Intervention de Rémy Rioux

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 10 juin 2020 à 9h30
Audition de M. Rémy Rioux directeur général de l'agence française de développement afd

Rémy Rioux, directeur général de l'Agence française de développement :

C'est ma première audition devant votre commission. Je vais souvent devant la commission des affaires étrangères ou devant la commission des finances, puisque nous sommes une institution financière qui porte des risques significatifs pour l'État, mais je voulais vous dire à quel point il est important pour moi d'échanger avec vous sur ces sujets d'aménagement du territoire et de développement durable, très présents dans notre maison.

Je vous propose de vous diffuser un court film, d'une minute, pour présenter notre Agence.

Un film est diffusé.

L'AFD est une maison très singulière : elle travaille sur quatre fractures, lignes de faille, tensions ou réconciliations, qui structurent ce fameux « monde d'après » sur lequel portent vos auditions. La première consiste à opposer le national et l'international et à accueillir les différences et les solutions qui naissent partout dans le monde. L'AFD a une empreinte internationale exceptionnelle : elle a été fondée en 1941 par le général de Gaulle, est implantée à Dakar depuis 1942 et elle est maintenant présente et active dans 115 pays dans le monde, en Afrique, mais aussi dans les grands pays émergents. Nous sommes ainsi présents en Chine, au Mexique ou encore au Brésil, pays où se joue l'avenir de notre planète sur les sujets de développement durable et de climat. Tout ce réseau est à l'écoute de ce qui se passe dans les pays, finance des solutions puis les ramène pour appuyer nos propres trajectoires. Nous réalisons chaque année un sondage sur les Français et le développement : 3 Français sur 4 considèrent que ce qui se passe dans ces pays a une conséquence directe sur leur vie quotidienne, notamment sous l'angle du terrorisme et des problèmes de sécurité, mais de plus en plus aussi sur les questions climatiques, de biodiversité et de développement durable. Un Français sur deux a entendu parler des objectifs de développement durable, alors que les précédents objectifs internationaux n'étaient connus que d'un Français sur dix en 2015. La COP21 a conduit à une inflexion. Nous sommes une institution nationale et notre travail dans les territoires ultra-marins est essentiel puisque les experts de l'AFD savent ce qu'est un CHU, une collectivité locale et une entreprise française. Ils peuvent donc établir un lien entre les expériences de développement étrangères et notre propre expérience de développement. En 2016, nous avons créé une alliance entre le Groupe Caisse des Dépôts et Consignations et le Groupe AFD pour construire ces liens entre territoires et expériences, puisqu'aujourd'hui, à l'heure des objectifs de développement durable les catégories historiques que sont les pays en voie de développement et les pays développés ne sont plus opérantes. Nous n'avons pas les solutions et nous les cherchons tous. Aucun pays n'a pu atteindre des objectifs de bonne santé et de bonne éducation sans épuiser les ressources de la planète. Tous ont donc une transition à accomplir. La nôtre est peut-être encore plus difficile. En apportant des solutions à la Caisse des dépôts et consignations, aux territoires, aux élus et aux entreprises, l'AFD a un rôle à jouer dans notre propre transformation, qui doit à tout prix éviter la tentation du repli et de la protection : la crise du Covid-19 a justement montré qu'il fallait à la fois des solutions nationales, mais aussi une coopération internationale pour trouver des solutions durables. J'espère que l'AFD pourra contribuer, dans le « monde d'après », à réconcilier le national et l'international.

La deuxième dimension de ce « monde d'après » concerne la réconciliation entre l'environnemental et l'économico-social. C'est le message des objectifs de développement durable, qui sont notre mandat à tous depuis 2015 et que nous prenons très au sérieux à l'AFD. Ces objectifs sont parfois décriés, parce que très vastes, mais nous cherchons, modestement, mais concrètement, à démontrer qu'il s'agit de la bonne direction. Quand le monde du développement ne faisait quasiment que du social, dans les années 2000, pour des raisons conjoncturelles puisque nous avions très peu de ressources budgétaires et que les secteurs sociaux exigent des transferts et des subventions, nous avons investi les questions climatiques, en mettant la lutte contre le changement climatique au même niveau stratégique que la santé, l'éducation et la lutte contre les inégalités, et en explorant, dans chaque projet, les liens et les compromis nécessaires dans certains territoires pour débloquer des dynamiques de développement. Nous avons exprimé cela en 2017 dans une stratégie où nous proposons que l'Agence devienne à la fois « 100 % Accord de Paris » et « 100 % lien social ». Nous souhaitons vérifier, pour chaque projet que nous accompagnons, et dans le dialogue avec nos partenaires, que les questions d'inégalité et d'inclusion font l'objet d'une contribution positive. Nous avons intégré les questions climatiques dans notre activité depuis 15 ans avec des bilans carbone dans tous les projets et une cible de cobénéfice climat, progressivement portée à 50 % des activités annuelles. Nous devons vérifier la cohérence d'ensemble de nos activités. Nous nous sommes dotés de procédures internes avec un « avis développement durable » permettant de noter chaque projet présenté à l'aune du développement durable - en particulier climatique - dans le but de ne pas accompagner les projets notés négativement. Nous cherchons à renforcer la contribution positive de chaque projet que nous finançons. Avec le « 100 % Accord de Paris », nous vérifions que les projets sont positifs et que les trajectoires, dans les pays et territoires dans lesquels nous intervenons, conduisent à l'horizon 2030 ou 2050 à respecter les objectifs internationaux. Nous concevons les projets comme des preuves que les transitions sont possibles. Nous disposons d'instruments d'appui budgétaire aux politiques publiques pour les conduire au « jour d'après ». Pour prendre aujourd'hui les bonnes décisions, chaque pays doit avoir une vision de long terme et adopter les bons compromis. Avec les budgets votés chaque année, nous disposons de moyens budgétaires accrus, particulièrement via des subventions, qui nous permettent d'intervenir sur les sujets sociaux. Nous amenons donc les sujets de lien social par le climat et inversement. Nous cherchons à mettre en oeuvre la complexité des objectifs de développement durable de manière concrète et incarnée.

Je termine en vous disant que ce « monde d'après » aura une autre caractéristique. Je souhaite faire un plaidoyer sur l'importance des banques publiques de développement dans ce monde d'après. Dans le monde d'après, il conviendra de réconcilier les investissements publics et privés. Nous passons d'un monde de l'aide publique au développement à un monde où des capacités budgétaires sont utilisées pour réorienter les autres flux financiers et entrer dans un dialogue de cofinancements avec les autres acteurs, notamment du secteur privé, pour améliorer moins la quantité que la qualité des investissements et les aligner sur l'Accord de Paris et les objectifs du développement durable. Les banques publiques de développement sont également à la frontière entre court et long termes. Elles sont évidemment des instruments contra-cycliques. BPIfrance a ainsi quadruplé son activité annuelle pour apporter des financements garantis aux entreprises françaises pendant la crise. Les institutions qui ont compris les enjeux de long terme cherchent, par des études et des appuis aux politiques publiques, à ce que les gouvernements et les territoires se projettent et se fixent des objectifs de long terme.

Outre mes fonctions de directeur général de l'AFD, je préside un club international IDFC (International Development Finance Club) qui réunit 26 banques publiques de développement - qui ressemblent plus à la Caisse des dépôts qu'à l'AFD - qui financent la transformation de leur propre pays et la coopération internationale. Ces institutions se mettent en réseau pour échanger, trouver les meilleures pratiques et financer ensemble des projets. Nous organiserons le 12 novembre prochain, dans le cadre du Forum de Paris pour la paix, la première réunion mondiale de toutes les banques de développement - soit 450 banques dans le monde, banques multilatérales, régionales, nationales ou locales - dont les investissements représentent plus de 2 000 milliards de dollars chaque année, soit 10 % de l'investissement mondial. Les gouvernements ont à leur disposition 10 % de l'investissement mondial chaque année : avec un usage plus ambitieux, avec un effet d'entrainement sur les autres flux financiers, selon l'article 2.1c de l'Accord de Paris, cela pourrait faire une différence dans le monde d'après, dans lequel - nous le savons - nos modèles de développement et nos manières d'investir devront changer. Nous proposerons à ces banques de souscrire à une déclaration commune et chercherons à les amener sur des formes de coopération concrète avec toutes les institutions de bonne volonté.

Je vous propose de m'arrêter là, même si mon propos était court et allusif. Un projet de loi sur le développement et la solidarité internationale doit prochainement être présenté par le Gouvernement au Parlement. Ces questions reviendront en outre par le biais des projets de lois de finances. Je plaiderai pour que nous ayons une capacité d'action internationale significative et suffisante. Ces moyens ont été très fortement réduits au cours des dix dernières années. Le Gouvernement reviendra vers vous avec la question des fonds propres de l'AFD. Je ne rentre pas dans le détail, mais c'est au service des objectifs que vous poursuivez et de cet agenda du développement durable.

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