Intervention de Dominique Estrosi Sassone

Commission des affaires économiques — Réunion du 17 juin 2020 à 9h35
Présentation des plans de relance dans les domaines des pme du commerce et de l'artisanat du logement de l'urbanisme et de la politique de la ville par les pilotes en charge des cellules de veille de contrôle et d'anticipation des secteurs correspondants

Photo de Dominique Estrosi SassoneDominique Estrosi Sassone :

En introduction, je souhaite souligner que nous avons organisé de nombreuses auditions et entendu de nombreux acteurs au niveau national, mais nous avons aussi souhaité entendre des acteurs de terrain dans nos deux départements respectifs. Ce panorama nous a permis de mieux appréhender les problématiques liées à la gestion de la crise proprement dite tout en proposant des mesures permettant d'apporter des réponses à l'ensemble de nos concitoyens dans le domaine du logement.

« Quand le bâtiment va, tout va » dit l'adage. Force est de constater que l'arrêt presque total des chantiers fin mars a été l'un des symboles de la gravité de la crise sanitaire et économique et que le retour à la normale apparaîtra comme l'un des marqueurs d'une reprise voire d'une relance réussie. Nous sommes aujourd'hui à environ 93 % de chantiers ouverts. 69 % affichent un niveau d'activité normal avec un taux d'emploi de 93 % par rapport à la situation d'avant-crise.

Avant de parler de relance, il nous faut essayer de comprendre ce qu'il s'est passé. Faire le bon diagnostic est crucial. Les moyens mobilisables ne sont pas illimités et le logement au sens large est un secteur de temps long. Chaque année, on ne construit ou rénove qu'une infime partie du stock de logements existants - de l'ordre de 2 à 3 % au mieux sur 35,7 millions de logements en France en 2019. On construit pour des décennies voire beaucoup plus longtemps. L'immobilier est aussi un secteur aux multiples facettes et acteurs imbriqués. C'est également un instrument d'aménagement du territoire. Il faut donc essayer de se dégager des événements immédiats pour penser le temps long et la complexité. Cet exercice est évidemment difficile en ce moment mais tentons de poser quelques briques qui nous permettront de proposer de grandes orientations pour la relance.

Nous voudrions tout d'abord vous proposer de partager dix idées directrices sur l'analyse que nous faisons de la crise et qui font qu'il devra y avoir un avant et un après Covid-19.

La première idée est le lien entre l'architecture de nos villes et les épidémies. Nous l'avions oublié mais les épidémies du XIXe siècle, le choléra, la tuberculose, ont façonné la ville haussmannienne dans laquelle nous vivons. À l'époque déjà, les « hygiénistes », partisans de l'adaptation de la ville dense, s'opposaient au mouvement « prairiste » favorable à une ville à la campagne, plus saine et sûre, qui s'est plutôt développée dans les pays anglo-saxons.

En termes d'urbanisme, cela veut donc dire que, comme les épidémies passées, le Covid-19 va modifier nos villes et nos logements, car nous devons nous préparer aux épidémies futures en adaptant notre organisation urbaine.

La deuxième conviction est que la crise sanitaire que nous connaissons ne doit pas masquer la crise climatique et environnementale à venir. Sans adhérer à 100 % aux thèses qui lient agression de la biodiversité et pandémie, il ne faut pas céder au court termisme et abandonner de vue la menace de moyen long terme que constitue le changement climatique et renvoyer à plus tard toutes les transformations qu'il exige.

En termes de construction, cela se traduit par deux enjeux majeurs : la rénovation thermique des bâtiments, qui a jusqu'à présent piétiné, et la mise en oeuvre de l'objectif de « zéro artificialisation nette » ou de « sobriété foncière ».

Notre troisième conviction est que, si la crise sanitaire est peut-être derrière nous, tout du moins dans sa phase la plus aiguë, la crise économique et sociale est, elle, devant nous. Selon la Banque de France, il devrait y avoir un million de chômeurs de plus fin 2020 qu'il n'y en avait fin 2019 et le chômage devrait continuer à progresser en 2021 pour décroître ensuite tout en restant à un niveau très élevé. Dans le secteur du logement, cela veut dire plus d'aides, notamment les APL, plus d'impayés de loyer, plus de demandes de logements sociaux, plus de précarité et de concentration de pauvreté dans certains territoires.

Notre quatrième conviction est que la crise sanitaire, le confinement et l'arrêt des chantiers vont aggraver la crise du logement. Les promoteurs immobiliers et certains experts estiment que 100 000 logements pourraient ne pas être construits cette année, soit un quart des réalisations annuelles avec sans doute des effets d'entraînement négatifs sur 2021. Tous les observateurs ne s'accordent pas sur cette prévision, mais elle n'est pas fantaisiste, juste proportionnelle à un trimestre d'arrêt de l'activité.

Cela pose directement la question de « comment rattraper ce retard ? » dans un contexte où cette volonté d'accélérer pourrait buter sur la faillite d'un grand nombre d'entreprises, notamment de second oeuvre, le manque de main-d'oeuvre, les surcoûts et la baisse de la productivité liée aux « gestes barrière » et la complexité du droit de l'urbanisme.

Cinquièmement, et il s'agit plus d'une interrogation que d'une certitude, beaucoup d'acteurs sont très inquiets sur l'avenir de l'immobilier de bureau même si personne ne se hasarde à des pronostics. L'expérience que nous avons vécue de télétravail massif pendant plusieurs mois pourrait se traduire par une évolution durable des pratiques des entreprises et des salariés. C'est peut-être une double opportunité pour reconvertir des espaces de travail en logements dans les centres-villes et conduire les investisseurs institutionnels à se repositionner sur le logement.

Je cède maintenant la parole à Mme Annie Guillemot pour cette présentation à deux voix.

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