Intervention de Laure Darcos

Réunion du 9 juin 2020 à 14h30
Protection des victimes de violences conjugales — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Laure DarcosLaure Darcos :

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, le Sénat examine aujourd’hui la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales.

Ce texte s’inscrit dans le prolongement du Grenelle contre les violences conjugales, ouvert par le Gouvernement le 3 septembre dernier. Il a vocation à être le complément de la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, qui était issue de la proposition de loi de notre collègue député Aurélien Pradié.

Cette loi de 2019 constitue, à n’en pas douter, une véritable avancée pour les victimes, avec la possibilité donnée au juge d’ordonner la pose du bracelet anti-rapprochement, le recours élargi au téléphone grave danger ou encore le renforcement du dispositif de l’ordonnance de protection, désormais délivrée plus rapidement et plus protectrice pour les victimes. Il est, par exemple, d’une importance capitale que le conjoint violent puisse être évincé du domicile conjugal dans les plus brefs délais. Cette loi a par ailleurs prévu diverses mesures afin de faciliter le relogement des victimes de violences et il faut s’en réjouir, car le logement constitue l’élément fondateur de toute reconstruction personnelle.

Alors, pourquoi ce nouveau texte est-il déposé au Parlement avant même que la loi de 2019 ait démontré la pleine mesure de sa capacité à juguler les violences conjugales et à servir durablement les victimes, sous réserve qu’elle soit assortie de financements suffisants pour soutenir les associations et les dispositifs judiciaires, comme le bracelet anti-rapprochement ? Permettez-moi d’y insister : la loi Pradié est un texte pragmatique, apportant des solutions juridiques précises. Ainsi, des dispositions concernant l’autorité parentale, figurant initialement dans le texte qui nous est soumis, il ne reste plus grand-chose, car la commission des lois de l’Assemblée nationale a dû se résoudre à constater que la législation en vigueur traitait cette question de manière adéquate.

Depuis 2014, la juridiction de jugement a en effet l’obligation de se prononcer sur le retrait total ou partiel de l’autorité parentale de l’auteur d’un crime ou d’un délit commis sur la personne de l’autre parent. Il s’agit là d’une mesure de protection de l’enfant, qui répond à la tragédie familiale qui affecte directement ce dernier.

Néanmoins, les décisions de retrait de l’autorité parentale prises sur le fondement d’infractions commises sur l’autre parent étaient jusqu’ici trop peu nombreuses, sans doute parce que prévalait une certaine idée, selon laquelle l’intérêt de l’enfant réside dans le maintien, coûte que coûte, de liens familiaux avec l’auteur des violences.

L’apport de la loi du 28 décembre 2019 est ici intéressant à plus d’un titre : celle-ci permet désormais aux juridictions civiles et pénales, qui ont la faculté de prononcer le retrait total ou partiel de l’autorité parentale, de prononcer alternativement le retrait de l’exercice de l’autorité parentale. Par ailleurs, elle a prévu une suspension de plein droit de l’exercice de l’autorité parentale pour six mois, afin de libérer l’enfant de la tutelle de l’auteur du crime, dans l’attente d’une décision pérenne de l’institution judiciaire.

Ces dispositions devraient rapidement faire la preuve de leur efficacité à préserver l’intégrité physique et morale des enfants, au regard d’une opinion publique tolérant de moins en moins les violences intrafamiliales et la persistance d’une certaine domination de la figure paternelle. Or ce sont justement les enfants, particulièrement vulnérables, qu’il nous faut sans relâche protéger des dérives des adultes.

Notre délégation aux droits des femmes, dont je salue la vigilance constante sur tous ces sujets, a mené de nombreuses auditions sur le thème des violences intrafamiliales. Tous nos interlocuteurs ont attesté les conséquences souvent dramatiques de ces violences sur la construction identitaire des enfants. Ceux-ci sont d’autant plus fragilisés que les faits de violences sont répétés, s’aggravent et s’inscrivent dans un rapport de force asymétrique. L’impact de ces faits est variable selon le degré d’exposition à la violence conjugale, mais aussi selon l’âge et le sexe de l’enfant.

Certains experts évoquent un syndrome de stress post-traumatique pouvant être accompagné d’effets négatifs affectant le développement de l’enfant ou ses conduites : fonctionnement cognitif et émotionnel perturbé, santé dégradée, problèmes d’échec scolaire, démonstrations d’agressivité et usage de la violence. À l’âge adulte, ces enfants exposés présentent un risque bien réel de reproduire les comportements violents dont ils ont été les témoins.

Toute politique publique doit donc rechercher les solutions permettant de favoriser la résilience. C’est pourquoi la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales, que nous examinons aujourd’hui, me semble comporter une mesure importante au regard de cet objectif : la possibilité donnée au juge de suspendre le droit de visite et d’hébergement dont une personne placée sous contrôle judiciaire est titulaire.

Cette possibilité n’était pas prévue par la loi de 2019, le juge pouvant seulement prononcer à l’encontre de l’auteur des faits, dans le cadre du contrôle judiciaire, une interdiction de s’approcher de la victime et de paraître au domicile ou aux abords immédiats de celui-ci. L’exercice du droit de visite et d’hébergement est en effet un moment particulièrement redouté par les victimes de violences conjugales. Permettre au juge d’instruction et au juge des libertés et de la détention d’ordonner, à ce stade de la procédure pénale, la suspension du droit de visite et d’hébergement à l’égard des enfants est une mesure indispensable, complétant utilement le dispositif de protection des victimes. Je la soutiens donc totalement.

Permettez-moi toutefois de former, au terme de cette intervention, un vœu : il est temps, me semble-t-il, de mettre un terme à cette inflation législative et de laisser l’ensemble des acteurs, en particulier ceux de la chaîne pénale, se saisir des nouveaux outils mis à leur disposition, pour combattre le fléau des violences conjugales.

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