Intervention de Serge Lagauche

Réunion du 4 décembre 2007 à 15h10
Loi de finances pour 2008 — Compte spécial : cinéma audiovisuel et expression radiophonique locale

Photo de Serge LagaucheSerge Lagauche :

Madame la ministre, à l'occasion de votre arrivée à la tête du ministère de la culture et de la communication, le 1er août 2007, le Président de la République vous adressait une lettre de mission dans laquelle il vous signifiait les priorités qu'il vous entendait voir mettre en oeuvre : « L'heure d'un nouveau souffle pour notre politique culturelle est donc venue, celle d'adapter l'ambition d'André Malraux au XXIe siècle. Il vous revient de proposer les voies et moyens d'une politique culturelle nouvelle, audacieuse, soucieuse de favoriser l'égalité des chances, d'assurer aux artistes une juste rémunération de leur travail, de développer la création et nos industries culturelles, de s'adresser à tous les publics. »

Ces quelques lignes issues de votre lettre de mission ont suscité chez l'ensemble des acteurs culturels l'espoir que, enfin, après cinq années de mise en berne, la culture soit remise au premier plan de l'action gouvernementale.

Si l'enveloppe budgétaire attribuée à votre ministère ne peut être considérée comme le seul levier de votre action, elle est, vous en conviendrez, madame la ministre, un outil significatif, sinon déterminant.

Or il y a fort à craindre que la rupture chère au Président de la République ne se produise pas, en 2008 et d'un point de vue budgétaire, dans les domaines de la culture et de la communication.

En effet, si les crédits de la mission « Culture » pour 2008 sont affichés comme étant en hausse de 3, 2 %, ils ne sont pas directement comparables avec ceux du budget de 2007, du fait des changements de périmètre : le produit de la taxe affectée au Centre des monuments nationaux, le CMN, d'un montant de 70 millions d'euros, fait l'objet d'une re-budgétisation pour 2008 ; 25 % du produit de la taxe sur les droits de mutation à titre onéreux font désormais partie des lignes budgétaires.

Déduction faite de cette re-budgétisation, et à structure constante, le budget de la culture connaîtra en réalité une diminution de 56, 6 millions d'euros en crédits de paiement, soit une baisse effective de 2 %.

Cette baisse réelle, loin de constituer un souffle nouveau pour notre politique culturelle, aura de lourdes conséquences tant pour les artistes, la création et l'exposition des oeuvres, que pour les publics.

En ce qui concerne le programme « Patrimoines », si l'on déduit la re-budgétisation des 70 millions d'euros que j'évoquais à l'instant, les crédits du patrimoine monumental et archéologique chutent de 272 millions d'euros en 2007 à 269 millions d'euros en 2008. Ils sont même en diminution sensible de 27 millions d'euros en autorisations d'engagement, soit une baisse de 8 %.

Le moins que l'on puisse dire est que ce secteur a été sinistré au cours des années précédentes, suscitant la colère des professionnels.

Le Président de la République avait d'ailleurs promis durant sa campagne d'allouer 4 milliards d'euros sur dix ans, soit 400 millions d'euros par an, aux monuments historiques afin, je cite, de « redonner sa splendeur au patrimoine ». Force est de constater que le budget pour 2008 est loin d'atteindre cet objectif, puisque seuls 316 millions d'euros seront affectés au patrimoine monumental, soit, déduction faite des 70 millions d'euros re-budgétisés, une hausse de 570 000 euros par rapport à 2007.

Hors dépenses de personnels, et à périmètre constant, les moyens attribués au programme « Création » en 2008 diminuent de 0, 2 % par rapport à 2007.

S'agissant plus précisément du spectacle vivant, la stagnation du budget cache en réalité une baisse de 414 000 euros en crédits de paiement et de 715 900 euros en autorisations d'engagement. Alors que, en 2007, la part du spectacle vivant dans le budget du ministère de la culture était de 32, 3 %, elle passe à moins de 31 % en 2008.

Avec une telle baisse, comment pouvez-vous, madame la ministre, considérer que le spectacle vivant constitue une priorité de votre action, alors même que ces crédits sont destinés à soutenir un réseau de près de 1 000 lieux de création, de production ou de diffusion sur l'ensemble du territoire ?

Ces lieux, vous le savez, sont consacrés au théâtre, aux arts du cirque, de la rue, à la musique, à la danse, à l'ensemble de ces disciplines mono et pluridisciplinaires qui font vivre les artistes et rêver les publics.

De plus, il faut subventionner non seulement les lieux, mais également les troupes qui, à l'image du théâtre de rue, amènent l'art directement au contact du public et de manière souvent gratuite pour le spectateur. Or les acteurs des 1 063 compagnies de théâtre de rues répertoriées sont inquiets. Ils se sentent considérés comme le parent pauvre du spectacle vivant.

La somme annuelle allouée par l'État aux arts de la rue - aux alentours de 8 millions d'euros - est bien trop modeste. Elle représente à peine plus que le budget annuel d'une scène nationale. Comment, dans ces conditions, redonner confiance à ces artistes ?

Je ne pense pas, madame la ministre, que l'évolution du régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle, artistes et techniciens, soit de nature à rassurer les professionnels du spectacle vivant.

Un certain nombre d'avancées ont certes pu être obtenues dans le cadre de l'accord conclu par les partenaires sociaux le 21 décembre 2006, notamment en ce qui concerne la nouvelle possibilité pour les artistes et les techniciens de comptabiliser le nombre d'heures travaillées sur une période pouvant s'étaler au-delà des dix mois ou dix mois et demi prévus dans le protocole d'accord du 26 juin 2003.

Mais ni le fonds provisoire mis en place en 2004, ni le fonds transitoire de 2005, ni le Fonds de solidarité et de professionnalisation instauré depuis 1er janvier 2007 n'ont pu endiguer l'érosion du nombre d'intermittents affiliés au régime d'assurance chômage des annexes 8 et 10.

Il est vrai qu'en durcissant les conditions d'admission au régime de l'intermittence, les accords du 26 juin 2003 et du 21 décembre 2006 n'avaient d'autre objectif que la réduction du déficit de l'UNEDIC. Les chiffres sont éloquents : le nombre d'allocataires indemnisés a chuté de 105 600 en 2003 à 99 300 en 2006 ! Pourtant, la hausse du déficit des annexes 8 et 10 n'a en rien été enrayée. Bien au contraire, ce déficit a crû, passant de 887 millions d'euros à 991 millions d'euros en 2006.

Je ne reviendrai pas sur l'analyse de la Cour des comptes dans son rapport annuel de février 2007 de la gestion du régime d'indemnisation des intermittents du spectacle. J'ai eu l'occasion de l'évoquer il y a quelques instants dans mon intervention au nom de la commission des affaires culturelles sur les crédits du programme « Création ».

Nous souhaiterions cependant connaître, madame la ministre, les suites que vous entendez donner aux recommandations des magistrats du Palais Cambon.

Par ailleurs, la remise en cause des droits sociaux des intermittents du spectacle devait être compensée par l'élaboration de huit conventions collectives couvrant le secteur du spectacle vivant et enregistré, entreprise que les partenaires sociaux, sous l'égide du Gouvernement, auraient dû achever à la fin de l'année 2006.

Or, si des textes ont été pris dans le secteur de l'audiovisuel, les secteurs du spectacle vivant public et du spectacle vivant privé, celui des éditions phonographiques, de la production cinématographique, des prestataires techniques et des personnels non permanents de la radio font toujours l'objet de négociations, qui n'ont à ce jour pas abouti.

C'est d'autant plus regrettable que, à l'heure où les intermittents du spectacle sont plus que jamais fragilisés dans leurs droits sociaux, la signature de ces conventions collectives doit permettre de sécuriser leurs parcours professionnels tout en favorisant la pérennisation de l'emploi artistique et la limitation des abus.

Il est urgent, madame la ministre, d'accélérer l'élaboration de ces conventions collectives, car la définition du périmètre de l'intermittence permettra d'en réguler l'accès.

Les moyens budgétaires que votre ministère attribuera en 2008 aux industries culturelles, c'est-à-dire au livre, au disque, au droit de prêt en bibliothèque et au théâtre privé, sont simplement reconduits pour un montant de 31 millions d'euros. On peut toutefois souligner l'importance des accords dits « de l'Élysée » du 23 novembre dernier, sur lesquels a débouché la mission confiée à M. Denis Olivennes pour le développement et la protection des oeuvres et des programmes culturels sur les nouveaux réseaux, mais ils ne coûtent rien à votre ministère...

Le troisième programme de la mission « Culture » est celui sur lequel le gouvernement auquel vous appartenez, madame la ministre, s'est le plus engagé, du moins par la parole : il s'agit du programme « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ».

Présentée comme la première de vos priorités, cette politique visant à permettre à nos concitoyens d'accéder à toutes les formes de culture a été, et est encore cette année, sacrifiée. L'action en faveur de l'accès à la culture subit en effet une baisse historique de 18 % en crédits de paiement.

À l'heure où déjà deux tiers des financements culturels sont assurés par les collectivités territoriales, ce sont plus particulièrement les crédits destinés à rééquilibrer l'action de votre ministère en faveur des territoires culturellement moins favorisés qui sont touchés par cette baisse. Les actions en faveur des personnes handicapées, des associations d'éducation populaire et des associations de lutte contre l'exclusion sont elles aussi sacrifiées.

Nos quartiers les plus sensibles, parce qu'ils font l'objet d'un ostracisme et qu'ils sont isolés à la marge de nos grandes villes, expriment un besoin d'accéder à la culture sous toutes ses formes et d'exprimer la richesse de leurs diversités culturelles.

Les associations subventionnées par votre ministère sont un formidable relais pour encourager cette diversité des expressions artistiques. Pour la deuxième année consécutive, les moyens qu'elles reçoivent de votre administration chutent à pic. C'est là, je le répète, non seulement un paradoxe, mais aussi une erreur politique majeure.

Madame la ministre, nous sommes d'accord avec vous : votre budget est contraint. Il l'est d'autant plus que, au titre de la révision générale des politiques publiques, 6 % des crédits de votre ministère seront mis en réserve.

Les professionnels de la culture sont inquiets.

Le 19 novembre dernier, les organisations d'employeurs du spectacle vivant public et privé ont fait part à la presse de leur désarroi face à votre budget pour 2008. Ils ont adressé une lettre ouverte au Président de la République, dans laquelle ils appellent à la mise en place d'un Grenelle de la Culture. L'ensemble des acteurs du secteur culturel attendaient un signe fort du Gouvernement en leur direction.

Les professionnels du cinéma et de l'audiovisuel, inquiets du report de la parution des décrets relatifs aux obligations des chaînes de télévision pour soutenir la production cinématographique et audiovisuelle, ont pour leur part dénoncé le 21 novembre dernier le passage de l'exception culturelle à l'exécution culturelle !

Au final, le budget de la culture pour 2008, loin de constituer un souffle nouveau pour notre politique culturelle, ne fait que s'inscrire dans une logique continue d'essoufflement de l'action gouvernementale.

C'est donc avec regret que nous ne suivrons pas l'avis de la majorité de la commission des affaires culturelles, malgré l'excellence de ses rapports.

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