Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, je veux d’abord rendre hommage, en quelques mots, aux militantes féministes, à ces activistes, à ces femmes souvent raillées, moquées, caricaturées dans l’histoire de notre société, mais sans qui l’on ne parlerait probablement toujours pas des violences conjugales, sans qui l’on considérerait toujours qu’il s’agit là d’une affaire privée et en aucun cas d’un sujet politique. Il faut leur rendre hommage, parce que nous n’en avons pas encore fini avec la compréhension collective du phénomène et avec l’action publique contre les violences intrafamiliales, contre les violences faites aux femmes et aux enfants.
Il n’y a aucun suspens, le groupe socialiste votera ces quelques articles, car ce ne sont que des articles, non réellement une loi. Certes, cette manière de construire la loi est ancienne. La première loi sur les violences faites aux femmes doit dater de 1992 – il s’agit du texte reconnaissant le meurtre sur conjoint comme une circonstance aggravante – et l’on peut considérer ce texte comme la première loi prenant en compte des violences intrafamiliales et conjugales. Mais quand on retrace l’histoire des lois sanctionnant et prévenant les violences faites aux femmes, on n’observe pas de grande loi, ce n’est qu’une addition répétée de nouveaux articles, glissés dans un texte ou dans un autre, car, chaque fois, le Parlement ou une ministre veut insérer une disposition supplémentaire. Cela produit ainsi un édifice juridique qui est loin d’être parfait.
Malheureusement, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui ne rompt pas avec ce mode de construction et, surtout, elle n’achève pas le processus. Il y aura encore d’autres lois visant à prévenir et à réprimer les violences faites aux femmes.
Je regrette pour ma part deux choses.
En premier lieu, ce mode de construction législative sépare, segmente les différentes dimensions de la condition des femmes.
Puisque le sujet avait été déclaré grande cause du quinquennat, puisque la société s’est mobilisée comme jamais, grâce à #MeToo et, surtout, aux médias, qui, reconnaissons-le, ont réalisé un travail inédit pour porter la question sur la scène publique, nous aurions aimé une grande loi contre les violences faites aux femmes.
Cette grande loi aurait englobé la question des violences économiques. Je ne parle pas des progrès que vous avez permis concernant l’Agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires (Aripa), dont je déplore par ailleurs que vous ayez accepté le report de six mois de la mise en œuvre, ce qui prouve que les femmes sont les premières victimes non seulement du confinement en général, mais aussi du confinement des administrations.
Cette grande loi aurait également inclus le sujet des violences sexuelles, des droits sexuels et reproductifs. Quand on oppose un refus systématique à l’allongement de deux semaines des délais d’IVG, comme vous l’avez fait pendant ces deux mois, on accroît les violences faites aux femmes. Ne pas permettre aux femmes d’avorter est une violence qui leur est faite et que le Gouvernement, sûr de lui, a assumée, tout en venant régulièrement devant le Parlement défendre des textes…
Nous aurions également bien besoin d’une loi antisexiste.
Bref, nous aurions aimé une vraie loi permettant de transformer la condition des femmes, en comptant non pas uniquement sur la société et sa mobilisation, mais aussi sur l’appui des politiques et des pouvoirs publics.
Que la dimension extrêmement mortifère, pour les femmes, des violences consécutives aux séparations ne soit toujours pas suffisamment prise en compte me fait dire que nous y reviendrons probablement.
En fait, en second lieu, ce texte ne rompt pas avec une coutume de la chancellerie, qui consiste à penser qu’il ne faut pas se mêler de l’office du juge. Or, plus on laisse le juge libre, en particulier en matière de justice civile et de justice familiale, plus on multiplie les occasions que la séparation soit une occasion de violence pour les femmes.
Nous présenterons des amendements tout à l’heure, qui viseront non pas à tenir la main du juge, mais simplement à indiquer les matières que le juge doit traiter à chaque fois et les questions qu’il doit se poser avant de rendre une ordonnance – de protection ou de divorce.
Vous nous répondrez probablement qu’il faut laisser le juge libre. Or « le juge » n’existe pas dans la vraie vie : c’est un concept d’étudiants en droit. Dans la vraie vie, il y a des quantités de juges et des femmes maltraitées par la justice civile !