculture, les industries agroalimentaires, les administrations publiques sont contraintes par l'offre, plutôt que par la demande.
L'activité a chuté de 32 % avec le confinement, puis elle reprend avec le déconfinement, à un rythme plus important que ce que l'on pensait, ce qui parait valider l'hypothèse de l'accélération d'un retour à la normale. Cependant, n'aura-t-on assisté qu'à une baisse de l'activité, ou bien un nouveau mode de consommation est-il en gestation ? Le recul du PIB sera-t-il de 8, 10 ou de 12 points ? On n'en sait encore rien.
Les idées pour conforter la reprise sont très nombreuses : les éco-chèques, des prêts à taux zéro, voire négatifs, les recapitalisations, les primes à l'embauche... mais comme chacune a un coût, il nous faut une doctrine claire, qui explicite le besoin de soutenir simultanément la demande et l'offre. L'opposition des politiques d'offre et de demande constitue une faillite intellectuelle dont nous avons déjà fait les frais.
Nous devons maintenant éviter le plus grand nombre de faillites, ce sera la clé de la reprise. Nous ne les éviterons pas toutes, et il faut, autant que possible, réallouer les moyens vers l'économie verte.
Du côté des ménages, il faut sortir très progressivement du chômage partiel, rassurer sur les contraintes budgétaires à venir, sinon l'épargne que les Français ont constituée durant le confinement, faute de pouvoir consommer, va devenir une épargne de précaution.
Par ailleurs, la question des inégalités est décisive : il faut intégrer au débat public le fait que les plus pauvres, les jeunes, les non-qualifiés subissent la crise sanitaire bien davantage que les autres - il faut en débattre et trouver des solutions, c'est même une condition de la confiance, donc de la cohésion.
Côté entreprises, la chute de l'investissement est réelle. Nous estimons qu'elles ont perdu le quart de leurs liquidités, et que la vague de faillites va toucher entre 75 000 et 100 000 entreprises, allant bien au-delà du pic de 2013, avec 63 000 faillites. Il y aura des pertes d'emplois, en particulier peu qualifiés, dans des territoires déjà fragiles. Nous proposons en conséquence d'utiliser les outils des politiques de l'offre, qu'ont déjà utilisés nos voisins allemands, consistant à payer des coûts fixes des entreprises, comme les loyers, pour un montant de 10 à 17 milliards d'euros.
Enfin, nous proposons une organisation sectorielle pour adapter le tissu productif, en intégrant la contrainte environnementale.
Quel monde d'après ? Nous vivrons dans un monde davantage endetté, la résorption des dettes publiques sera l'un des enjeux majeurs de la décennie à venir. On nous disait que la France serait en faillite si sa dette atteignait 60 % de son PIB - nous sommes à 120 % : il faudra nous dire qui s'est trompé. La véritable question, c'est celle de savoir quelle est la bonne dette : une dette de croissance, d'investissement, et non pas une dette liée à la mauvaise gestion de l'État. Il faudrait identifier la dette spécifiquement liée à la Covid-19, acter cette dette plutôt que de se laisser polluer par le Debt overhang, comme disent les Anglo-Saxons, c'est-à-dire une situation où l'on est tellement endetté qu'on ne peut plus investir. Cette dette additionnelle étant bien circonscrite, on saurait mieux de quoi l'on parle, pour mieux orienter le débat vers la qualité de la dépense publique. Il faut sortir d'une logique seulement comptable, dédramatiser la dette, pour parvenir à des compromis acceptés.
Nous sommes entrés dans un monde durablement endetté - tous les pays le sont, à un niveau jamais atteint. Pour absorber la dette publique, je crois donc qu'il faut augmenter la base fiscale par le développement économique, comme on l'a fait pendant les Trente Glorieuses.
Notre tissu entrepreneurial a besoin de mesures d'urgence. Or l'État français, au contraire de l'Allemagne, n'a pas proposé de prêt garanti par l'État (PGE) à 100 % pour les TPE-PME. L'iFRAP suggère de l'envisager dans le troisième projet de loi de finances rectificative. Nos entreprises sont davantage endettées qu'en Allemagne, en Espagne ou en Italie. Nous proposons un PGE remboursable à plus long terme : les Allemands ont retenu une durée de dix ans, dont deux sans aucun remboursement. Cela permettrait aux entreprises de continuer à investir et de se développer sans craindre le poids des échéances.
Autres propositions : une comptabilisation différente de la dette au titre des PGE dans l'endettement des entreprises, et la suspension de la priorité accordée au Trésor public et aux Urssaf dans la récupération des créances auprès de celles-ci. Je ne reviendrai pas sur la question du suramortissement, déjà évoquée. Nous proposons aussi une restitution du carry back - report des déficits - mis en place pendant la précédente crise.
L'État français, au contraire d'autres pays, demande des contreparties au financement du chômage partiel, puisque le taux de prise en charge augmente en cas d'accord d'entreprise. Attention à cette logique : nous avons déjà constaté que les contraintes imposées aux plans de maintien dans l'emploi empêchaient parfois la conclusion de ces plans, avec pour conséquence un plus grand nombre de faillites.
J'estime que les problèmes n'auront pas changé lors du jour d'après, le premier d'entre eux étant une sur-fiscalité qui pèse énormément sur les entreprises : 431 milliards d'euros de prélèvements obligatoires en 2018, soit 18,4 points de PIB et un écart de 100 milliards d'euros avec la moyenne de la zone euro. La trésorerie des entreprises françaises en a souffert et elles sont entrées dans la crise plus endettées que leurs homologues européennes. La fiscalité de production - cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), cotisation foncière des entreprises (CFE), imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER), taxe transport - représente 70 milliards d'euros prélevés avant même d'avoir réalisé des bénéfices. La fondation iFRAP propose une baisse de 30 milliards d'euros de cette fiscalité d'ici à 2024, ce qui créerait plus de 400 000 emplois.
Entre 500 et 600 000 emplois seront détruits d'ici à la fin de l'année. Produire et consommer français, recréer de l'emploi sur notre territoire ne sera possible que si la production se fait à des prix raisonnables. Seule la baisse des taxes à la production peut créer de l'emploi marchand. C'est pourquoi il convient de réduire la CVAE et la CFE, de supprimer la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) et de baisser encore les charges, et pas seulement sur les bas salaires. En effet, la baisse de charges sur les bas salaires ne fonctionne qu'à court terme. Pour créer des emplois à valeur ajoutée et relancer la production industrielle en France, il faut aller au-delà du seuil de 1,6 SMIC. Nous proposons une baisse de 7 milliards d'euros. La France s'est trop longtemps appuyée, notamment dans le tourisme, sur un modèle reposant sur les emplois peu qualifiés et les petits boulots. En Allemagne, 20 % du PIB est lié à l'activité industrielle, ce qui permet au pays de rebondir plus vite. Les Allemands ont moins freiné leur production : beaucoup d'entreprises y tournaient à plein durant le confinement.
La question du temps de travail a fait l'objet de débats passionnés. Nous ne voulons pas faire travailler tout le monde davantage, mais créer de la flexibilité. Les mesures prises pendant le confinement, avec la possibilité de travailler jusqu'à 60 heures dans une semaine et 48 heures sur douze semaines, vont dans le bon sens. Il convient d'être à l'écoute de la situation des entreprises.
Le coût de production de nos services publics est considérablement supérieur à celui de nos voisins européens : l'écart est de 84 milliards d'euros par an avec la moyenne constatée par l'OCDE dans vingt pays européens. Décentraliser les missions de service public serait une source d'économies considérable.
Comme l'a souligné M. Ragot, chaque euro d'argent public doit être dépensé avec efficience. La France dépense 15 milliards d'euros de plus que l'Allemagne pour l'hôpital public, or nos voisins ont davantage de lits de réanimation parce que la gestion de l'hôpital public est décentralisée au niveau des Länder, qu'il n'y a pas de fonction publique hospitalière en Allemagne, que le public et le privé collaborent et que le temps de travail n'est pas le même. L'iFRAP a chiffré le coût de production de la sécurité sociale à 42 milliards d'euros. Il est possible de faire des économies importantes sur le fonctionnement de nos services publics, en décentralisant notamment la gestion de l'école et de la santé. La crise sanitaire nous a montré qu'il fallait une gestion beaucoup plus locale.
Le fait que notre ratio de dette se dirige vers les 120 % est préoccupant. Le problème n'est pas la dette liée au Covid, mais la dette d'hier. Les Pays-Bas, l'Allemagne ne sont qu'à 70 % du PIB, parce qu'ils ont travaillé, en période de croissance, à une réduction des déficits et à la constitution d'un excédent primaire. Nous n'avons pas fait ce choix, et cette dette accumulée nous pénalise. Il conviendrait d'inscrire dans la Constitution un frein à l'endettement : c'est ce frein qui a permis aux Allemands de se montrer plus forts dans la crise, avec un apport budgétaire bien plus important. La France, elle, a conservé un endettement structurel de 50 milliards d'euros.
Nous allons nous endetter beaucoup à court terme ; il faudra renoncer à des créances sur charges et sur impôts des entreprises, étaler les remboursements. Assainissons nos finances publiques pour ne pas nous retrouver, dans une prochaine crise, encore plus fragiles.
Monsieur Leclerc, quelle est votre réaction aux propos que vous avez entendus ? Quels sont les investissements nécessaires et dans quels secteurs ?
J'achète le plan de M. Ragot ! Il est très structurant, en isolant une « dette Covid » qui permet de penser plus sereinement, en dehors de l'urgence, un plan plus ambitieux de relance et de conversion de notre économie. La crise est une opportunité pour « resetter » la politique d'investissement, et accélérer la transition vers une économie plus verte.
La politique de la demande doit être concentrée sur les populations les plus touchées financièrement et psychologiquement. C'est pourquoi un déconfinement très progressif est nécessaire. Le chômage partiel a des avantages financiers, mais cela revient aussi à appliquer le label « chômeur » à des chefs de famille, des femmes au foyer, d'où un problème de stigma fragilisant le retour de la confiance. Heureusement que le projet de réforme des retraites a été enterré : il créait une insécurité supplémentaire quant à l'avenir.
Il faudra aussi faire évoluer les revenus du travail, pour redonner l'envie de travailler. Une injonction contradictoire se dessine avec le besoin de compétitivité des entreprises. Une controverse récente sur le sujet a opposé Laurent Berger et le président du Medef. Pendant la crise, l'État a pris beaucoup de mesures d'assistance, développant les revenus de transfert, sans se pencher sur la valorisation du travail. Or c'est une source de revenus de long terme, qui a contribué à la modération de l'absentéisme dans les entreprises. Ne pas pouvoir s'identifier à une qualification, à un parcours dans une entreprise me semble très problématique, même si le sujet reste tabou à l'iFRAP ou au Medef... Les centres Leclerc distribuent 25 % du bénéfice avant impôt sous forme d'intéressement, de participation ou de gratification, mais encore faut-il avoir du bénéfice à redistribuer ! Je suis très attaché à cette idée de la participation défendue en leur temps par les gaullistes sociaux, tels que René Capitant ou Louis Vallon. La revalorisation des bas salaires est nécessaire, car les transferts de l'épargne vers la consommation ou l'investissement supposent, chez les salariés, la confiance retrouvée dans le futur.
Quant aux investissements, j'estime qu'il faut fixer les ambitions avant d'aller chercher les moyens. Tous les économistes, de Patrick Artus à Jacques Attali, soulignent qu'avec le vieillissement des populations la médecine et la santé seront, demain, un vecteur de croissance considérable. C'est pourquoi il est nécessaire d'y investir massivement.
Deuxième secteur essentiel, la mobilité et les transports : il y a vingt-cinq ans, j'ai fait raccorder tous les entrepôts Leclerc au réseau de la SNCF. Aujourd'hui, l'herbe pousse sur les voies... Il faudrait pourtant réorganiser le transport de marchandises de manière plus verte et économe en énergie, en insistant sur le réseau ferré.
Sur le tourisme enfin, nous avons de très fortes concentrations dans certaines zones touristiques, mais il reste des gisements de consommation et d'investissement considérables.
Il faut distinguer le jour d'après du jour de « juste après » : il conviendra d'abord de limiter les faillites par des allégements de charges et des aides à la trésorerie, sans confondre ces mesures avec les investissements nécessaires pour le futur. Ces investissements peuvent être financés par la dette. Les Grecs ont été mis à genoux pour des questions de principe, or nous traitons le sujet aujourd'hui comme si la dette était illimitée. Ne retombons pas dans l'ornière de l'analyse comptable, et commençons par concevoir des projets d'investissement.
Je discerne dans vos propos, monsieur Martin, une injonction contradictoire : d'un côté, on professe une attention aux collectivités territoriales, qui représentent 70 % de l'investissement public en France, et, de l'autre, on prône une baisse des impôts de production, source précieuse de recettes pour ces mêmes collectivités.
Le Medef n'a pas renoncé à l'orthodoxie en matière de finances publiques, mais la situation est exceptionnelle. Fait sans précédent, ce sont les États qui ont mis les économies à l'arrêt. Il n'est pas choquant que la collectivité assume financièrement ces décisions. En situation d'urgence, le pragmatisme doit l'emporter. Pour autant, je partage entièrement la position de Mme Verdier-Molinié sur l'efficience de la dépense publique : la question doit être posée.
Concernant l'assiette et la destination des impôts de production, nous tournons en rond depuis trop longtemps. Le ministre de l'économie, Bruno Le Maire, répète que les impôts de production sont un contresens économique et social, mais nous entendons aussi les associations d'élus locaux, qui estiment que les collectivités territoriales, plus gros investisseurs publics, ne doivent pas être la variable d'ajustement.
Il serait paradoxal de considérer que l'État, qui a arrêté l'économie et démontré certaines faiblesses durant la crise sanitaire, doive désormais administrer l'économie française de A à Z. On voit poindre chez certains, dans la fonction publique, mais aussi au sein de certaines écoles de pensée, l'idée que tout doit être collectivisé. Ce serait extrêmement dangereux à nos yeux. Nous soutiendrons l'amélioration envisagée du projet de loi Décentralisation, différenciation, déconcentration, dit 3D : à la lumière de la crise, il est plus urgent que jamais de donner du pouvoir de décision et d'action aux acteurs les plus proches du terrain, entreprises ou collectivités. Inversement, faire entrer l'État dans le capital de certaines TPE et PME au motif de transformer les PGE en quasi fonds propres introduirait des lourdeurs de fonctionnement inutiles. C'est à l'État de compenser, avec une visibilité dans le temps, ce que les collectivités territoriales perdraient en impôts de production. Ces impôts sont un véritable boulet qui pourrait devenir insurmontable.
Je crois à la consommation responsable, et, à entendre M. Leclerc, je ferai mes prochaines courses dans ses magasins !
En 2010, la dette publique allemande représentait 90 % du PIB, comme pour la France ; elle est descendue à 60 %. On attribue cela à l'importance de la base industrielle, et à la présence moindre de l'État. Mais quelles en sont les raisons ? La singularité de l'Allemagne est, à mes yeux, la qualité du dialogue social au sein de l'entreprise. Pour dire les choses abruptement, on a les syndicats qu'on mérite. Comment réinvestir le dialogue social en France ? La participation y suffit-elle ? Faut-il aller vers la cogestion ? Depuis 2013, les conseils d'administration des entreprises de plus de 5 000 salariés comptent deux représentants des salariés, ce qui reste insuffisant. C'est ainsi que nous réintègrerons le sanitaire au niveau de l'entreprise.
Il est vrai que le dialogue social est moins judiciarisé en Allemagne qu'en France ; mais c'est le fruit de la reconstruction dans ce pays, après la guerre, d'un véritable modèle de cogestion devenu aujourd'hui un outil de puissance, car l'Allemagne est, au niveau international, le pays qui sort le plus fort de la crise sanitaire.
L'appropriation sanitaire et environnementale doit ainsi se faire au niveau de l'entreprise. L'État est très présent en France parce qu'il est l'assureur en dernier ressort quand le dialogue social a échoué. C'est pourquoi il faut réinvestir le paritarisme, plutôt que d'en faire le deuil. Voilà un avis personnel, et non scientifique, sur la question.
Sur les impôts de production, un consensus se dégage. Mais comment financer leur réduction ? Les différentes instances comme le Conseil d'analyse économique, dont je fais partie, ont pour doctrine de déterminer comment une augmentation de la dépense publique doit être financée. En 2013, la hausse de 2 % des prélèvements obligatoires, conçue pour contrôler la dette mais mal ficelée, a engendré le mouvement des Pigeons et mis le pays à l'arrêt. Cela montre que l'acceptabilité sociale de l'impôt est cruciale ; c'est pourquoi la question fiscale doit être politisée, la structure de la fiscalité doit être justifiée. Pour ma part, j'estime qu'il faut compenser la baisse des impôts de production, dans un premier temps, par une baisse moindre de l'impôt sur les sociétés.
Quant à la dette Covid, il conviendrait de procéder comme pour la sécurité sociale : la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) a permis de gérer cette dette grâce à la création d'un impôt intelligent. Dans le nouveau monde, les taux d'intérêt sont négatifs. Il convient donc de lisser dans le temps le remboursement de la dette liée au Covid, en définissant pour cela un impôt ad hoc avec, comme pour la contribution sociale généralisée (CSG), un taux faible et une assiette sociale aussi large que possible. Cet impôt serait présenté aux Français comme un impôt de reconstruction. C'est ce qu'ont fait les Allemands après la réunification, en créant un impôt pour assurer des transferts financiers à l'Est.
Je ne crois pas que le montant modéré de la dette allemande ne soit attribuable qu'à un meilleur dialogue social dans les entreprises. Nos syndicats sont traditionnellement axés sur l'augmentation des impôts. Durant le confinement, la CGT a demandé la fermeture d'usines dont elle considérait l'activité comme non essentielle et lancé un appel à la grève. Il va falloir changer les habitudes et le positionnement de nos syndicats. Les Allemands ont une dette moins importante parce qu'ils ont repoussé le départ à la retraite à soixante-sept ans, mis en place des freins à l'endettement, évalué l'effet de chaque euro public dépensé. Enfin, leur Parlement est très mobilisé sur le sujet.
Nous proposons que, pour compenser la baisse des impôts de production, les collectivités territoriales reçoivent une part de l'impôt sur les sociétés. Des élus locaux m'ont confié qu'il leur semblait plus facile de taxer la production que les bénéfices parce que les bénéfices n'étaient pas certains... Il faut rétablir la confiance dans le tissu entrepreneurial. Les collectivités ayant compensé chaque baisse de charges par une augmentation des taxes sur la production, la fiscalité des entreprises n'a pas baissé entre 2012 et 2018. Si nous ne nous endettions que pour investir, notre dette serait beaucoup plus faible ; mais nous le faisons pour financer le fonctionnement de nos administrations.
L'iFRAP propose de donner la possibilité à l'État de s'endetter sur cinquante ou quatre-vingts ans, voire davantage, pour éviter un mur de la dette en 2023, date d'échéance d'une partie importante de la dette publique.
Je ne suis pas favorable aux impôts nouveaux. N'assimilons pas les baisses d'impôts à une augmentation de la dépense publique : nous sommes le pays le plus imposé au monde. Augmenter les dépenses sociales est une solution de facilité, mais nous sommes déjà à 34 % du PIB. Gonfler la sécurité sociale a toujours été considéré comme un moyen de pallier les problèmes de l'économie. Mettons fin à ce système.
Pour construire un avenir commun, repousser l'âge de la retraite est nécessaire, si l'on veut éviter d'augmenter les impôts. Les pays qui ont le mieux tenu dans la crise, comme les Pays-Bas ou l'Allemagne, ont travaillé davantage, évalué toute dépense nouvelle, apprécié l'impact sur l'emploi de chaque loi votée. Ne restons pas dans l'ornière française, avec des aides sociales qui s'accumulent sans régler les problèmes.
Merci à nos invités, qui ont formulé des propositions très intéressantes. Monsieur Martin, vous avez souligné que produire en France coûte plus cher que produire à l'étranger. Comment faire accepter les hausses de prix qu'entraîneront les relocalisations dans les secteurs coûteux en main-d'oeuvre ? Les baisses de charges et d'impôt sur les sociétés suffiront-elles à les contenir ?
Les relocalisations supposent une grande disponibilité de main-d'oeuvre qualifiée. Sera-t-il possible de la recruter et de la former ? Faciliter l'embauche des jeunes aura-t-il un effet durable, au-delà des effets d'aubaine souvent constatés ?
Beaucoup pensent qu'une relance dynamique passe par la décentralisation ; le président du Sénat lui-même l'a souligné ce matin. Antoine Frérot, président de l'Institut de l'entreprise, propose de transformer les comités de conciliation existants en comités de relance territoriale.
Avant la réimplantation d'entreprises, le principal est de convaincre les entreprises présentes sur notre territoire de ne pas aller s'implanter à l'étranger. Cela implique des investissements rentables et à long terme dans l'aéronautique, l'agro-alimentaire et l'industrie en général.
Il faut également régler le problème de cette concurrence qui pénètre en France, surtout dans le domaine de l'agro-alimentaire, sans nécessairement respecter les normes européennes. Les Douanes et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ne répondent pas à nos questions sur ce sujet. Notre pays doit être mieux défendu et l'Europe doit se montrer plus proactive.
Enfin, nos agriculteurs ont besoin de valeur ajoutée ; espérons que la grande distribution, à commencer par Leclerc, saura les accompagner.
Les participants ont évoqué la nécessité de soutenir la consommation des bas revenus, de libérer l'épargne, de rassurer les ménages, de restaurer la confiance. Ce grand quotidien libéral qu'est le Financial Times observait récemment que des outils considérés jusqu'à récemment comme excentriques devront désormais faire partie du mix de mesures pour amortir les chocs économiques et relancer l'économie. Ainsi, le revenu de base universel fait son retour dans le débat public. Pour certains, il doit être temporaire, pour d'autres permanent. Une partie des économistes estime que la baisse des taux d'intérêt a atteint ses limites, d'où la nécessité d'un tel revenu de base pour soutenir la consommation. Nous en voyons les prémices au Canada, au Japon, en Espagne. Quel est votre avis sur cet instrument ?
Merci d'avoir organisé cette table ronde. J'avais des doutes sur le monde d'après, mais je suis rassuré : le monde d'après sera comme le monde d'avant, avec de bonnes mesures libérales de baisse d'impôts et de compression de la fonction publique.
Cependant, il y a quelques contradictions... J'ai lu les quarante propositions du Medef, et à la page 25 du rapport, figurent des mesures de relance de la consommation presque keynésiennes ! Mais vous vous arrêtez au milieu du gué. Le partage de la richesse créée est un sujet qui se pose avec force. Il se posait déjà au moment de la crise des « gilets jaunes ». C'est à ce moment-là qu'il fallait augmenter les salaires, y compris les petits salaires. Est-ce le moment d'augmenter les salaires - notamment des caissières, M. Leclerc - et si oui, à quel niveau ? Car si l'on reste dans un choc d'offre, on ne relancera pas l'économie.
Je partage l'avis d'Agnès Verdier-Molinié sur les PGE. Nous avons besoin de soutenir les entreprises. Néanmoins, vous demandez à la fois moins d'intervention de l'État et un soutien massif en temps de crise... C'est contradictoire. Certes, c'est l'État qui a arrêté l'économie, mais déjà en 2008, vous faisiez appel à l'État, alors que la crise était avant tout financière... Paul Pairet, célèbre restaurateur de Shanghai, rappelait que, en Chine, les restaurateurs avaient été beaucoup moins aidés qu'en France, et qu'il y avait de nombreuses fermetures. Ce que vous appelez des charges, ce sont des cotisations et des impôts qui permettent de financer notre modèle social, qui garantit une protection globale...
Je pensais que la crise sera un électrochoc, mais nous refaisons encore les mêmes erreurs... La dette était de 2 350 milliards d'euros avant la crise, elle augmentera de 350 à 400 milliards d'euros ; sur les 7 milliards d'euros de cotisations sociales qui serviront à payer 6 milliards d'euros de retraites, le mois dernier, nous n'avons eu que 3,6 milliards d'euros de recettes. Nous n'avons pas les moyens de payer nos retraités à la fin du mois.... Avec plus de 2 500 milliards d'euros de dette, à chaque point de taux d'intérêt supplémentaire, nous prendrons plus de 21 milliards d'euros d'intérêts supplémentaires. Nous devrons faire de sacrées prières pour que les taux d'intérêt restent bas, sinon les problèmes seront énormes. Nous avons fait prendre conscience aux Français que la dette n'était pas un problème, et qu'on peut l'augmenter comme par enchantement.
En 1980, il y avait 3 millions de fonctionnaires. Il y en a 5,2 millions actuellement, ce qui représente 154 milliards d'euros de masse salariale. Or le nombre de fonctionnaires contraint l'investissement et limite l'esprit d'entreprise.
Il est paradoxal de demander de relancer la consommation, et d'acheter encore plus à l'étranger. Car nos entreprises sont peu compétitives en raison des impôts et des normes. En France, on en rajoute en permanence... Le message devrait être plus clair et plus courageux. Il faut décentraliser au plus près du terrain, redonner du sens au travail par le mérite et surtout relancer uniquement par l'investissement, pour retrouver compétitivité et production.
Je partage l'analyse d'Agnès Verdier-Molinié sur la fiscalité des impôts de production, mais ceux-ci sont aussi des ressources fiscales. Comment faudrait-il moderniser la fiscalité pour davantage capter les activités réalisées sur des plateformes numériques ? Ce serait plus juste et équitable.
Vous évoquiez l'efficience des dépenses publiques. Que pensez-vous de la future décentralisation ? La crise sanitaire a mis en évidence la fragilité de l'hôpital public et du système de santé, mais nous sommes le pays mobilisant le plus de moyens - 200 milliards d'euros et 80 milliards d'euros pour l'hôpital public. Comment pourrait-on renforcer la gouvernance locale ?
Monsieur Leclerc, vous savez que notre agriculture va mal. Un agriculteur sur quatre vit en dessous ou à la limite du seuil de pauvreté. Je travaille avec Henri Cabanel sur la question du risque de suicide et la détresse des agriculteurs. La grande distribution et l'industrie agroalimentaire devraient avoir un rôle à jouer pour combattre ce malaise, et ne le jouent pas. Quelles solutions proposeriez-vous ?
Vous constatez un mouvement des consommateurs vers le low cost, faute de mieux. Monsieur Ragot, ne faudrait-il pas penser à mettre en place une sécurité sociale alimentaire, de l'ordre de 150 euros, pour acheter des produits alimentaires conventionnés, de qualité, de proximité, de saison, respectueux de l'environnement et des revenus des agriculteurs ? Cette idée semble faire son chemin...
Madame Verdier-Molinié, vous mettez en évidence la forte réactivité des collectivités territoriales. Selon vous, il faudrait plus de décentralisation, et s'inspirer du modèle de péréquation italien, étudié dans un rapport d'information du Sénat. Cependant, il faudrait définir un niveau minimum de service public local, ce qui est difficile à mettre en oeuvre. Ne serait-ce pas nuire à la liberté des collectivités et donc à la décentralisation ?
Mme Verdier-Molinié milite pour une dette sur le plus long terme ; les taux d'intérêt actuels s'y prêtent particulièrement. Mais n'est-ce pas un pari assez dangereux si les taux d'intérêts directeurs remontent ?
Monsieur Leclerc, de nombreux producteurs français, notamment laitiers, souffrent en raison d'un changement de consommation. Pour inciter à la consommation de produits made in France, envisagez-vous la mise en place d'un fonds de solidarité créé par la grande distribution ?
Par ailleurs, je n'ai pas entendu parler des 35 heures, qui obèrent la compétitivité des entreprises et de l'administration depuis plus de vingt ans...
L'inégalité d'accès aux produits de première nécessité, notamment pour les jeunes et les plus modestes, n'est pas assez mise en avant dans le débat actuel. Après l'épisode des « gilets jaunes », cette crise risque d'aiguiser des tensions sociales qui dureront longtemps.
Monsieur Ragot, vous avez évoqué la baisse de la TVA. Quels seraient les secteurs prioritaires ? Comment s'assurer qu'elle profitera aux ménages les plus modestes ?
Monsieur Martin, au sein de la cellule de veille sur les conséquences de la pandémie sur le tourisme, nous avons proposé l'élargissement du dispositif de chèques-vacances. Quel impact cela aurait-il sur la consommation ?
Monsieur Leclerc, les Français n'ont jamais autant épargné. Il y a eu des flux nets de 20 milliards d'euros pour les dépôts à vue et 17 milliards d'euros pour les dépôts rémunérés. Les crédits à la consommation sont renégociés. Cette épargne est-elle de circonstance ou de précaution ? Quels outils mettre en place pour que cet argent que les Français ont accumulé puisse accélérer le plan de relance ?
M. Ragot s'interrogeait sur la manière dont seraient utilisés les 80 milliards d'euros accumulés en quatre mois. Ne faut-il pas orienter l'épargne vers des investissements durables, à partir de livrets adaptés, plus performants, pour flécher vers des entreprises qui sont concrètement engagées dans cette transition ?
Ne faudrait-il pas reconsidérer les critères d'évaluation de la richesse à l'aune des enjeux sociaux et environnementaux, et avoir des indicateurs plus larges et opérationnels ? On ne peut résumer la prospérité au seul PIB. Il faudrait peut-être aussi repenser la structure du budget de l'État et mettre en place des normes IFRS - International Financial Reporting Standards - révisées pour les entreprises, afin qu'elles intègrent les enjeux de la transition écologique. Cela déboucherait sur une autre façon de voir la prospérité commune.
Monsieur Leclerc, comptez-vous augmenter la part de vos achats aux producteurs locaux ?
J'apporterais une petite nuance aux propos de Xavier Ragot sur le dialogue social en France. La cogestion allemande est un mythe, car, dans le Mittelstand, poumon économique allemand, il y a très peu de cogestion.
Le Medef est favorable à une autonomie des partenaires sociaux. Nos syndicats ont plus d'adhérents dans le secteur public que dans le secteur privé, avec des logiques différentes. C'est un simple constat, sans jugement de valeur. Du coup, ils plaident pour un renforcement du service public et une hausse des prélèvements obligatoires. L'État nous déresponsabilise, en faisant savoir, pour l'assurance chômage, que c'est lui qui décide in fine ; cela conduit les partenaires sociaux à se défausser sur lui. Il garantit les dettes sociales, comme celle de l'Unedic, qui est issue de décisions de l'État.... Si l'église était remise au milieu du village, les partenaires sociaux seraient plus responsables. Durant la crise, le dialogue social a été, en moyenne, de bonne qualité, et a beaucoup contribué à la reprise d'activité des entreprises - bien plus que les protocoles du ministère du travail. Certes, il y a eu quelques attitudes jusqu'au-boutistes de certaines fédérations de certains syndicats...
Jeudi dernier, vous avez adopté un projet de loi pour développer de nouveaux types d'activité partielle, qui reprend une initiative du secteur de la métallurgie et du Medef, mais il n'y a eu aucune concertation avec les syndicats. Les centrales syndicales s'en sont d'ailleurs émues dès le vendredi matin...
Je suis très favorable au développement des chèques-vacances et des tickets restaurant. Mais actuellement, il faut que les chèques soient abondés non pas par les entreprises, mais par les pouvoirs publics, en les ciblant sur la filière touristique.
Nous nous réjouissons que le secteur du transport de voyageurs bénéficie du chômage partiel. Les secteurs culturels et événementiels sont largement impactés. Les pouvoirs publics doivent soutenir la consommation vers ces secteurs, qui ne creuseront pas le déficit commercial.
Il n'est pas paradoxal de demander à l'État à la fois de réduire ses dépenses et d'intervenir. Ce serait un comble, dans le pays le plus dépensier et le plus taxé, s'il n'intervenait pas ! Les entreprises ont moins de trésorerie et plus de dettes. Nous proposons que l'État soit mieux géré pour qu'il ait moins besoin de ponctionner les entreprises.
Oui, nous voulons plus de décentralisation. Les pays ayant réussi à moins confiner sont davantage décentralisés ; les décisions y ont été prises localement à partir de bonnes remontées de terrain. En France, nous avons vu les débats entre les maires qui voulaient imposer le port du masque et les préfets le refusant, selon les directives de l'État, sans compter l'avis des agences régionales de santé (ARS), alors que les régions n'ont pas eu voix au chapitre. Il y a un débat sur la répartition des compétences. À terme, les régions devraient piloter la santé et l'éducation. Nous aurions été plus réactifs avec une structure plus décentralisée. Mais souvent, l'État ne décentralise qu'une petite partie de ses missions. Ainsi, il a décentralisé le nettoyage, la cantine des lycées, mais pas le recrutement des professeurs. Cela ne doit plus continuer ainsi. L'agilité, c'est agir au plus près des citoyens. Il faut un nouvel acte de décentralisation.
Le modèle italien valorise les bons gestionnaires. En France, quand une collectivité locale est bien gérée, on lui coupe ses crédits au lieu de valoriser les bonnes pratiques. Nous avons comparé les actions menées par les collectivités. Il est possible de baisser la fiscalité et la dette tout en investissant ; de nombreuses communes l'ont fait.
Pour l'utilisation des milliards d'euros d'épargne, l'investissement doit prédominer. Nous devons faire passer des mesures incitatives pour favoriser l'IR-PME, qui existe déjà, mais l'amendement pour le revaloriser n'a jamais été vraiment appliqué. Il faut l'augmenter pour que des particuliers puissent déduire de l'impôt sur le revenu (IR) les sommes importantes qu'ils investissent en capital dans des PME. Il faut aussi faire un moratoire sur les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) ou gratuit (DMTG) pour aider l'investissement dans l'immobilier. On pourrait ainsi ne pas taxer les donations entre générations pour favoriser la circulation de l'épargne entre générations. Les retraités sont la catégorie qui a perdu le moins de revenus durant la crise. Cette exonération pourrait durer entre plusieurs mois et un an et demi. Ainsi, les jeunes générations pourraient investir.
Merci pour ces échanges très intéressants qui m'ont personnellement enrichi.
Nous avons beaucoup travaillé avec les agriculteurs et toute la chaîne alimentaire durant la crise. Nous échangions tous les jours à quatorze heures avec Christiane Lambert, Richard Girardot, président de l'Association nationale des industries alimentaires (Ania) et les patrons de l'industrie agroalimentaire comme ceux de Danone ou Lactalis ; chacun apportait sa contribution. Nous avons beaucoup travaillé pour la promotion des produits agricoles français, dans une période difficile en raison des problèmes météorologiques, des indisponibilités ou des ruptures d'approvisionnement. Nous avons été très critiqués sur le fait que de nombreux produits, notamment les fruits et légumes, étaient plus chers pour ces raisons.
Il n'y aura pas de problème pour revaloriser les productions agricoles si les producteurs développent des signes de qualité, visibles, justifiant des différences de prix. Cela a été très bien fait par la filière viticole : les foires aux vins ou autres caves dans les hypermarchés rencontrent un grand succès. On y trouve des vins d'entrée de gamme à 4,5 euros la bouteille, tout comme des grands crus à plus de 100 euros. La viticulture française n'a plus peur des importations. Pour avoir l'air correct, nous présentons aussi des vins italiens, néozélandais, etc., mais ils sont peu vendus. La production française a su travailler sur la valeur ajoutée par ses signes de qualité.
Pour favoriser la production française, le problème est moins le financement que la nécessité que l'agriculture investisse dans la valorisation et la transformation des produits, plutôt que de laisser cela à l'industrie agroalimentaire, et qu'elle améliore la traçabilité. Pour être vendu, le porc breton ne doit pas uniquement miser sur l'origine, mais sur sa qualité, pour que le consommateur alsacien l'achète. C'est ce que nous voulons promouvoir.
Le revenu universel est une question intéressante. La relocalisation et la réindustrialisation se feront avec des impôts de production élevés ; cela donnera un coup d'accélération à la robotisation, faisant ressurgir les thèses d'André Gorz sur la fin du travail. Le revenu non lié au travail va s'imposer, j'en suis convaincu.
La priorité, actuellement, est de revaloriser les bas salaires - le Président de la République l'a reprise à son compte. Une grande partie de l'industrie française ne dépend pas des coûts des salaires, comme le luxe ou les services, dont mon groupe fait partie. Par des accords de branche, nous pourrions travailler sur une perspective positive de revalorisation des bas salaires. Les chèques, avantages ou autres transferts ne donnent pas la sécurité liée au travail et l'envie de travailler. Vous voyez, je ne suis pas ultralibéral.... On me demande pourquoi je ne commence pas à faire cela chez moi, mais il est très difficile de faire seul. Il faut des accords de branche pour augmenter les salaires réels. Nous avons en revanche développé l'intéressement et la participation.
J'avais eu l'idée d'un fonds de solidarité, mais les besoins sont énormes, et c'est difficilement conciliable avec des cotisants limités. Si toute l'industrie agroalimentaire cotisait à des fonds pour investir en amont, cela pourrait faire sens. Il y a énormément d'argent français et européen, plus de 70 milliards d'euros sur dix ans, qui vont à l'agriculture. Il y a surtout un problème de réaffectation de la somme vers les agriculteurs qui devraient transformer et valoriser davantage leur production, qui doit être aussi plus verte.
On parle beaucoup, en matière de financement, de l'élargissement de la base fiscale ; fiscale mais on parle peu du sujet de l'impôt sur la consommation, qui n'est pas plus injuste que l'IR ou la CSG. Cela revient à faire payer les importations, y compris les masques chinois, les produits électroniques ou la data. L'idée d'une TVA sociale est une piste à ne pas abandonner, alors que l'inflation est quasiment nulle. Il faudrait élargir l'assiette fiscale. On reporterait les coûts de production vers un partage par le reste du monde.
C'est un sujet dont on parle régulièrement, au moins tous les cinq ans...
Dans le plan de relance se pose le problème de l'investissement public, réalisé à 70 % par les collectivités territoriales. Réfléchir à des projets d'investissement local est essentiel. Il faut mesurer l'orientation de l'investissement public également en termes de bien-être. Quel est le rendement socio-économique d'un projet, pour en justifier le coût auprès du contribuable ? L'OFCE y travaille. Nous sommes engagés dans une décentralisation de la mesure effective du rendement social de l'investissement public : mobilité, lutte contre la pollution, accès aux services publics, pour mieux comprendre les demandes des citoyens localement et non calqués de normes internationales. Nous avons un contrat avec une grande ville suisse pour construire des indicateurs de bien-être local, dans une approche construite avec les citoyens, en lien avec les travaux d'Éloi Laurent. Ces concepts seront centraux pour orienter le regard des décideurs publics.
Il y a une évolution à long terme du revenu universel. À très court terme, le revenu universel serait la simplification des démarches administratives pour l'accès à certains droits. Il y a un taux de 30 % de non-recours au revenu de solidarité active (RSA). Le problème de la grande pauvreté est aussi un problème de complexité administrative. Si la définition du revenu universel est la fusion des allocations, de manière plus lisible, pour un recours plus fréquent par les plus pauvres, ce serait une bonne chose.
Permettez-moi une prévision macroéconomique : les taux d'intérêt réels vont continuer de baisser après la crise, permettant de stabiliser la dette. Nous avons la capacité de recapitaliser la France et le système économique et social en finançant une dette de croissance.
En 2010, l'investissement chinois représentait 10 % de l'investissement mondial ; il est actuellement de 30 %, or tous les pays développés ont arrêté d'investir, et la Chine va faire de même. Les taux d'intérêt réels vont continuer à baisser. La France aura donc l'opportunité d'investir à faible coût, grâce à sa bonne signature, sans dramatiser, mais avec une certaine responsabilité vis-à-vis des générations futures.
Merci de vos interventions. La crise a fait évoluer les réflexions économiques et politiques. Nous traversons des mois difficiles, mais intellectuellement très intéressants.
La réunion est suspendue.
À présent, en semi-présentiel, nous examinons un amendement au texte de la commission sur la proposition de loi visant à garantir l'efficacité des aides personnelles au logement (APL) de notre collègue Cécile Cukierman. Je suis très heureuse que notre commission étudie des propositions du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste, contrairement à l'Assemblée nationale où les propositions des groupes minoritaires sont balayées dès le stade de la commission. Au Sénat, la démocratie peut s'exprimer plus facilement.
Article 2
Nous vous proposons de supprimer l'article 2. D'un commun accord avec Mme Cécile Cukierman, nous avions souhaité le laisser arriver jusqu'à la séance publique, afin d'interpeller le Gouvernement.
L'article 2 de la proposition de loi supprime le seuil de non-versement des APL, actuellement fixé à 10 euros par mois. L'argument selon lequel le vrai seuil devrait être celui de l'éligibilité, et non un montant minimum de versement, est naturellement compréhensible, mais il s'agit en l'espèce d'une mesure de bonne gestion. Selon le Gouvernement, ce seuil touche 17 000 ménages pour un montant total de 1 million d'euros, soit des APL moyennes de 60 euros par an, alors que le coût de gestion et d'instruction d'une demande serait de l'ordre de 80 à 90 euros par an, selon le rapport public annuel 2020 de la Cour des comptes.
En 2017 et 2018, pour atténuer les effets indésirables de la baisse de 5 euros des APL, ce seuil avait déjà été abaissé de 15 à 10 euros pour les locataires du parc privé et complètement supprimé dans le parc social, donc pour les bénéficiaires de l'APL, pour tenir compte de l'impact de la réduction de loyer de solidarité (RLS) qui s'y applique, évitant ainsi à des dizaines de milliers de familles de perdre leur allocation.
On pourrait craindre que le versement d'une aide très faible, même si son versement était annualisé pour que le montant soit plus important, n'apparaisse comme indécent à certaines familles. C'est pourquoi la commission vous propose de supprimer cet article.
Cet article était une mesure de principe : doit-il y avoir des seuils ? Nous avons entendu les arguments, et en débattrons en séance publique. Mais cet article ne doit pas bloquer l'adoption de la proposition de loi. Même si l'équation n'est pas totalement juste, le Gouvernement aura d'autant plus de moyens dégagés pour mettre en place le reste de la proposition de loi. Nous maintenons le gage, tel qu'il a été modifié en commission.
La commission a adopté l'amendement de suppression AFFECO.2.
La réunion est close à 11 h 55.