Intervention de Muriel Jourda

Réunion du 10 juin 2020 à 15h00
Diverses dispositions liées à la crise sanitaire à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du royaume-uni de l'union européenne — Adoption définitive des conclusions d'une commission mixte paritaire sur un projet de loi

Photo de Muriel JourdaMuriel Jourda :

Madame le président, monsieur le ministre des relations avec le Parlement, mes chers collègues, nous entamons l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi « relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ». Vous me pardonnerez d’avoir lu cet intitulé, mais je ne parviens décidément pas à le mémoriser – au moins a-t-il le mérite de rappeler que le projet de loi comporte des mesures relativement diversifiées…

La commission mixte paritaire, vous le savez, est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

Parfois, l’accord avec l’Assemblée nationale a été aisé à trouver, comme il l’avait été en séance avec le Gouvernement : sur le recrutement dans les armées, la prolongation d’un certain nombre de mandats sociaux arrivés à échéance pendant la crise sanitaire, donc le confinement, la prolongation, chère à nos collègues d’outre-mer, de l’activité des agences des cinquante pas géométriques ou encore la prolongation de la commission d’urgence foncière à Mayotte.

Sur certains points, nous avons réussi à convaincre nos collègues de l’Assemblée nationale. Ainsi, s’agissant de l’application de la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi Égalim, un enjeu auquel, sur toutes les travées, nous sommes attentifs, nous leur avons fait partager notre conviction que l’application des seuils de revente à perte doit être poursuivie non sur dix-huit, mais sur quatorze mois, soit la période des contrats agricoles. De même, en ce qui concerne l’encadrement des promotions, le Gouvernement prendra en compte les produits présentant un caractère saisonnier marqué, comme le Sénat le demande depuis plusieurs mois.

Nous avons aussi convaincu nos collègues députés de prendre en compte la proposition de la délégation sénatoriale aux entreprises consistant à mieux définir le périmètre de la cession de fonds de commerce dans le cadre d’une liquidation judiciaire ; cette mesure permettra d’ajuster le nombre de salariés pouvant être conservés, en sortant du « tout ou rien » qui prévaut jusqu’ici.

D’autres sujets étaient plus délicats ; ce sont aussi ceux dont nous avions le plus abondamment débattu en séance.

Monsieur le ministre, vous ne serez pas étonné que l’un de ces sujets soit le Brexit, en particulier le délai d’habilitation que nous voulons bien accorder au Gouvernement pour prendre un certain nombre de dispositions en la matière. Au départ, de manière sans doute un peu déraisonnable, le Gouvernement demandait un délai de trente mois, excédant même sa propre durée de vie possible, puisqu’il conduisait au-delà de l’élection présidentielle… L’Assemble nationale avait ramené ce délai à quinze mois. Nous sommes finalement tombés d’accord sur douze mois, un délai que le Sénat avait précédemment voté.

Délicate aussi fut la question de l’extension de l’expérimentation des cours criminelles, qui sont des cours d’assises sans jury populaire, c’est-à-dire sans l’élément caractéristique de la cour d’assises. L’expérimentation en cours est limitée à dix juridictions, avec une évaluation prévue au bout de trois ans. Alors que ces cours ont été mises en place voilà quelques mois, le Gouvernement nous demandait d’étendre l’expérimentation à trente juridictions, sans attendre l’évaluation des premières expériences.

Nous étions en désaccord avec ce procédé : plutôt que d’une expérimentation, il s’agissait, en réalité, d’une véritable politique de remplacement des cours d’assises, probablement destinée à gérer le stock d’affaires qui, il est vrai, s’est accumulé pendant le confinement. Nous pouvions comprendre l’objectif, mais nous ne souscrivions pas nécessairement à la méthode.

Nous n’y souscrivons toujours pas, mais il a bien fallu prendre une décision. Refuser un accord aurait conduit à l’extension à trente cours, donc au passage à un régime de remplacement. Nous avons préféré un accord permettant de maintenir le principe d’une expérimentation : dix-huit cours criminelles au total pourront être mises en place ; nous verrons si toutes le sont ou non.

En l’absence d’Albéric de Montgolfier, rapporteur pour l’article 3, je dirai un mot de l’accord trouvé à cet égard.

En ces termes délicats qui sont propres à l’administration fiscale, Bercy – appelons les choses par leur nom – voulait pouvoir prescrire qu’un certain nombre d’organismes déposent leur trésorerie au Trésor public, afin d’améliorer la gestion de la trésorerie de l’État.

On peut partager l’intention ; personne d’ailleurs ne s’en est offusqué. Reste que la rédaction de l’article était tellement large qu’il était impossible de savoir quels organismes seraient sollicités. En particulier, des organismes privés chargés d’une mission de service public pouvaient se trouver dans cette situation, ce dont nombre d’entre eux s’étaient émus, en particulier l’Association des paralysés de France, qui craignait de devoir remettre ses dons au Trésor public, et les maisons de retraite et établissements médico-sociaux, qui se demandaient s’ils étaient compris dans le champ de l’article 3.

Faute de réponse très claire du Gouvernement, nous avions supprimé cet article. Il est finalement rétabli, mais avec des précisions : sont concernés les organismes soumis à la comptabilité publique, créés par la loi et dont les finances proviennent majoritairement de l’impôt ; un certain nombre d’institutions sont expressément exclues, notamment les établissements médico-sociaux, mais aussi les caisses des règlements pécuniaires des avocats (Carpa) – ces derniers étaient également inquiets.

Mais le principal intérêt de l’accord trouvé en commission mixte paritaire est ailleurs : alors que le Gouvernement demandait une quarantaine d’habilitations à légiférer par ordonnance sur le fondement de l’article 38 de la Constitution, ce que nous n’acceptions pas, le nombre d’habilitations a été réduit à dix. Cette réduction des trois quarts est évidemment intéressante pour le Parlement, et même nécessaire, car il s’agit pour nous de « reprendre la main » sur un domaine qui nous est confié par la Constitution.

Pour reprendre les propos du facétieux président de la commission des lois, nous sommes assez heureux d’avoir accompli en quelques jours ce que l’administration aurait réalisé en six mois par voie d’ordonnance… C’est là, je crois, une première victoire.

Il est vrai, monsieur le ministre, que nous n’aurions peut-être pas vu là une victoire, si nous avions connu plus tôt la jurisprudence du Conseil constitutionnel du 28 mai dernier.

De fait, dans un revirement jurisprudentiel, le Conseil constitutionnel a jugé que, désormais, passé le délai d’habilitation, les mesures prises par voie d’ordonnance deviendraient législatives. Dans ce cadre, nous nous demandons quel intérêt le Gouvernement pourrait encore avoir, non pas à déposer un projet de loi de ratification – il en a l’obligation –, mais à l’inscrire à l’ordre du jour, puisque les mesures seront déjà législatives.

C’est pourquoi nous vous demandons, monsieur le ministre, si vous pouvez vous engager à inscrire désormais à l’ordre du jour prioritaire les projets de loi de ratification, qui sont le seul moyen pour le Sénat, pour le Parlement de manière générale, de modifier éventuellement les ordonnances prises. D’autre part, comme je l’ai déjà plusieurs fois demandé, quand sera inscrit à l’ordre du jour prioritaire le projet de loi ratifiant l’ordonnance portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs ? Le Sénat, vous le savez, y attache une importance particulière !

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