Intervention de Marlène Schiappa

Réunion du 9 juin 2020 à 14h30
Protection des victimes de violences conjugales — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Marlène Schiappa :

Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, chère Marie Mercier, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, des professionnels, des associations, des familles se mobilisent de longue date contre les violences conjugales. Heureusement, depuis quelques années, on observe que cette mobilisation va au-delà des sphères militantes qui, habituellement, luttent contre les violences conjugales.

La société se réveille enfin – médias, politiques, citoyens – et finit par rejeter massivement ces faits que l’on appelle désormais par leur nom : les féminicides.

C’est la raison pour laquelle, dès 2017, le Président de la République a décidé de faire de l’égalité femmes-hommes la grande cause de son quinquennat et d’agir sur ces questions.

Les associations de longue date étaient mobilisées pour demander au Gouvernement d’organiser un Grenelle des violences conjugales. Le Gouvernement a considéré qu’il était temps de rassembler les personnes qui travaillaient jusque-là parfois séparément dans la lutte contre les violences conjugales : les personnels soignants, la police, la gendarmerie, le monde de la justice, les associations, les familles de victimes. Plusieurs d’entre vous ont d’ailleurs participé à ce Grenelle des violences conjugales et se sont réunis à Matignon le 3/9/19, date choisie en référence à la ligne d’écoute du 3919 pour mieux la faire connaître.

Le Premier ministre, Édouard Philippe, a alors lancé un travail inédit à Matignon composé de onze groupes pour formuler des propositions sur des thématiques aussi variées que les violences intrafamiliales, l’éducation, la santé, la sphère professionnelle, les outre-mer, le handicap, l’accueil en commissariat et en gendarmerie, l’hébergement, la justice, les violences psychologiques, l’emprise et, enfin, les violences économiques.

Pendant trois mois, ces groupes de travail se sont réunis et ont avancé ensemble afin de trouver des solutions pour mieux protéger les femmes face aux violences conjugales, pour mieux prévenir ces violences conjugales, pour mieux sanctionner leurs auteurs et pour éviter que nous continuions simplement à battre le décompte des féminicides.

Connu par 9 % seulement de la population avant le Grenelle des violences conjugales, grâce à la mobilisation collective, le numéro du 3919 est désormais connu par plus de 65 % de la population. Le 25 novembre dernier, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination des violences à l’égard des femmes, le Premier ministre, Édouard Philippe, a annoncé les mesures retenues par le Gouvernement dans le cadre du Grenelle des violences conjugales.

L’ensemble des propositions restituées fin octobre par les responsables des groupes ont été alors reprises par le Gouvernement. Ce Grenelle des violences conjugales a donné lieu à plus d’une cinquantaine de mesures de politiques publiques. Certaines ne relèvent pas de la loi directement ; d’autres, oui. Elles sont devenues ou deviendront réalité grâce aux deux propositions de loi évoquée à l’instant par Nicole Belloubet.

La première proposition de loi, vous la connaissez, vous en avez débattu, c’est celle qui a été adoptée sur l’initiative du député Les Républicains Aurélien Pradié. La seconde est celle que nous allons examiner aujourd’hui, vous y avez travaillé et elle a été votée à l’Assemblée nationale sur une initiative des députés La République En Marche Bérangère Couillard et Guillaume Gouffier-Cha.

Comme nous le disions précédemment, cette mobilisation collective de la société civile, des experts, des préfets, des élus a permis de travailler à des mesures concrètes, dont certaines ont pris effet immédiatement pour agir contre les violences conjugales.

Par exemple, avec Ernestine Ronai et les associations, nous avons mis en place une grille d’évaluation du danger que nous avons présentée avec le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner. Cette grille s’accompagne d’une nouvelle formation, d’une durée de 120 heures en formation initiale, pour les policiers et pour les gendarmes, afin que les femmes soient mieux accueillies encore dans les commissariats et dans les brigades de gendarmerie.

Par ailleurs, l’écoute des victimes est primordiale. Je voudrais remercier ici de son engagement dans cette libération de l’écoute le Conseil national de l’ordre des médecins ainsi, plus généralement, que tous les professionnels de santé qui suspecteraient un danger immédiat pour leurs patientes. Grâce aux dispositions prévues dans cette proposition de loi, ils pourront désormais mieux signaler les violences conjugales subies par les victimes et peut-être parfois même leur sauver la vie.

On entend souvent dire qu’une femme meurt sous les coups de son conjoint tous les trois jours. En réalité, lorsqu’on étudie sérieusement les chiffres et les dossiers, on s’aperçoit que le premier mode opératoire pour les féminicides en France est l’arme à feu. C’est pourquoi il nous a semblé important de saisir ces armes. Cela n’évitera pas tous les féminicides, mais cela pourra sans doute en empêcher.

Grâce à cette action du Grenelle des violences conjugales, grâce à ces nouvelles dispositions législatives, les policiers, les gendarmes pourront désormais saisir les armes des auteurs de violences dès le dépôt de plainte pour empêcher les féminicides.

Comme l’a rappelé la garde des sceaux, Nicole Belloubet, dont je voudrais ici saluer l’engagement total contre les violences conjugales et pour protéger les femmes, nous aurons à déployer le nouveau dispositif des filières de l’urgence, afin que les affaires de violences conjugales soient traitées plus rapidement et plus efficacement.

Enfin, la société tout entière commence véritablement à prendre en compte la situation des enfants dans les cas de violences conjugales. Avec le secrétaire d’État chargé de la protection de l’enfance, Adrien Taquet, qui nous rejoindra, nous portons des mesures de protection des enfants, notamment celles qui prévoient d’aménager l’exercice de l’autorité parentale. Je sais à quel point ces mesures vous tiennent à cœur, madame la rapporteure.

Ce texte vise également à prévoir de décharger les descendants de leur obligation alimentaire envers le parent condamné, comme cela est demandé d’ailleurs depuis des années par différentes associations.

Le terreau des violences conjugales est un phénomène de domination d’un membre du couple sur l’autre. Pour la première fois, il vous est proposé de faire entrer la notion d’emprise dans la loi. Je voudrais donc ici saluer notamment le travail et l’engagement de l’ex-avocate Yael Mellul, qui a piloté ce groupe de travail et qui a œuvré pour faire en sorte que ce que l’on appelle le « suicide forcé » soit reconnu désormais comme une circonstance aggravante.

Quand nous avons lancé le Grenelle des violences conjugales, certaines voix se sont élevées pour souligner que l’État n’avait pas encore engagé une vraie politique de prise en charge des auteurs de violences conjugales. Avec la garde des sceaux, nous avons écouté ces voix et nous avons décidé de travailler sur cette question : nous avons donc décidé d’ouvrir d’ici à la fin du quinquennat deux centres de prise en charge des auteurs de violences conjugales par région. Nous avons d’ores et déjà lancé un appel à projets et plusieurs territoires y ont répondu. Nous souhaitons que, dans chaque territoire, on puisse prendre en charge les auteurs de violences conjugales, comme cela se pratique déjà à Arras. Prendre en charge les auteurs, c’est diminuer la récidive et, donc, c’est in fine protéger les femmes face aux violences conjugales.

Nous avons également pendant le confinement pris l’initiative d’ouvrir un numéro de téléphone avec la Fédération nationale des associations et des centres de prise en charge d’auteurs de violences conjugales & familiales (Fnacav), pour que les hommes s’apercevant qu’ils ne peuvent pas gérer leurs accès de colère et de violence puissent être écoutés, puissent être pris en charge et puissent bénéficier d’un accompagnement psychologique. Je vous l’annonce aujourd’hui, cette ligne d’écoute est en train de passer la barre des 500 appels depuis sa mise en œuvre le 6 avril dernier.

Avec la garde des sceaux, nous l’affirmons, l’éviction du conjoint violent est une mesure fondamentale. Grâce à la mise en œuvre d’une plateforme d’hébergement spécifique avec le Groupe SOS, en liaison avec les parquets, les conjoints sont désormais éloignés en moins de trois heures, contre quarante-huit heures auparavant. Une centaine d’auteurs ont d’ores et déjà, depuis le début du confinement, été écartés du domicile grâce à cette mobilisation et à ce partenariat.

Notre priorité est de mettre fin à la cohabitation entre l’agresseur et la victime. Il importe de sortir l’homme violent du foyer ou de mettre à l’abri toutes les femmes qui en ont besoin. C’est pourquoi une charte a été signée le 27 novembre dernier entre les services intégrés de l’accueil et de l’orientation (SIAO) et le 3919, pour mieux coordonner les recherches d’hébergement dédié et les nouvelles places ouvertes avec le Grenelle des violences conjugales.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, ces quelques mesures phares du Grenelle des violences conjugales sont complétées par des dizaines d’autres qui font l’objet d’un suivi rigoureux et régulier dans leur application et dans leur déploiement. C’est à cet effet, ce matin, que j’ai réuni à Matignon les pilotes des onze groupes de travail du Grenelle des violences conjugales, qui poursuivent leurs efforts. Je tiens à les en remercier et à saluer le travail entrepris par l’ensemble des administrations dans la bonne réalisation des mesures, en coordination avec l’ensemble des ministères concernés et le service des droits des femmes et de l’égalité.

Grâce à leur implication, un tiers des mesures du Grenelle des violences conjugales est d’ores et déjà réalisé. Un autre tiers est en cours de déploiement. Le dernier tiers poursuit sa préparation, notamment en ce moment même, ici, avec vous, avant de pouvoir être déployé.

Le confinement a été une épreuve collective qui est venue percuter l’histoire personnelle et familiale de chacun. Vous le savez, il y a eu cinq fois plus de signalements de violences conjugales sur le portail « arretonslesviolences.gouv.fr » et 36 % de signalements en plus auprès des forces de l’ordre. Nous nous sommes mobilisés et la magistrate Élisabeth Moiron-Braud me remettra en juillet les résultats de sa mission sur l’évaluation de la prévalence des violences conjugales pendant le confinement.

Nous notons d’ores et déjà que, s’il y a eu davantage de signalements, il y aurait eu – je parle au conditionnel et avec prudence – moins de féminicides qu’habituellement.

Je voudrais également ici remercier les partenaires privés de leur engagement auprès des associations, puisque des partenariats nous ont permis d’ouvrir 90 points d’écoute et d’orientation avec les associations pour les femmes victimes de violences conjugales. Je pense, notamment, au centre d’entraînement du club de football de l’OM, qui a été un exemple d’engagement pendant le confinement puisqu’il a mis ses locaux et une partie de son personnel à disposition pour loger les femmes victimes de violences conjugales, en partenariat avec les services de l’État.

Vous le savez, le signalement par SMS au 114 a été rendu possible et nous avons créé un fonds d’urgence de 1 million d’euros afin de soutenir davantage les associations et financer 20 000 nuitées pour les victimes de violences conjugales.

Pour finir, je salue ici l’engagement des parlementaires de tous les bords pour mener à bien ces travaux lors de la tenue du Grenelle des violences conjugales. Vous êtes nombreuses et nombreux sur ces travées à avoir participé aux quelque 180 événements locaux qui se sont tenus partout en France et qui ont réuni plus de 4 500 personnes. Je voudrais particulièrement remercier les sénatrices et les sénateurs de la commission des lois, notamment Mme la rapporteure, Marie Mercier, ainsi que les sénatrices et les sénateurs de la délégation aux droits des femmes du Sénat pour les enrichissements qu’ils ont pu apporter au texte.

Même si nous ne nous retrouverons pas sur tous les amendements de la commission, il est heureux de constater que, ensemble, nous avons le même but : lutter contre les violences conjugales et ne rien laisser passer, ce dont je vous remercie !

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