Plus que les ARS, je critique leur mauvaise naissance. Lors de la loi les élaborant, il y a eu deux conflits : un avec la Caisse nationale d'assurance maladie, qui souhaitait garder la main sur la médecine libérale, et un autre avec les préfets, qu'on voit resurgir à l'occasion de cette crise. Les ARS n'ont jamais eu la main sur la médecine libérale et la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) a conservé son pré carré. Cela constitue une forme de péché originel. Les ARS devaient avoir la main sur tout le système de soins et elles ne contrôlent en fait que le seul hôpital. Ce contrôle est en outre étroitement bordé par l'échelon national. Les ARS sont donc des colosses entravés, qui, dans le domaine médico-social, partagent leurs compétences avec les collectivités territoriales.
Les préfets ont effectivement mal vécu l'installation d'ARS qui leur échappaient, alors qu'ils avaient auparavant l'autorité sur les précédentes structures. Lors de l'élaboration de la loi, il y a eu notamment un conflit sur la veille et la sécurité sanitaire, et particulièrement sur la surveillance épidémiologique. Les préfets souhaitaient conserver la main sur le volet sécurité sanitaire géré par les ARS. Là encore, la solution privilégiée fut a été celle d'un armistice bancal, comme nous l'avons constaté lors de cette crise. Cette crise a donc révélé les malfaçons originelles des ARS. C'est la raison pour laquelle je trouverais fort dommage d'en faire des boucs émissaires.
La territorialisation des politiques de santé a constitué un leurre. Dans la loi hôpital, patients, santé, territoires (HPST), le mot « territoire » est employé 71 fois en 87 pages, dans la loi Tourenne Touraine de 2016, il est utilisé 106 fois en 111 pages, et dans la dernière loi du 26 mars 2019, il y est fait référence 110 fois en 94 pages. Nous constatons donc une véritable inflation de l'utilisation de la notion de territoire. Cela est d'autant plus surprenant que la réalité de l'évolution de la gouvernance du système de santé est celle de la centralisation croissante. Les dernières lois ont été faites pour contourner les élus locaux, perçus comme des freins à la restructuration hospitalière. La difficulté rencontrée par les élus locaux pour nouer des contacts avec les ARS ne constitue donc pas une anomalie puisque c'était le coeur des lois successives. C'est également la raison pour laquelle les préfets ont été dépossédés au profit des directeurs généraux d'ARS. Il ne faut donc pas se laisser abuser par l'incantation de territorialisation, qui ne correspond en rien aux logiques inhérentes aux plus récentes transformations de notre système de santé.
En parallèle, nous avons également assisté à une centralisation concernant la médecine libérale via l'action de la CNAM. Les délégations départementales ont été délibérément vidées de leur contenu. Emmanuelle Wargon, secrétaire d'État auprès de la ministre de la Transition écologique et solidaire, expliquait que l'objectif était de ne pas reproduire le modèle préfectoral des Directions départementale des l'action Affaires sanitaires sociales (DDASS) et de recentraliser au siège dans la mesure du possible.
Il me semble donc que l'on vit a vu, lors de cette crise, l'évanescence de l'État sanitaire infrarégional. Cela a naturellement été renforcé par les grandes régions.
J'aurais deux pistes d'évolution. Il ne s'agit pas seulement de réformer les ARS, mais l'ensemble du cadre. Il faudrait soit leur donner donner un réel pouvoir décisionnel, ce qui nécessiterait une montée en charge du fonds d'intervention régional dont les crédits ne cessent de stagner, soit . L'autre solution serait de donner aux délégations départementales de vrais moyens humains, d'expertise et décisionnels pour pouvoir conduire une réelle politique territoriale de santé. Un modèle plus révolutionnaire serait de s'inspirer du modèle anglais et de donner la main à une structure qui gérerait l'ensemble de l'offre de soins dans un périmètre d'environ 60 000 habitants, que ce soit sur la médecine libérale, l'hôpital, le médico-social et ou la prévention, et ce en assurant la représentation des élus locaux dans ces structures de pilotage des politiques de santé, le tout naturellement dans un cadre fixé à l'échelon national.