Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du 9 juin 2020 à 14h30
Protection des victimes de violences conjugales — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Nicole Belloubet :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, vous savez notre volonté de lutter efficacement contre les violences conjugales. Dès le 9 mai 2019, j’ai pu adresser aux procureurs généraux par circulaire une instruction leur demandant de déployer l’ensemble de notre arsenal répressif afin de faire preuve de la plus grande fermeté à l’égard des auteurs de ces violences, mais aussi afin de mieux protéger les victimes, par exemple en utilisant largement les téléphones grave danger. De 300 appareils distribués en février 2019, nous sommes ainsi passés à plus de 1 000 aujourd’hui.

Cette volonté, portée par l’ensemble du Gouvernement, s’est exprimée tout au long de la crise sanitaire que nous venons de traverser. Au-delà des dispositifs de signalement spécifiquement organisés par mes collègues ou de la création d’une plateforme d’hébergement et de suivi des conjoints violents, j’ai pu prendre diverses mesures.

J’ai ainsi tenu à ce que les violences conjugales demeurent un contentieux prioritaire effectivement traité par les juridictions pendant la période de confinement. L’ordonnance de protection a donc figuré parmi les procédures d’urgence inscrites dans les plans de continuation d’activité des tribunaux avec, selon un schéma de procédure fixé par circulaire, un traitement des nouvelles demandes dans un délai de six jours, conformément à la loi du 28 décembre 2019.

J’ai par ailleurs veillé à faciliter les démarches des victimes de violences conjugales en prolongeant toutes les ordonnances de protection dont le terme était prévu entre le 12 mars et la fin de l’état d’urgence sanitaire, ce augmenté d’un mois afin de tenir compte du ralentissement de l’activité des juridictions.

Ainsi, la loi du 11 mai 2020 ayant prorogé l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet 2020, une ordonnance de protection qui, par exemple, devait s’achever le 1er avril 2020 continuera à s’appliquer jusqu’au 10 octobre 2020.

Je connais aussi, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l’engagement qui est le vôtre dans cette lutte contre les violences commises au sein du couple. Ces enjeux concernent la France et notre société tout entière. Cette volonté d’agir contre les violences au sein de la famille s’est particulièrement traduite dans la loi du 28 décembre 2019, à laquelle je faisais référence, que vous avez adoptée.

Ce texte marque un pas important dans ce combat, car il renforce les moyens de lutte contre ces violences en améliorant le traitement des requêtes en ordonnance de protection, en favorisant l’aménagement de l’autorité parentale en présence d’un crime conjugal, notamment en instituant la suspension automatique de l’exercice de l’autorité parentale d’un parent poursuivi ou condamné pour crime commis sur la personne de l’autre parent, en permettant également le déploiement du bracelet anti-rapprochement et en étendant le champ d’application du téléphone grave danger.

J’ai tenu à présenter l’ensemble de ces dispositions, pour la plupart d’application immédiate, dans une circulaire datée du 28 janvier 2020 adressée aux magistrats. Cette circulaire comporte des instructions de politique pénale issues des travaux du Grenelle contre les violences conjugales, impulsé et piloté par ma collègue Marlène Schiappa. Ces mesures sont relatives à l’accompagnement des victimes, au suivi des auteurs et à l’organisation des juridictions en faveur d’une filière d’urgence dédiée au traitement des violences conjugales.

La loi de décembre 2019 met spécifiquement l’accent sur les ordonnances de protection et sur les nouvelles mesures qui peuvent être prononcées dans ce cadre. On peut citer : l’interdiction de se rendre dans certains lieux où se trouve de façon habituelle la victime ; la prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique de l’auteur ; et la possibilité pour celui-ci de suivre le stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple. Ces nouvelles mesures ont été favorablement accueillies dans les juridictions qui se mobilisent pour construire, sur ce sujet, des projets de juridiction.

Les services du ministère de la justice se sont également mobilisés pour formaliser la nouvelle procédure de délivrance des ordonnances de protection afin de permettre aux juridictions de statuer dans le délai de six jours souhaité par le législateur. Le décret portant application des articles 2 et 4 de la loi du 28 décembre 2019 a ainsi été publié le 28 mai dernier.

Ce décret supprime la convocation des parties par lettre recommandée avec accusé de réception, qui manifestement était devenue incompatible avec le délai de six jours. Il unifie également les modalités de saisine du juge au profit de la requête signifiée. Le décret précise les conditions procédurales nécessaires au respect du délai de six jours tout en garantissant une procédure contradictoire, fondement de notre procédure civile.

Je sais que d’aucuns trouvent ces procédures trop strictes, mais c’est un décret qui tend à garantir la mise en œuvre des engagements du Gouvernement et la volonté du législateur. Des échanges sont en cours afin de faciliter l’accès aux huissiers pour assurer leur signification dans les délais requis. Mes services travaillent en outre à un possible doublement du délai de signification. Dès demain, une rencontre avec des professionnels va nous permettre d’avancer positivement sur ce sujet.

Le décret crée, par ailleurs, une passerelle entre la procédure d’urgence de l’ordonnance de protection et la procédure au fond, relative à l’exercice de l’autorité parentale ainsi qu’à la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant. Grâce à cette passerelle, le demandeur n’aura pas à former une nouvelle demande en justice en cas de rejet de sa demande d’ordonnance de protection et il pourra obtenir rapidement une décision au fond.

Toujours trop peu délivrée, même si le nombre est en augmentation constante, j’ai souhaité constituer un comité de suivi de l’ordonnance de protection dont j’ai confié la présidence à Ernestine Ronai. Ce comité pourra nous aiguiller sur les améliorations toujours possibles de nos pratiques.

Notre engagement collectif va encore plus loin.

De nombreuses propositions issues du Grenelle contre les violences conjugales, organisé par le Gouvernement, ont été formulées. Elles sont toutes destinées à mieux prévenir et à mieux réprimer ces violences. Certaines exigent des modifications de nature législative, qui trouvent leur expression dans la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales que nous allons examiner aujourd’hui.

Nourries des réflexions et des concertations menées au sein des groupes de travail mis en place par Marlène Schiappa dans le cadre du Grenelle, ces propositions intègrent des notions indispensables à la bonne compréhension et au traitement adapté de ces violences indignes de notre civilisation.

Ainsi, le phénomène d’emprise, ce mécanisme qui place la victime sous la domination et la dépendance de son conjoint, est particulièrement pris en compte. Il permet de comprendre le silence des victimes et leur comportement craintif, qui fait croire à tort à une acceptation de leur sort. C’est pourtant cette emprise qui les cloue auprès de leur bourreau et peut les entraîner vers la mort.

La proposition de loi que vous examinez aujourd’hui modifie le code civil, le code pénal et le code de procédure pénale en complétant la loi du 28 décembre 2019 sur des points importants, en vue de renforcer davantage encore la protection effective des victimes de violences familiales, qu’il s’agisse des parents ou des enfants.

Sur le plan pénal, tout d’abord, la proposition de loi se concentre sur trois axes majeurs.

Le premier axe est de faciliter le signalement des violences conjugales. À cette fin, dans les cas de violences d’une particulière gravité et qui démontrent la situation d’emprise de la victime, la proposition de loi donne la possibilité aux médecins ou aux autres professionnels de santé de porter ces faits à la connaissance du procureur de la République, même s’ils n’ont pas réussi à obtenir l’accord de la victime. Je me réjouis que ces dispositions importantes aient reçu l’accord de votre rapporteur et de votre commission des lois, qui les ont non seulement approuvées, mais également améliorées.

Les modifications apportées au texte, sur l’initiative de votre rapporteur dont je souligne ici la qualité du travail, mettent en effet très utilement en évidence le fait que le médecin appréciera en conscience s’il doit ou non procéder à un signalement. Ces modifications clarifient également la notion d’emprise pour que le médecin puisse plus aisément apprécier si un signalement est ou non justifié.

Le deuxième axe est d’améliorer les procédures pénales concernant ces infractions. Dans ce cadre, est prévue l’interdiction absolue du recours à la médiation pénale en cas de violences conjugales, ce qui répond à une demande ancienne et répétée des associations et se justifie par la situation d’emprise dans laquelle se trouvent le plus souvent les victimes. L’efficacité de la procédure est par ailleurs accrue en permettant au juge d’instruction ou au juge des libertés et de la détention d’ordonner, en cas de violences conjugales, dans le cadre d’un contrôle judiciaire – et donc avant toute condamnation –, la suspension du droit de visite et d’hébergement à l’égard des enfants, y compris en l’absence de violences directes à leur encontre.

Dans le même esprit est renforcée la possibilité pour les enquêteurs de saisir des armes, notamment au cours d’une procédure pour violences au sein du couple, afin d’éviter qu’elles ne soient utilisées par la personne mise en cause.

Le troisième axe, toujours sur le plan pénal, vise à améliorer les incriminations et à renforcer la répression. Cela se traduit notamment par les points suivants.

Tout d’abord, sera réprimé de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende le harcèlement au sein du couple qui aura conduit la victime à se suicider ou à tenter de le faire. Ensuite, les comportements d’espionnage au sein du couple seront plus largement incriminés. Par ailleurs, la lutte contre l’exposition de mineurs à la pornographie, notamment sur des sites internet, sera améliorée par la précision apportée à l’article 227-24 du code pénal selon laquelle le délit sera constitué, y compris si l’accès d’un mineur à des messages pornographiques résulte d’une simple déclaration de celui-ci indiquant qu’il est âgé d’au moins 18 ans. Enfin, le fait de donner mandat à une personne de commettre des crimes tels que le viol ou le délit d’agression sexuelle sur un mineur sera puni à titre autonome, y compris si le crime ou le délit n’a été ni commis ni tenté. Cela permettra notamment de poursuivre et de condamner des personnes qui visionnent sur internet des sévices sexuels qu’ils ont commandités et qui sont commis sur des mineurs à l’étranger.

Sur le plan civil, la proposition de loi prend en compte les conséquences dévastatrices des violences commises au sein du couple à l’égard de la victime, mais aussi de la famille. Deux propositions sont faites en ce sens.

Concernant l’obligation alimentaire tout d’abord, en cas de violences conjugales graves, le texte exclut toute possibilité de voir les enfants, victimes indirectes, contraints à soutenir financièrement celui qui a été condamné. Comme le propose la commission des lois du Sénat, ce sont l’ensemble des obligés alimentaires qu’il convient de protéger en cas de crime au sein de la famille.

Viennent ensuite des propositions concernant l’indignité successorale puisque la lutte contre les violences au sein du couple, voire plus largement au sein de la famille, se poursuit sur le plan successoral. La proposition de loi engage une réflexion sur l’indignité successorale : le conjoint n’est plus légitime à hériter lorsqu’il a commis des violences graves envers le défunt.

Ainsi que vous l’avez également décidé, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, dans la loi du 28 décembre 2019, le port du bracelet anti-rapprochement, dispositif qui sera déployé à partir de septembre 2020, pourra être non seulement ordonné par un juge pénal, mais aussi prévu par un juge civil. À cet égard, je soutiens l’amendement défendu par le groupe LaREM, tendant à assurer un suivi efficace de la personne à protéger lorsque le porteur du bracelet s’approche ou se maintient dans la zone dangereuse, en violation de la décision civile d’ordonnance de protection.

Je me félicite de nouveau du travail effectué par votre commission, qui a accepté les dispositions proposées en les complétant souvent utilement sur un certain nombre de points.

Je partage également votre remarque sur l’organisation des débats. J’aurais moi aussi préféré un texte unique, mais la proposition du député Aurélien Pradié est arrivée avant la fin du Grenelle, à un moment où de nombreux points faisaient encore l’objet de concertations. Parce que ce texte permettait la mise en œuvre rapide de propositions qui faisaient déjà l’objet d’un consensus, le Gouvernement et la majorité l’ont pleinement soutenu. Tout ce qui peut contribuer, en effet, à lutter contre les violences intrafamiliales que nous combattons en commun ne peut être que positif.

Grâce à votre engagement et au travail du Gouvernement, de premiers résultats se dessinent. Le nombre de demandes d’ordonnance de protection est passé de 3 300 en 2018 à 3 930 en 2019, soit une augmentation de plus de 21 %. Elle paraît encore plus importante si l’on note qu’il n’y en avait que 2 975 en 2016. Il reste cependant beaucoup à faire !

Plus significatif encore probablement, même s’il convient d’être extrêmement prudent, on déplore à ce stade 36 homicides conjugaux en 2020, contre 150 sur l’ensemble de l’année 2019. Ce n’est évidemment pas une victoire, et nous ne saurions en aucun cas nous satisfaire de ces chiffres toujours glaçants, mais cette diminution du nombre de faits constatés est sans doute un marqueur de la pertinence des dispositifs qui ne sont pas encore totalement déployés, mais que nous avons construits ensemble et mis en œuvre.

Ces éléments, je le crois, donnent de l’espoir et renforcent notre volonté. C’est bien en ce sens qu’il faut continuer à travailler ensemble, et je vous en remercie !

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