Intervention de Frédéric Bierry

Délégation aux collectivités territoriales — Réunion du 28 mai 2020 : 1ère réunion
Table ronde : « la coordination collectivités territoriales — Agences régionales de santé un premier bilan »

Frédéric Bierry, président du conseil départemental du Bas-Rhin :

Il est nécessaire aujourd'hui de clarifier les rôles entre l'État et les acteurs locaux. La crise du Covid a mis en relief ce que nous ressentions au quotidien dans l'action sanitaire, à savoir l'inadaptation de l'ARS aux besoins de santé et médico-sociaux des territoires. Cela n'est évidemment pas une question de personnes. Tous les salariés des ARS s'investissent pleinement lors de cette crise. Eux-mêmes déplorent l'organisation de leurs services.

Cela ne fonctionne pas, tout d'abord du fait d'un problème de périmètre. Les grandes régions sont inadaptées. Dans la région Grand Est, nous comptons dix départements. C'est trop grand et trop éloigné pour être efficace : je disais récemment que je voyais plus régulièrement la ministre de la Santé que mon directeur d'ARS ! Mes collègues présidents de département m'informaient également n'avoir pas échangé depuis plus d'un an avec leur directeur d'ARS. Lorsque l'on sait le rôle crucial que jouent les départements, notamment en termes desur le plan médico-social, on constate à quel point ce périmètre est inadapté. Il traduit par ailleurs une méconnaissance des réalités territoriales.

En organisant des périmètres élargis, on a créé des concurrences entre les Centres hospitaliers universitaires (CHU). Le CHU de Nancy et le CHU de Strasbourg sont en tension, avec des déplacements de services sans tenir compte des réalités locales. Des problèmes sont nés là où il n'y en avait pas.

Lors de la crise, nous avons dû agir avec la société civile et avec les acteurs locaux pour pallier les carences des ARS, notamment concernant les masques. Sans nousnotre action, nous aurions à devrions déplorer des décès supplémentaires et certains professionnels de santé auraient dû se mettre en retrait. Nous n'avons pas seulement livré les EHPAD, mais aussi les hôpitaux. De vrais besoins n'étaient pas couverts, et la logistique comme l'agilité étaient territoriales et donc portées par les élus locaux.

J'ai pu assurer un lien quotidien avec les EHPAD de mon département, car nous nous étions organisés en amont. Cela m'a permis de connaître tous les jours l'état sanitaire de chaque EHPAD : les personnels touchés, les et pensionnaires touchés, le nombre de décès,... Nous avons constaté que bien souvent les ARS, bien souvent, n'avaient pas connaissance de ces indicateurs. Le lien direct entre les établissements et les ARS n'existe pas.

Le système administratif est à la fois coûteux et construit essentiellement autour du contrôle administratif. Le directeur du CHU m'expliquait que deux ou trois membres de son personnel consacraient leur temps à répondre à des questionnaires administratifs de l'ARS. Ces démarches sont très cloisonnées. Il manque une approche globale des enjeux sanitaires et des dépenses sanitaires. Un hôpital de proximité a par exemple mis en place un service de chimiothérapie. Ce système avait représentait un certain coût pour cette clinique mais l'ARS n'a pas tenu compte des coûts de déplacement dans le coût global de ce service de santé. Il revenait moins cher de mettre en place un service de chimiothérapie décentralisé dans cette clinique que de faire se rendre les patients à Strasbourg. Mais, sans cette vision globale, il a été recommandé de fermer ce service. Pour les EHPAD, un double travail administratif perdure, alors que les besoins en personnel humain sont les plus urgents dans ces établissements.

Les besoins sanitaires du médico-social ne sont par ailleurs pas pris en considération. Dans le cas des troubles du comportement psychique des enfants placés par exemple, nous n'avons pu obtenir aucune réponse sanitaire. Cela traduit, là encore, l'inadaptation des ARS pour répondre aux besoins quotidiens du médico-social.

Nous attendons de l'État qu'il fixe les objectifs de santé à partir des réalités sanitaires de notre pays et qu'il valorise financièrement et statutairement les soignants. Pour relever les enjeux publics de santé, seule la sphère publique territoriale me semble toutefois capable. J'entends par sphère publique territoriale le département, au regard des compétences qu'il exerce déjà. C'est ensuite le bloc local : communes et intercommunalités. Les maires doivent retrouver un pouvoir d'action en la matière. Nous avons également besoin des services déconcentrés de l'État.

Les élus me semblent plus aptes à gérer ces enjeux que les agents de l'État, responsables devant leur hiérarchie et non devant les concitoyens. Les attentes en termes de réactivité et d'agilité sont donc bien plus importantes. Quand un agent de l'ARS visite un EHPAD, il vérifie le bon fonctionnement administratif et le respect des normes par l'établissement. Un élu va également accomplir cette mission mais va égalementil ira aussi au contact du personnel, des pensionnaires et de leurs familles car il les connaît. Il est sur le terrain et constate plus rapidement ce qui dysfonctionne dans les organisations.

Il est nécessaire d'organiser la gestion de la santé à partir des territoires. Il faut donner un rôle de chef de filât file aux départements pour mieux coordonner le sanitaire et le médico-social. Tout cela devra naturellement se faire en lien avec le bloc local et avec les services déconcentrés de l'État. Je crois que le préfet doit reprendre la main sur les ARS. Il faut que nous développions par ailleurs des contrats locaux de santé médico-sociaux et sociaux. Il est nécessaire de décloisonner ces trois problématiques en lien également avec les établissements privés. Il faut ensuite réduire le périmètre des ARS pour garantir une connaissance départementale. Il faut enfin redonner des pouvoirs décisionnels aux délégués départementaux.

En tant que transfrontalier, je constate que le coût de la santé est bien plus faible en Allemagne alors que les moyens alloués sont les mêmes. Le coût administratif est plus faible car il est organisé territorialement. Nous avons envoyé des patients à Brest, à plusieurs centaines de kilomètres, plutôt qu'à Karlsruhe, à quelques dizaines de kilomètres, comme

Même si ?

cela a d'ailleurs été le cas à terme. En nous s'organisant à l'échelle transfrontalière, nous aurions pu être encore plus réactifs face à la crise que nous avons vécue ici.

Nous devons avoir conscience du coût du service public et du rendu du service public. Il faut revenir à des taxes et des impôts territorialisés. Le consentement à l'impôt est impossible si nos concitoyens ne perçoivent pas le lien entre leurs contributions et la qualité du service qui leur est rendu.

Enfin, dans la perspective de la loi 3D, j'ai proposé au Premier Mministre que les missions de l'ARS soient déléguées à la future Collectivité européenne d'Alsace, d'abord sous forme de délégation puis dans une perspective définitive.

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