Intervention de Michel-Édouard Leclerc

Commission des affaires économiques — Réunion du 3 juin 2020 à 9:5
« plan de relance : quelles mesures pour relancer la consommation et l'investissement ? » -table ronde par téléconférence

Michel-Édouard Leclerc, président-directeur général du groupe Leclerc :

Merci pour ces échanges très intéressants qui m'ont personnellement enrichi.

Nous avons beaucoup travaillé avec les agriculteurs et toute la chaîne alimentaire durant la crise. Nous échangions tous les jours à quatorze heures avec Christiane Lambert, Richard Girardot, président de l'Association nationale des industries alimentaires (Ania) et les patrons de l'industrie agroalimentaire comme ceux de Danone ou Lactalis ; chacun apportait sa contribution. Nous avons beaucoup travaillé pour la promotion des produits agricoles français, dans une période difficile en raison des problèmes météorologiques, des indisponibilités ou des ruptures d'approvisionnement. Nous avons été très critiqués sur le fait que de nombreux produits, notamment les fruits et légumes, étaient plus chers pour ces raisons.

Il n'y aura pas de problème pour revaloriser les productions agricoles si les producteurs développent des signes de qualité, visibles, justifiant des différences de prix. Cela a été très bien fait par la filière viticole : les foires aux vins ou autres caves dans les hypermarchés rencontrent un grand succès. On y trouve des vins d'entrée de gamme à 4,5 euros la bouteille, tout comme des grands crus à plus de 100 euros. La viticulture française n'a plus peur des importations. Pour avoir l'air correct, nous présentons aussi des vins italiens, néozélandais, etc., mais ils sont peu vendus. La production française a su travailler sur la valeur ajoutée par ses signes de qualité.

Pour favoriser la production française, le problème est moins le financement que la nécessité que l'agriculture investisse dans la valorisation et la transformation des produits, plutôt que de laisser cela à l'industrie agroalimentaire, et qu'elle améliore la traçabilité. Pour être vendu, le porc breton ne doit pas uniquement miser sur l'origine, mais sur sa qualité, pour que le consommateur alsacien l'achète. C'est ce que nous voulons promouvoir.

Le revenu universel est une question intéressante. La relocalisation et la réindustrialisation se feront avec des impôts de production élevés ; cela donnera un coup d'accélération à la robotisation, faisant ressurgir les thèses d'André Gorz sur la fin du travail. Le revenu non lié au travail va s'imposer, j'en suis convaincu.

La priorité, actuellement, est de revaloriser les bas salaires - le Président de la République l'a reprise à son compte. Une grande partie de l'industrie française ne dépend pas des coûts des salaires, comme le luxe ou les services, dont mon groupe fait partie. Par des accords de branche, nous pourrions travailler sur une perspective positive de revalorisation des bas salaires. Les chèques, avantages ou autres transferts ne donnent pas la sécurité liée au travail et l'envie de travailler. Vous voyez, je ne suis pas ultralibéral.... On me demande pourquoi je ne commence pas à faire cela chez moi, mais il est très difficile de faire seul. Il faut des accords de branche pour augmenter les salaires réels. Nous avons en revanche développé l'intéressement et la participation.

J'avais eu l'idée d'un fonds de solidarité, mais les besoins sont énormes, et c'est difficilement conciliable avec des cotisants limités. Si toute l'industrie agroalimentaire cotisait à des fonds pour investir en amont, cela pourrait faire sens. Il y a énormément d'argent français et européen, plus de 70 milliards d'euros sur dix ans, qui vont à l'agriculture. Il y a surtout un problème de réaffectation de la somme vers les agriculteurs qui devraient transformer et valoriser davantage leur production, qui doit être aussi plus verte.

On parle beaucoup, en matière de financement, de l'élargissement de la base fiscale ; fiscale mais on parle peu du sujet de l'impôt sur la consommation, qui n'est pas plus injuste que l'IR ou la CSG. Cela revient à faire payer les importations, y compris les masques chinois, les produits électroniques ou la data. L'idée d'une TVA sociale est une piste à ne pas abandonner, alors que l'inflation est quasiment nulle. Il faudrait élargir l'assiette fiscale. On reporterait les coûts de production vers un partage par le reste du monde.

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