Madame la ministre, depuis votre prise de fonction rue de Valois, nous assistons à l'ouverture de nombreux chantiers dans plusieurs secteurs de notre politique culturelle : missions Olivennes sur le téléchargement illégal, Gross sur l'éducation artistique et culturelle, « Grenelle de l'audiovisuel ». La lettre de mission que vous a adressée le Président de la République a fixé les grandes lignes de votre action, dont nous commençons à trouver la traduction dans ce budget.
Madame la ministre, je serai très directe : ce budget inquiète les acteurs culturels tout autant que les collectivités territoriales, que nous représentons ici au Sénat, déjà très investies dans la culture. Vous l'avez vous-même admis, votre budget n'est pas seulement contraint, c'est un budget d'austérité. Je dirais que vous avez été quelque peu malmenée par Bercy et nous sommes nombreux ici à le penser.
Certes, nous sommes conscients de l'état critique de nos finances publiques. Nous concevons tout à fait que le ministère de la culture participe à l'effort de réduction des dépenses. Cependant, l'effort demandé est très important pour un secteur qui représente à peine 1 % du budget de l'État. Il ne faudrait pas que l'ensemble du secteur culturel soit pénalisé outre mesure. Gardons à l'esprit cette maxime que l'on doit au cinéaste et humoriste américain Woody Allen qui dit fort à propos que « l'argent est plus utile que la pauvreté pour des raisons financières ».
La lettre de mission du Président de la République vous fixe des objectifs ambitieux. Aussi, dans un contexte budgétaire contraint, notre interrogation concerne les moyens dont vous disposez pour les atteindre.
Comment sauvegarder le patrimoine monumental quand on constate une stagnation des crédits, alors que cette action suppose des moyens importants et un effort constant, selon les termes du Président de la République ?
Comment favoriser la création et la diffusion des spectacles quand les crédits en faveur du spectacle vivant restent, au mieux, au même niveau ?
Comment faire de la démocratisation culturelle une priorité de la politique culturelle lorsque les crédits du programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » sont en baisse d'environ 1, 7 million d'euros ?
Ainsi dans le programme « Patrimoines », on constate la stagnation des crédits alloués au patrimoine historique, autour de 300 millions d'euros, qui ne se situent à ce niveau que grâce à la rebudgétisation de la taxe affectée au Centre des monuments nationaux. Nous regrettons cette décision, car cette recette pérenne nouvelle de 70 millions d'euros par an, prélevés sur les droits de mutation perçus par l'État, était particulièrement utile. Nous retombons donc à un niveau de crédits insuffisants pour les besoins de ce secteur, après deux années marquées par des mesures d'urgence qui avaient permis d'atteindre les 350 millions d'euros jugés nécessaires par notre mission d'information. Nous sommes également loin des 400 millions promis par le Président de la République pendant la campagne présidentielle « pour redonner sa splendeur à notre patrimoine ». Dans ces conditions, un certain nombre de chantiers vont de nouveau être arrêtés ou reportés.
Cette situation confirme, au-delà d'un engagement constant, la nécessité de mettre en oeuvre au plus vite les dispositions préconisées par les missions de l'Assemblée nationale et du Sénat en faveur du patrimoine, notamment la diversification de ses sources de financement.
Consciente de ces difficultés, madame la ministre, vous avez évoqué la recherche d'une ressource extrabudgétaire pour assurer la pérennité du financement. Pouvez-vous nous donner des précisions sur cette mesure ?
Cela dit, pour être équitable, je tiens à saluer les efforts déployés en faveur des monuments historiques n'appartenant pas à l'État, puisque 20 millions d'euros supplémentaires par rapport à 2007 leur seront consacrés. C'est une bonne chose, car les monuments appartenant aux collectivités locales et aux propriétaires privés disposent traditionnellement de moins de moyens que les monuments parisiens, et sont dans une situation très tendue.
Dans ce programme, je citerai également l'action renforcée du ministère en faveur des musées en région qui voient leurs crédits augmenter de près de 18 %. Ces crédits supplémentaires permettront de financer les opérations d'investissement et d'améliorer la qualité des équipes et des lieux qui assurent en région la diffusion des riches oeuvres de notre patrimoine muséal. Ce rééquilibrage en faveur des régions est le bienvenu.
L'effort est aussi conséquent en faveur des archives, puisque ce sont 76 millions d'euros en autorisations d'engagement et 28 millions en crédits de paiement qui sont consacrés à la construction du nouveau Centre des archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine. Ce centre pour les archives de l'État postérieures à 1790, qui devrait voir le jour en 2011, permettra aux chercheurs de disposer d'un lieu moderne et adapté de conservation et de consultation des archives. Par cet engagement, qui sera complété par le projet de loi relatif aux archives - il sera prochainement discuté dans notre assemblée -, l'État confirme que la conservation, l'enrichissement et la valorisation du patrimoine archivistique constituent un objectif majeur de sa politique culturelle.
Concernant la transmission des savoirs et la démocratisation de la culture, je regrette la baisse globale des crédits de ce programme. Certes, figure dans ce budget une augmentation de 6 % des crédits alloués à l'éducation artistique et culturelle qui fait figure de priorité de votre action.
Nous ne pouvons que vous soutenir dans ce choix politique, car nous sommes convaincus que toute réforme profonde de la politique culturelle tient à la place que l'on fera à l'éducation artistique dans le cadre de l'enseignement général. Nous serons bien sûr attentifs aux mesures concrètes que vous mettrez en oeuvre à la suite des recommandations de M. Éric Gross sur la généralisation de l'éducation artistique et culturelle et l'amélioration de ses dispositifs.
Cependant, les actions en faveur de l'accès à la culture sont touchées, ce qui est en contradiction totale avec l'objectif prioritaire de démocratisation culturelle affiché par le ministère. Ce sont les actions de sensibilisation des publics, les politiques de lutte contre les inégalités territoriales, le travail des associations auprès des populations culturellement défavorisées qui sont remis en cause. On ne peut financer l'éducation artistique et culturelle au détriment des dispositifs de démocratisation culturelle.
Il est également difficilement compréhensible aujourd'hui que les ASSEDIC refusent encore de prendre en compte - comme pourtant l'avait souhaité votre prédécesseur, Renaud Donnedieu de Vabres - les heures d'intervention des artistes dans les écoles et dans d'autres lieux pour qu'ils bénéficient de leur régime d'assurance chômage. Nous savons tous que l'éducation artistique et culturelle passe par la présence renforcée des artistes dans les écoles. C'est d'ailleurs le sens des mesures prises dans ce budget. Comment cette politique est-elle possible si les ASSEDIC ne reconnaissent pas ces heures comme faisant partie du travail artistique ouvrant des droits aux intermittents ? Ces derniers ont besoin, madame la ministre, d'être aujourd'hui rassurés.
Un dernier mot pour déplorer la diminution des aides aux établissements d'enseignement spécialisé, qui obligera les collectivités territoriales à venir compenser ce désengagement. C'est le cas dans mon département, comme dans beaucoup d'autres, où les crédits pour l'école des beaux-arts du Havre et de Rouen sont en baisse de 15 %. Je n'ose croire qu'une baisse similaire affectera les conservatoires. À l'heure de la mise en oeuvre, inégalement avancée, d'ailleurs, de la loi relative aux libertés et responsabilités locales d'août 2004 concernant ces établissements, cette décision serait regrettable, car elle donnerait le sentiment d'un « marché de dupes ». On ne peut concevoir la décentralisation comme un désengagement de l'État qui se décharge de ses missions sur les collectivités locales.
Concernant l'expérimentation de la gratuité des musées, je voudrais exprimer les mêmes réserves que notre rapporteur pour avis Philippe Nachbar. Si cette initiative apparaît de prime abord comme une bonne idée, je ne suis pas sûre qu'elle soit particulièrement opportune dans un contexte budgétaire particulièrement contraint et qu'elle soit la panacée pour favoriser l'accès à la culture. De nombreuses études ont en effet montré que ce type de mesure renforçait la fréquentation des publics déjà habitués à venir dans les musées. On ne peut donc pas associer si facilement gratuité et démocratisation.
C'est en outre méconnaître tout le travail de sensibilisation des publics éloignés des pratiques culturelles, qui ne viendront pas dans les musées uniquement parce qu'ils sont gratuits. C'est pour cette raison que les actions en faveur de l'accès à la culture ne doivent pas être délaissées. Cela dit, j'ai bien entendu que cette expérimentation sera ciblée et soumise à évaluation.
Enfin, en ce qui concerne le programme « Création », hormis le secteur des arts plastiques, qui est en progression, les crédits stagnent, ce qui ne manque pas d'inquiéter les professionnels du spectacle vivant, qui tirent aujourd'hui la sonnette d'alarme.
Alors que le spectacle vivant a fait figure de secteur prioritaire ces dernières années, ce n'est plus vraiment le cas aujourd'hui. Le gel des crédits à hauteur de 6 % prévu cette année fait craindre des réductions qui vont se traduire par moins de création, peut-être des licenciements d'artistes ou de techniciens, en tout cas des non-renouvellements de contrat, fragilisant encore plus les structures et les compagnies.
Ainsi, Laurent Hénart, président de la Réunion des opéras de France, vous a alertée sur le désengagement de l'État vis-à-vis des opéras en région. Pardonnez-moi une fois encore de citer un exemple tiré de mon quotidien d'élue locale, mais, très concrètement, à Rouen, ce désengagement se traduit par une baisse de 6 % de la subvention de l'État à l'opéra, et la hausse prévue pour le centre dramatique régional lors du recrutement de sa nouvelle directrice semble remise en cause.
Tout le monde constate l'essoufflement des financements de l'État, notamment dans le secteur du spectacle vivant, ce qui l'empêche de remplir correctement ses missions. Pour ma part, j'appelle de mes voeux une politique contractuelle de l'État avec les collectivités territoriales pour non seulement réduire les déséquilibres financiers, mais surtout clarifier le rôle de l'État et définir l'articulation des différents échelons des collectivités locales, plutôt que chacun fasse sa politique culturelle dans son coin. Cela conduit parfois - il faut bien le dire - à un éparpillement des financements. D'ailleurs, les acteurs culturels eux-mêmes ont besoin de savoir qui fait quoi, avec qui, comment et pourquoi.
On n'a pas non plus encore tiré toutes les conséquences du rôle premier des collectivités locales dans le financement de la culture. Elles sont aujourd'hui en première ligne ; elles jouent un rôle majeur en matière de politique culturelle en finançant des équipements culturels et en accompagnant les structures artistiques à plus des deux tiers des dépenses pour le spectacle vivant.
Faisant le constat des difficultés récurrentes de financement dans l'ensemble de nos départements, les professionnels du spectacle vivant vous demandent l'organisation d'un « Grenelle de la culture ». Il y a maintenant trois ans, lors des débats sur le spectacle vivant organisés au Parlement, nous étions plusieurs parlementaires à souhaiter une loi d'orientation sur le spectacle vivant. Plus récemment, pendant la campagne présidentielle, j'ai personnellement évoqué l'organisation d'états généraux de la culture.
Au-delà de ces différences de terminologie, l'idée est la même : il s'agit de traiter enfin l'ensemble des difficultés liées à ce secteur. Le ministère n'échappera pas à cette remise à plat et, de ce fait, à une profonde réforme de ses structures.
On ne fera donc pas l'économie d'une conférence nationale réunissant l'État, les collectivités territoriales et les acteurs culturels afin de clarifier le rôle de chacun au regard de ses responsabilités et de ses engagements financiers réels, pour faire mieux, peut-être plus simple et plus clair, de façon coordonnée et autour de projets structurants. Pour être réussie, la décentralisation culturelle doit, plus que jamais, être organisée.
« Vivre, c'est ne pas se résigner », a écrit Albert Camus. Aussi, mes chers collègues, je crois venu le temps d'inviter Mme la ministre, et nous souhaitons l'y aider, à ouvrir quelques-uns de ces grands chantiers que je viens d'évoquer. Là sont les enjeux d'aujourd'hui.
Êtes-vous également prête, madame la ministre, à engager cette grande réflexion si nécessaire sur les missions du ministère de la culture, conjointement d'ailleurs avec les ministères des affaires étrangères et de l'éducation nationale, car ils conduisent eux-mêmes un certain nombre d'actions qui ne sont pas toujours clairement articulées avec la rue de Valois ?
Voilà donc synthétisé notre point de vue sur les crédits de la mission « Culture ».
Nous aimerions être constructifs, mais les interrogations sont aujourd'hui trop nombreuses. Nous ne pouvons donc raisonnablement pas voter ces crédits. À vrai dire, depuis que je suis parlementaire, c'est sans doute la première fois que je m'abstiendrai de voter le budget de la culture. C'est dire si notre inquiétude est grande !
J'espère très sincèrement, madame la ministre, vous qui n'êtes pas personnellement à mettre en cause et dont le professionnalisme est reconnu, que ces mises en garde feront réagir le Gouvernement dans le bon sens. Il doit comprendre que, comme l'a écrit Gao Xingjian, « la culture n'est pas un luxe, c'est une nécessité ».