Intervention de Dominique Vérien

Réunion du 9 juin 2020 à 14h30
Protection des victimes de violences conjugales — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Dominique VérienDominique Vérien :

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, 10 000, c’est le nombre d’appels qu’a reçu la plateforme 3919 durant le confinement, preuve, s’il en fallait une encore, du danger que courent les femmes dans notre société.

Nous étudions aujourd’hui – cela a été dit maintes fois – le troisième texte en moins de deux ans sur les violences faites aux femmes. C’est la preuve que le temps de lutter contre ce fléau est arrivé. C’est positif, parce que cela complète utilement l’arsenal juridique dont nous disposons déjà, mais cela ne doit pas masquer le fait que cet arsenal n’est pas toujours employé, du moins suffisamment, sur notre territoire. Il est donc temps de passer de la parole aux actes.

Pour autant, cette proposition de loi apporte des améliorations et elle est l’écho du Grenelle contre les violences conjugales.

Certes, certains des éléments de ce texte auraient pu être adoptés dès l’examen de la proposition de loi Pradié. Certes, ce texte ne reprend pas l’ensemble des recommandations du Grenelle et il faudra sans doute un quatrième texte.

Néanmoins, cette proposition de loi apporte des améliorations. On y retrouve, par exemple, la saisie des armes des conjoints violents, l’évolution du secret médical ou encore la suspension du droit de visite en cas de soupçon de violences. L’auteur du texte a également traité – c’est à saluer – des nouvelles formes de violences exercées via les nouvelles technologies. Ainsi y trouve-t-on la pénalisation du cyberharcèlement entre conjoints ou encore celle de la géolocalisation non consentie.

Puisque l’on parle d’informatique, je veux souligner l’évolution apportée par notre rapporteur, Marie Mercier, sur l’inscription au Fijais des individus condamnés pour consultation de contenus pornographiques. Nos travaux réalisés dans le cadre de la mission d’information sur la pédocriminalité dans les institutions avaient mis en évidence l’importance trop faible accordée à la consultation d’images pédopornographiques. Or cette consultation est souvent le symptôme d’un mal bien plus profond, car, ne l’oublions pas, l’enfant violé sur une image ou dans un film est un enfant véritablement violé. Je vous remercie donc de cette amélioration, madame la rapporteure.

Je salue également la rupture avec le dogme du lien familial sacré. Ce dogme a longtemps été le credo de juges aux affaires familiales : on ne sépare pas un enfant de ses parents. Comment peut-on penser qu’il soit nécessaire et même positif de garder un lien entre le bourreau et sa victime ? Je me réjouis de constater que l’obligation alimentaire et le droit de la succession puissent être écartés en cas de crimes ou de délits intrafamiliaux.

J’en viens à la notion d’emprise ; celle-ci est maintenant reconnue. L’emprise est une mare de mazout dans laquelle on se débat. On ne peut s’en sortir seul ; il faut l’intervention d’une personne extérieure pour vous extraire du magma dans lequel vous êtes englué, pour vous aider à nettoyer vos ailes et à reprendre, ensuite, votre envol. L’emprise est souvent, malheureusement, la clé de compréhension des situations de violences répétées, qui peuvent aller jusqu’au meurtre.

Enfin, autre apport de ce texte : la question du secret médical et la possibilité pour un médecin d’y déroger. Naturellement, cette dérogation est encadrée et la rapporteure apporte des nuances bienvenues dans la rédaction du texte. Pour autant, à titre personnel, je défendrai un amendement sur ce sujet, car la notion retenue de « danger immédiat » pour la vie d’une victime me semble malvenue. En matière de violences conjugales, lorsqu’une victime fait face à un danger immédiat pour sa vie, il est déjà trop tard et, dans cette circonstance, on se rend rarement chez son médecin de famille ; c’est aux urgences qu’on la retrouvera, dans le meilleur des cas… La notion de danger me semble donc plus indiquée.

Cette proposition apporte des améliorations, disais-je, mais j’émettrai tout de même un bémol ; qu’en est-il de la prévention, de la détection, du suivi, de l’évitement de la récidive ? Ces éléments sont indispensables si l’on veut éviter, plutôt que lutter contre, les violences conjugales. Il est vrai que des mesures ont été prises récemment en ce sens. Je pense, par exemple : au changement de paradigme en matière de logement, avec l’éloignement du conjoint violent et non plus de la victime et de ses enfants ; à la circulaire de Mme la garde des sceaux rappelant que les enfants témoins de violences conjugales sont aussi des victimes et doivent être, à ce titre, représentés ; ou encore au numéro d’appel mis en place par la Fnacav pour les hommes violents.

Je me permets de rappeler, à cette occasion, que, dans le cadre de notre rapport sur la pédocriminalité dans les institutions, Marie Mercier, Michel Meunier et moi-même appelions de nos vœux un tel numéro pour les pédophiles, afin d’éviter que ceux-ci ne deviennent pédocriminels. Il y a donc encore du travail, notamment sur la formation, en matière de violences conjugales et de protection des mineurs, des professionnels de santé et de l’éducation, de la police et de la gendarmerie. Une meilleure formation de ces acteurs permettrait de détecter, le plus en amont possible, ce poison. Une bonne formation des policiers et des gendarmes permettrait de mieux accueillir les victimes et de proscrire la main courante pour favoriser un dépôt de plainte systématique.

Je veux maintenant évoquer les moyens, car la bonne intention n’est pas suffisante. Prenons l’exemple des stages pour les hommes violents ; c’est une excellente idée sur le papier, mais, dans les faits, il y a tellement peu de places et de psychologues qu’il faut attendre plusieurs mois pour y participer, et ces stages ne durent que quelques heures, quelques jours au mieux. Pensez-vous qu’un homme qui ne communique que par la violence soit guéri en deux jours ? Ne croyez-vous pas que les six mois d’attente pour être traité sont six mois d’enfer pour le conjoint ? Je pourrais aussi parler du manque criant de psychologues dans les commissariats ou dans les gendarmeries, du manque d’infirmières scolaires ou encore de la baisse des aides aux associations.

Bref, il y a encore beaucoup de besoins à satisfaire, mais, bien sûr, ce n’est pas parce que le chemin est long qu’il ne faut pas le prendre. Vous l’aurez compris, le groupe Union Centriste votera ce texte.

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