Intervention de Xavier Ragot

Commission des affaires économiques — Réunion du 3 juin 2020 à 9:5
« plan de relance : quelles mesures pour relancer la consommation et l'investissement ? » -table ronde par téléconférence

Xavier Ragot, président de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) :

Je commencerai par dire que nous ne comprenons pas cette crise, car elle déborde nos catégories habituelles. D'ailleurs, les positions évoluent fortement : par exemple le Medef demande plus de dépenses publiques, plus d'aides sectorielles, mais sans hausse de la fiscalité. Au moins l'utilisation d'outils publics fait-elle consensus, comme la dette à court terme. Nous savons aussi que cette crise n'est pas comparable à celle de 2008 ni celle de Mai-68, encore moins celle de 1929. Les observateurs ont du mal à s'entendre sur les chiffres de la décrue - les écarts raisonnables vont de -8 % à -11 % du PIB, alors que cette donnée est essentielle pour les finances publiques.

Cette crise est inédite, ensuite, parce que l'État a bien réagi, en copiant le dispositif allemand de chômage partiel, qu'il a appliqué à 8 millions de salariés : il a ainsi assuré le revenu des ménages, même si celui-ci a décru de 7 % en moyenne, quand la consommation a chuté de 30 %. L'épargne a donc augmenté de 80 milliards d'euros, ce qui en fait une variable clé : quelle fraction de cette épargne retournera-t-elle dans les commerces, dans l'activité ? Avec le fonds d'aide et l'assurance chômage, l'État a été keynésien à juste titre, en limitant les pertes de revenus pour les ménages ; reste que la capacité de financement des entreprises a diminué et qu'il faut maintenant éviter les faillites.

Pour suivre l'évolution de la consommation, l'Insee a construit des données très fiables, en utilisant les données des cartes bleues en temps réel à l'échelle internationale, des données beaucoup plus solides que celles qui ont été élaborées dans d'autres pays. On constate que la chute d'activité par secteur est très hétérogène, certains d'entre eux étant particulièrement touchés par une forte chute de la demande - chacun a en tête les transports et le tourisme. En revanche, l'agriculture, les industries agroalimentaires, les administrations publiques sont contraintes par l'offre, plutôt que par la demande.

L'activité a chuté de 32 % avec le confinement, puis elle reprend avec le déconfinement, à un rythme plus important que ce que l'on pensait, ce qui parait valider l'hypothèse de l'accélération d'un retour à la normale. Cependant, n'aura-t-on assisté qu'à une baisse de l'activité, ou bien un nouveau mode de consommation est-il en gestation ? Le recul du PIB sera-t-il de 8, 10 ou de 12 points ? On n'en sait encore rien.

Les idées pour conforter la reprise sont très nombreuses : les éco-chèques, des prêts à taux zéro, voire négatifs, les recapitalisations, les primes à l'embauche... mais comme chacune a un coût, il nous faut une doctrine claire, qui explicite le besoin de soutenir simultanément la demande et l'offre. L'opposition des politiques d'offre et de demande constitue une faillite intellectuelle dont nous avons déjà fait les frais.

Nous devons maintenant éviter le plus grand nombre de faillites, ce sera la clé de la reprise. Nous ne les éviterons pas toutes, et il faut, autant que possible, réallouer les moyens vers l'économie verte.

Du côté des ménages, il faut sortir très progressivement du chômage partiel, rassurer sur les contraintes budgétaires à venir, sinon l'épargne que les Français ont constituée durant le confinement, faute de pouvoir consommer, va devenir une épargne de précaution.

Par ailleurs, la question des inégalités est décisive : il faut intégrer au débat public le fait que les plus pauvres, les jeunes, les non-qualifiés subissent la crise sanitaire bien davantage que les autres - il faut en débattre et trouver des solutions, c'est même une condition de la confiance, donc de la cohésion.

Côté entreprises, la chute de l'investissement est réelle. Nous estimons qu'elles ont perdu le quart de leurs liquidités, et que la vague de faillites va toucher entre 75 000 et 100 000 entreprises, allant bien au-delà du pic de 2013, avec 63 000 faillites. Il y aura des pertes d'emplois, en particulier peu qualifiés, dans des territoires déjà fragiles. Nous proposons en conséquence d'utiliser les outils des politiques de l'offre, qu'ont déjà utilisés nos voisins allemands, consistant à payer des coûts fixes des entreprises, comme les loyers, pour un montant de 10 à 17 milliards d'euros.

Enfin, nous proposons une organisation sectorielle pour adapter le tissu productif, en intégrant la contrainte environnementale.

Quel monde d'après ? Nous vivrons dans un monde davantage endetté, la résorption des dettes publiques sera l'un des enjeux majeurs de la décennie à venir. On nous disait que la France serait en faillite si sa dette atteignait 60 % de son PIB - nous sommes à 120 % : il faudra nous dire qui s'est trompé. La véritable question, c'est celle de savoir quelle est la bonne dette : une dette de croissance, d'investissement, et non pas une dette liée à la mauvaise gestion de l'État. Il faudrait identifier la dette spécifiquement liée à la Covid-19, acter cette dette plutôt que de se laisser polluer par le Debt overhang, comme disent les Anglo-Saxons, c'est-à-dire une situation où l'on est tellement endetté qu'on ne peut plus investir. Cette dette additionnelle étant bien circonscrite, on saurait mieux de quoi l'on parle, pour mieux orienter le débat vers la qualité de la dépense publique. Il faut sortir d'une logique seulement comptable, dédramatiser la dette, pour parvenir à des compromis acceptés.

Nous sommes entrés dans un monde durablement endetté - tous les pays le sont, à un niveau jamais atteint. Pour absorber la dette publique, je crois donc qu'il faut augmenter la base fiscale par le développement économique, comme on l'a fait pendant les Trente Glorieuses.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion