Intervention de Yann Gaillard

Réunion du 4 décembre 2007 à 15h10
Loi de finances pour 2008 — Compte spécial : cinéma audiovisuel et expression radiophonique locale

Photo de Yann GaillardYann Gaillard, rapporteur spécial :

Cette situation pose les deux questions de fond suivantes : les grands établissements publics culturels sont-ils des instruments de la politique culturelle ou des entités autonomes, définissant elles-mêmes leurs priorités culturelles ? Existe-t-il encore une politique culturelle nationale, quand près de la moitié des moyens humains et financiers du ministère de la culture transite par les établissements publics ? Je reconnais que cette question a un caractère un peu provocateur...

Au terme de mon enquête, j'ai recommandé de rationaliser la tutelle du ministère de la culture et d'impliquer dans son exercice les responsables des différents programmes. Il est également essentiel que des contrats de performances soient établis entre les établissements et le ministère. Je souhaite donc, madame la ministre, que vous nous précisiez les suites que vous entendez donner à mes recommandations.

Je ferai maintenant quelques observations plus ciblées.

Tout d'abord, madame la ministre, je veux insister sur ce que l'on pourrait appeler, d'un terme jargonneux, la « soutenabilité » de la politique culturelle, tout particulièrement dans le domaine du patrimoine. Le programme 175 est, en effet, le plus contraint, puisque les crédits de paiement demandés serviront, en 2008, pour 12, 6 %, à couvrir des autorisations d'engagement antérieures à cet exercice. En 2009, cette proportion passera à 41, 65 %.

On pourrait continuer ainsi pendant les dix prochaines années, ce qui aboutirait à démontrer que, pratiquement, on ne pourra plus rien faire de nouveau, ce qui est sans doute excessif.

Sur l'ensemble des programmes de la mission, les crédits de paiement destinés à couvrir des autorisations d'engagement demandées avant 2008 représenteront 6, 5 % du total alloué en 2008. En 2009, ils s'élèveront à 20, 84 % des crédits de paiement de l'année, si le budget de la mission n'augmente pas, ce qui semble plausible dans le contexte budgétaire actuel. Cette situation suscite une certaine inquiétude.

Cette contrainte budgétaire pèse dès à présent sur les programmes de la mission « Culture » et je souligne que les engagements nouveaux devront être probablement encadrés, dans le domaine des monuments historiques, tout comme dans celui de la réalisation d'équipements culturels nouveaux.

Il faut en être conscient : les contraintes budgétaires devront se traduire par des choix drastiques dans tous les secteurs de la politique culturelle. J'aimerais avoir quelques informations sur vos orientations à ce sujet, madame la ministre.

Afin de disposer d'une vision claire des enjeux, la commission avait demandé, l'an dernier, la transmission d'un rapport sur l'état sanitaire du patrimoine monumental français. Ce rapport n'a pas encore été communiqué au Parlement, alors que le délai prévu a expiré. Je souhaite donc, madame la ministre, que vous relanciez vos services, afin que ce rapport nous soit remis dans les meilleurs délais.

Ma deuxième observation, plus positive, concerne l'Institut national de recherches archéologiques préventives, l'INRAP, dont la subvention d'équilibre est prorogée, pour 2008, à hauteur de 9, 07 millions d'euros. La situation de cet établissement - auquel la commission des finances s'est beaucoup intéressée voilà deux ans - s'est améliorée depuis la parution de mon rapport d'information, et j'observe, en particulier, l'augmentation du produit de la redevance d'archéologie préventive, qui est passé, entre 2005 et 2006, de 32 millions d'euros à 66, 6 millions d'euros.

Il est toutefois nécessaire de garantir, par des crédits budgétaires, l'équilibre des finances de cet établissement public. Je l'avais d'ailleurs indiqué dès l'examen du projet de loi de finances pour 2006, à un moment où le ministère de la culture, sans doute un peu trop optimiste, ne le jugeait pas utile.

Je voudrais souligner que cette subvention devrait permettre, sans toutefois y suffire, de stabiliser la situation financière de l'INRAP, si elle va de pair avec le maintien d'une politique très stricte de gestion des ressources humaines.

Néanmoins, et là réside la difficulté, ce strict encadrement des recrutements doit être compatible avec un délai de traitement moyen des fouilles archéologiques acceptable par les entrepreneurs et les collectivités territoriales concernées.

J'observe, par ailleurs, que l'INRAP n'a pas profité de l'assainissement de ses ressources pour rembourser le prêt du Trésor qui lui a permis de couvrir ses déficits successifs depuis 2002, soit 23 millions d'euros : 15, 5 millions d'euros doivent encore être remboursés. D'ailleurs, les taux d'intérêt demandés par le Trésor ne sont pas négligeables.

Enfin, j'estime que le ministère de la culture doit poursuivre son effort de rationalisation de la politique d'archéologie préventive en réunissant sans tarder, comme il s'y est engagé devant le Sénat, le Conseil national de la recherche archéologique.

L'idée est évidemment de définir des priorités dans le cadre d'une carte archéologique qui serait susceptible de nous donner un certain nombre de bases, mais c'est peut-être un rêve difficile à réaliser !

Je souhaite donc, madame la ministre, que vous nous fassiez part de vos orientations sur ces différents points et, surtout, que vous puissiez présider vous-même l'une des réunions du Conseil national de la recherche archéologique. Bien que j'aie adressé à plusieurs reprises la même demande à votre prédécesseur, il a toujours envoyé à sa place le directeur de l'architecture et du patrimoine, personnalité éminente et infiniment respectable, qui n'est cependant pas en capacité de prendre des engagements politiques.

Ma troisième observation porte sur le Centre national de la cinématographie, le CNC. À ce jour, les taxes qui alimentent le soutien à l'audiovisuel et au cinéma transitent par le compte d'affectation spéciale « Cinéma, audiovisuel et expression radiophonique locale ».

Ce système présente de réels inconvénients. En effet, les crédits alloués au cinéma et ceux qui sont destinés à la télévision sont gérés de manière étanche, alors que la distinction des supports n'a plus de sens à l'heure de la numérisation et empêche les régulations entre les sections du compte.

Sur le plan comptable, le CNC ne peut pas retracer ses créances dans son bilan. En outre, la comptabilisation des recettes affectées au compte d'affectation spéciale se fait sur la base des encaissements et non des droits constatés, ce qui contribue à déséquilibrer la structure financière du CNC.

J'estime donc que l'affectation directe des taxes au CNC présenterait de nombreux avantages. Je soutiendrai ainsi la mesure proposée à l'article 34 du projet de loi de finances rectificative pour 2007, dans l'attente de la réforme de la gouvernance du CNC. Vos services ne semblent pas opposés à cette orientation, madame la ministre.

L'amendement proposé à ce sujet par la commission des finances nous permettant de débattre de manière plus approfondie de l'expérimentation de la gratuité des musées, puisqu'il prévoit le dépôt d'un rapport, je voudrais vous faire part ici des inquiétudes engendrées par la proposition de loi de notre collègue député Jean-François Mancel, tendant « à établir une réelle liberté de gestion des établissements culturels ». Notre collègue député propose de classer les oeuvres détenues par les musées français en deux catégories : d'une part, les « trésors nationaux », oeuvres qui, compte tenu de leur importance, ne pourraient quitter le territoire national et seraient inaliénables ; d'autre part, les « oeuvres libres d'utilisation », qui seraient aliénables et pourraient être louées ou vendues, sous réserve de l'accord d'une commission du patrimoine culturel.

J'entends bien que l'on ne peut pas continuer à accumuler indéfiniment dans les musées des objets qui sont peut-être des « rossignols ». Mais sait-on seulement ce que ces « rossignols » seront à l'avenir ?

Cette proposition de loi va en tout cas à l'encontre de la tradition française et a déclenché de vives inquiétudes dans les milieux museaux. Je souhaite donc que vous nous fassiez partager l'analyse du Gouvernement sur ce sujet.

Enfin, ce point ayant fait l'objet de débats en commission des finances, je voudrais attirer l'attention du Gouvernement sur le décret qui doit permettre aux directions régionales des affaires culturelles d'assister les communes et prévoir la possibilité, pour les DRAC, d' « héberger » les procédures de passation des marchés publics des petites communes. Madame la ministre, ce décret est attendu et nous souhaiterions connaître l'état d'avancement de sa rédaction.

Sous le bénéfice de ces observations et de l'amendement qu'elle présente, la commission des finances propose au Sénat d'adopter les crédits de la mission « Culture » pour 2008, ainsi que ceux du compte d'affectation spéciale « Cinéma, audiovisuel et expression radiophonique locale ».

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