Intervention de Agnès Verdier-Molinié

Commission des affaires économiques — Réunion du 3 juin 2020 à 9:5
« plan de relance : quelles mesures pour relancer la consommation et l'investissement ? » -table ronde par téléconférence

Agnès Verdier-Molinié, directrice de la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (iFRAP) :

Notre tissu entrepreneurial a besoin de mesures d'urgence. Or l'État français, au contraire de l'Allemagne, n'a pas proposé de prêt garanti par l'État (PGE) à 100 % pour les TPE-PME. L'iFRAP suggère de l'envisager dans le troisième projet de loi de finances rectificative. Nos entreprises sont davantage endettées qu'en Allemagne, en Espagne ou en Italie. Nous proposons un PGE remboursable à plus long terme : les Allemands ont retenu une durée de dix ans, dont deux sans aucun remboursement. Cela permettrait aux entreprises de continuer à investir et de se développer sans craindre le poids des échéances.

Autres propositions : une comptabilisation différente de la dette au titre des PGE dans l'endettement des entreprises, et la suspension de la priorité accordée au Trésor public et aux Urssaf dans la récupération des créances auprès de celles-ci. Je ne reviendrai pas sur la question du suramortissement, déjà évoquée. Nous proposons aussi une restitution du carry back - report des déficits - mis en place pendant la précédente crise.

L'État français, au contraire d'autres pays, demande des contreparties au financement du chômage partiel, puisque le taux de prise en charge augmente en cas d'accord d'entreprise. Attention à cette logique : nous avons déjà constaté que les contraintes imposées aux plans de maintien dans l'emploi empêchaient parfois la conclusion de ces plans, avec pour conséquence un plus grand nombre de faillites.

J'estime que les problèmes n'auront pas changé lors du jour d'après, le premier d'entre eux étant une sur-fiscalité qui pèse énormément sur les entreprises : 431 milliards d'euros de prélèvements obligatoires en 2018, soit 18,4 points de PIB et un écart de 100 milliards d'euros avec la moyenne de la zone euro. La trésorerie des entreprises françaises en a souffert et elles sont entrées dans la crise plus endettées que leurs homologues européennes. La fiscalité de production - cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), cotisation foncière des entreprises (CFE), imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER), taxe transport - représente 70 milliards d'euros prélevés avant même d'avoir réalisé des bénéfices. La fondation iFRAP propose une baisse de 30 milliards d'euros de cette fiscalité d'ici à 2024, ce qui créerait plus de 400 000 emplois.

Entre 500 et 600 000 emplois seront détruits d'ici à la fin de l'année. Produire et consommer français, recréer de l'emploi sur notre territoire ne sera possible que si la production se fait à des prix raisonnables. Seule la baisse des taxes à la production peut créer de l'emploi marchand. C'est pourquoi il convient de réduire la CVAE et la CFE, de supprimer la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) et de baisser encore les charges, et pas seulement sur les bas salaires. En effet, la baisse de charges sur les bas salaires ne fonctionne qu'à court terme. Pour créer des emplois à valeur ajoutée et relancer la production industrielle en France, il faut aller au-delà du seuil de 1,6 SMIC. Nous proposons une baisse de 7 milliards d'euros. La France s'est trop longtemps appuyée, notamment dans le tourisme, sur un modèle reposant sur les emplois peu qualifiés et les petits boulots. En Allemagne, 20 % du PIB est lié à l'activité industrielle, ce qui permet au pays de rebondir plus vite. Les Allemands ont moins freiné leur production : beaucoup d'entreprises y tournaient à plein durant le confinement.

La question du temps de travail a fait l'objet de débats passionnés. Nous ne voulons pas faire travailler tout le monde davantage, mais créer de la flexibilité. Les mesures prises pendant le confinement, avec la possibilité de travailler jusqu'à 60 heures dans une semaine et 48 heures sur douze semaines, vont dans le bon sens. Il convient d'être à l'écoute de la situation des entreprises.

Le coût de production de nos services publics est considérablement supérieur à celui de nos voisins européens : l'écart est de 84 milliards d'euros par an avec la moyenne constatée par l'OCDE dans vingt pays européens. Décentraliser les missions de service public serait une source d'économies considérable.

Comme l'a souligné M. Ragot, chaque euro d'argent public doit être dépensé avec efficience. La France dépense 15 milliards d'euros de plus que l'Allemagne pour l'hôpital public, or nos voisins ont davantage de lits de réanimation parce que la gestion de l'hôpital public est décentralisée au niveau des Länder, qu'il n'y a pas de fonction publique hospitalière en Allemagne, que le public et le privé collaborent et que le temps de travail n'est pas le même. L'iFRAP a chiffré le coût de production de la sécurité sociale à 42 milliards d'euros. Il est possible de faire des économies importantes sur le fonctionnement de nos services publics, en décentralisant notamment la gestion de l'école et de la santé. La crise sanitaire nous a montré qu'il fallait une gestion beaucoup plus locale.

Le fait que notre ratio de dette se dirige vers les 120 % est préoccupant. Le problème n'est pas la dette liée au Covid, mais la dette d'hier. Les Pays-Bas, l'Allemagne ne sont qu'à 70 % du PIB, parce qu'ils ont travaillé, en période de croissance, à une réduction des déficits et à la constitution d'un excédent primaire. Nous n'avons pas fait ce choix, et cette dette accumulée nous pénalise. Il conviendrait d'inscrire dans la Constitution un frein à l'endettement : c'est ce frein qui a permis aux Allemands de se montrer plus forts dans la crise, avec un apport budgétaire bien plus important. La France, elle, a conservé un endettement structurel de 50 milliards d'euros.

Nous allons nous endetter beaucoup à court terme ; il faudra renoncer à des créances sur charges et sur impôts des entreprises, étaler les remboursements. Assainissons nos finances publiques pour ne pas nous retrouver, dans une prochaine crise, encore plus fragiles.

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