Ces dix idées directrices nous conduisent à proposer quatre axes pour la relance du secteur de l'immobilier : construire plus, construire mieux, sécuriser l'accès au logement et relancer la politique de la ville.
Nous l'avons dit, la crise sanitaire va aggraver la crise du logement, car pendant un trimestre, le secteur de la construction aura été à l'arrêt. Comment rattraper ce retard au plus vite et durablement pour construire plus ? Il faut tout d'abord mobiliser les ressources. Un peu comme lorsqu'il a fallu faire face à la crise du logement de l'après-guerre, il nous faut nous appuyer sur trois acteurs :
- Le mouvement HLM, tout d'abord, car dans la crise sociale qui s'annonce, développer le logement abordable est l'une des clefs. Pour ce faire, il faut redonner aux bailleurs sociaux les moyens d'agir et revenir sur la réduction de loyer de solidarité (RLS), soit une ponction annuelle de 1,3 milliard d'euros à laquelle s'ajoute notamment une TVA qui n'est pas uniformément revenue à 5,5 %. Les offices publics de l'habitat (OPH) et les entreprises sociales pour l'habitat (ESH) ont proposé de s'engager sur 130 000 constructions neuves et 150 000 rénovations par an pendant trois ans si on leur redonnait les moyens financiers nécessaires.
- Le « 1 % logement » ensuite, c'est-à-dire la participation des employeurs à l'effort de construction (PEEC) versée à Action logement. Le groupe paritaire est aujourd'hui contesté dans son existence et ses objectifs, il doit se recentrer sur sa mission première et sa raison d'être : loger les salariés suivant sa politique propre plutôt que de financer des politiques publiques qu'il n'a pas décidées.
- Les investisseurs institutionnels enfin, on sait qu'en France ils se sont presque complètement retirés du marché du logement ne possédant que moins de 1 % des résidences principales. Or, la baisse des taux d'intérêt, les faibles rendements des actifs et leur volatilité constituent, sans doute, une opportunité historique alors que le logement offre une rentabilité stable et de faibles risques. Par ailleurs, la crise probable de l'immobilier de bureau pourrait conduire à reconvertir en logements des immeubles qui ont, au cours des décennies passées, été transformés en bureaux. Il faudrait quelques déclencheurs : considérer l'investissement locatif comme un investissement productif économiquement et socialement, garantir un taux de TVA à 5,5 % dans les opérations de transformation en logement, quelle que soit leur ampleur et, éventuellement, contraindre les assurances vie à consacrer une partie de leur encours au logement (1 800 milliards fin 2019 - 26 milliards de collecte). Avec 10 milliards d'euros, CDC Habitat va acheter plus de 40 000 logements. Cela donne une idée de l'impact que pourrait avoir le retour de ces grands investisseurs.
Pour permettre à cette mobilisation de produire tous ses effets, il faut ensuite simplifier la chaîne du logement. Le confinement a provoqué une rupture, notamment dans l'instruction des autorisations d'urbanisme. Si cet arrêt est loin d'avoir été uniforme et s'il a été amplifié par certaines décisions du Gouvernement, il a fait fleurir nombre d'idées pour accélérer les procédures. La numérisation fait l'unanimité, mais on peut se demander s'il est réaliste de vouloir aller plus vite compte tenu de sa complexité et alors qu'elle est déjà prévue pour le 1er janvier 2022 et qu'elle est d'ores et déjà en oeuvre dans nombre de communes et métropoles. De même, beaucoup de propositions ont été formulées comme l'idée d'un « permis Covid » simplifié, celle d'un « permis déclaratif » soumis par un architecte en dessous du seuil où son intervention est obligatoire, ou encore celle de permettre à l'aménageur de pré-instruire ou des vérifications a posteriori.
Ce que nous constatons, c'est qu'il faut aujourd'hui plus d'un mandat de maire pour actualiser un plan local d'urbanisme (PLU) ou faire aboutir un projet. C'est trop long !
Devant la complexité du droit de l'urbanisme, qui a conduit le Gouvernement à corriger plusieurs fois les ordonnances sur les délais, nous ne croyons pas à un « choc de simplification » décidé d'en haut. Il faut au contraire consulter, prendre le temps de vérifier le caractère opérationnel des propositions et leurs éventuelles conséquences indésirables. Dans cette période où tout est urgent, c'est pourtant la seule vraie solution. Nous en appelons donc à un « Ségur de la simplification du droit de l'urbanisme » dès cet été pour se donner un cadre juridique plus agile pour relancer la construction.
Nous souhaitons aborder ensuite le second axe de relance que nous proposons : « construire mieux ». Il s'agit ici de promouvoir un immobilier compatible avec nos objectifs de développement durable, c'est-à-dire d'accélérer fortement la rénovation thermique des bâtiments et de rendre compatibles l'effort de construction et la sobriété foncière.
On le sait, la rénovation énergétique progresse presque deux fois moins vite que souhaité (288 000 rénovations par rapport à un objectif de 500 000) car elle représente d'importants investissements qui sont difficiles et longs à rentabiliser pour les propriétaires comme pour les locataires compte tenu des coûts de l'énergie.
Or, c'est un secteur crucial, susceptible de remplir le carnet de commandes des petites entreprises du bâtiment et diffuser la relance dans tous nos territoires. De plus, une importante épargne a été accumulée pendant le confinement et il serait logique qu'après cette épreuve, elle puisse être employée à améliorer l'habitat. Mais il faut pour cela que l'État consente, au moins temporairement, à inciter les Français qui en ont les moyens à le faire pour eux-mêmes en tant qu'occupant d'un logement ou comme bailleurs. Le Gouvernement a voulu focaliser « Ma Prime Rénov' » et le CITE sur les Français qui en avaient le plus besoin. Mais soyons pragmatiques, pour relancer l'économie, ne serait-il pas temps d'inciter les Français aisés à vider leur bas de laine ? Il faut donc élargir le CITE et modifier « Ma Prime Rénov' » pour servir de déclencheur temporaire aussi rapidement que possible. Nous sommes ici parfaitement d'accord avec l'une des propositions de la cellule « Énergie ».
Une seconde piste, moins connue, mérite d'être mise en avant, celle des « energy service compagny » (ESCO) que la Commission européenne veut promouvoir. Il s'agit d'entreprises qui portent le poids financier des grandes rénovations en s'endettant et en se remboursant grâce aux économies dégagées sur longue période.
« Construire mieux en construisant plus » c'est aussi répondre au défi de la sobriété foncière. La crise sanitaire a relancé les débats sur la vie et la ville à la campagne, mais, pas plus que dans Le Hussard sur le toit de Giono, la ruralité n'a protégé du virus... Hong-Kong, Séoul ou New-York ont été proportionnellement moins atteintes que bien des villages reculés d'Italie.
Il nous faut donc promouvoir une densité acceptable et acceptée - débat qu'il faut oser porter - et une densité adaptée à la crise que nous avons vécue avec des espaces extérieurs et partagés. Ayons conscience que quand il est possible de construire un R+4, il faut l'autoriser sinon on renchérit le logement.
Ne soyons pas des observateurs myopes et moutonniers, l'expérience du confinement en ville dense est aussi celui d'une solidarité retrouvée ou de la proximité des soins et des services accessibles à pied. Il y a aussi une densité de qualité qu'il faut promouvoir. Promouvons donc la proximité et la compacité de nos villes, c'est-à-dire la reconstruction de la ville sur la ville.