Intervention de Laurent Duplomb

Commission des affaires économiques — Réunion du 4 juin 2020 à 15h00
Présentation des plans de relance dans les domaines de l'énergie de l'agriculture et des télécommunications du numérique et des postes par les pilotes en charge des cellules de veille de contrôle et d'anticipation des secteurs correspondants

Photo de Laurent DuplombLaurent Duplomb :

Nous proposons que notre travail ne s'arrête pas là mais que notre cellule continue à travailler sur les perspectives pour notre agriculture.

L'agriculture doit faire partie du plan de relance en préparation. C'est un impératif stratégique. Le plan de relance que nous appelons de nos voeux repose sur ces 12 idées concrètes que nous avons chiffrées à environ 1 milliard d'euros.

Quand on regarde ce que font les autres pays pour leur agriculture, ce plan est absolument essentiel car le secteur est stratégique. Les agriculteurs et les industries agroalimentaires ont garanti un approvisionnement tout au long de la crise pour que les Français puissent se nourrir. Ils ne comprendraient pas qu'en échange, ils soient les grands oubliés du plan de relance. Nous en avons besoin car l'agriculture est un élément stratégique, notamment au regard de l'autosuffisance alimentaire.

En guise de conclusion, je le dis clairement : il est trop tôt pour affirmer que le modèle agricole évoluera dans tel ou tel sens à la lumière des premiers effets de la crise, sauf à le faire à des fins politiques. Malgré tout, certaines prises de position ont déjà été clairement affirmées dans le débat public et je souhaitais simplement appeler à ne pas commettre des erreurs d'appréciation en rappelant quelques faits chiffrés.

Le premier enseignement est que les consommateurs ont privilégié des produits de tous les jours durant la crise, pas forcément ceux qui entrent dans la logique du tout « montée en gamme ». Quelques éléments factuels le démontrent : la multiplication par cinq de la croissance des ventes de produits sous marque de distributeur, les performances des enseignes hard-discount et la sous-performance des produits bio qui ne représente plus que 11 % du taux de croissance des ventes en GMS, contre 89 % en 2019. Je ne parle pas de la hausse du nombre de bénéficiaires de l'aide alimentaire ou des effets de la fermeture de la restauration collective sur l'équilibre nutritionnel de nombreux citoyens.

Dans ce contexte, prétendre spécialiser l'agriculture exclusivement dans le haut de gamme est une erreur majeure, qui n'aboutirait qu'à réserver la consommation de produits français à quelques-uns, tout en contraignant les plus démunis à s'approvisionner en produits importés, moins onéreux mais de moins bonne qualité.

Le deuxième enseignement est que la résilience de notre modèle passe par une production agricole diversifiée et suffisante, et non par une réduction de la production qui renforcerait notre dépendance aux importations. La Russie, l'Ukraine, le Vietnam ou l'Inde ont mis en place des restrictions sur les exportations de blé ou de riz pour les concentrer sur leur consommation domestique. Cela doit nous rappeler la chance que nous avons d'avoir une agriculture suffisamment forte.

Mais nous avons certains points faibles au regard des importations qui nous fragilisent. Nous importons entre 70 et 80 % de notre consommation de miel, 60 % de notre consommation de protéines, la moitié de notre consommation de viande ovine ou de fruits et légumes, un tiers de notre consommation de volaille, 25 % de notre consommation de porc. Ces chiffres doivent nous faire réfléchir et une stratégie de reconquête doit être définie.

Troisième enseignement : la résilience doit s'entendre au niveau national voire européen, non à une échelle trop étroite. La consommation locale peut être un élément favorisant le revenu des agriculteurs et répondant à la demande des consommateurs, il ne faut pas oublier que la France est un pays exportateur qui doit le rester. Il ne faut pas oublier non plus que les villes ne sont pas autosuffisantes : leur taux d'autonomie alimentaire n'est que de 2,1 %. Des bassins spécialisés existent traditionnellement, ils font notre fierté et il ne nous faudrait pas les dénaturer pour garantir une juxtaposition de zones autosuffisantes avec des approvisionnements locaux. La France doit jouer sur tous les tableaux : des productions locales renforcées, des productions dans des bassins de production historiques et spécialisés, des productions suffisantes pour nourrir l'ensemble des Français, des productions exportatrices. Toutes ces productions ont un sens prises dans un ensemble cohérent.

Enfin, quatrième enseignement : les circuits de distribution pourraient non pas se diversifier mais se concentrer. Les ventes alimentaires y ont augmenté, depuis février, de 6 %, alors qu'elles sont en recul généralement chez les petits commerces alimentaires. Surtout, la part du numérique a explosé auprès des consommateurs : elle représente près de 10 % des ventes. Il faudra réfléchir à cette évolution. La particularité française est que ce modèle passe par le drive qui demeure aux mains, majoritairement, de la grande distribution. À cet égard, ces derniers y valorisent d'ailleurs davantage les produits sous marque de distributeur, ce qui réduit mécaniquement le poids des marques pour les PME et ETI de l'agroalimentaire.

Il est difficile de mesurer les effets de la crise sur la GMS mais il convient de rappeler que si leur activité globale a diminué en raison de l'arrêt des ventes de carburants, les ventes de leur rayon alimentaire, le plus margé, ont augmenté. Dès lors, si les effets étaient négatifs, des mécanismes de soutien sont à envisager. En revanche, si les effets étaient positifs sur leur rentabilité, un mécanisme de péréquation serait à imaginer au regard de la situation difficile de l'amont agricole et des autres commerces de proximité.

Il conviendra de prendre en compte ces éléments lorsqu'il s'agira de dessiner l'agriculture de demain. Je suis persuadé que notre mobilisation collective et transpartisane pour y parvenir, ici, au Sénat, permettra d'avancer sur cette question essentielle dans les prochaines semaines afin de dessiner un modèle agricole avec davantage encore de qualité, de proximité, un modèle permettant une alimentation accessible à tous, et une ferme France forte sur les marchés mondiaux. Soyons fiers de ce que nous faisons, de ce que nous sommes et de ce que nous exportons dans le monde.

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