Mes chers collègues, nous avons le plaisir de recevoir Rémy Rioux, directeur général de l'Agence française de développement (AFD). L'AFD finance et accompagne des projets de développement partout dans le monde : elle constitue en cela le principal levier de mise en oeuvre de notre politique de développement. Vous intervenez dans environ 110 pays et notamment dans l'outre-mer français, zone qui constitue d'ailleurs une part relativement importante de votre activité. Vos principaux modes d'action recouvrent des prêts financiers, mais aussi des dons.
Vous nous présenterez sûrement, si vous le voulez bien, les principales missions et actions de votre agence, en nous détaillant les moyens dont vous disposez et leur évolution au cours des dernières années.
La crise que nous traversons actuellement, liée à la pandémie de Covid-19, n'est certainement pas sans impact sur votre activité et sur les orientations de votre action.
À court terme, vous avez lancé l'initiative « Santé en commun », qui mobilise des subventions pour faire face aux conséquences économiques et sociales de la crise, principalement au bénéfice de pays d'Afrique et du Moyen-Orient. Bien sûr, si nous sommes encore en quelque sorte « au coeur du cyclone » et que les conséquences ne sont sûrement pas encore toutes apparues, quels premiers enseignements tirez-vous des impacts de la crise sur ces pays ? Quelles craintes nourrissez-vous ? Quelles priorités allez-vous redéfinir dans ce contexte ?
La crise doit également affecter votre activité à plus long terme, et de façon plus structurelle, puisqu'un des enseignements de cette crise est que notre santé dépend aujourd'hui plus que jamais de la santé de notre planète. En cela, le financement de projets « développement durable » apparaît comme une priorité pour construire le « monde d'après ». De ce point de vue, la lutte contre le changement climatique est intégrée dans vos actions depuis des années. En 2017, vous vous êtes dotés d'une stratégie « climat-développement » 2017-2022, qui est en cours de révision à mi-parcours. Pouvez-vous nous en dire un mot ? En quel sens a-t-elle été réorientée à la lumière de l'actualité ?
Vous avez récemment déclaré devant l'Assemblée nationale, que vous vouliez faire de votre agence une agence « 100 % Accord de Paris », c'est-à-dire une institution qui ne se limite pas à mesurer les impacts sur le climat de vos projets, mais dont tous les projets doivent contribuer à amplifier les trajectoires de résilience bas-carbone des États, conformément aux engagements pris dans le cadre de l'Accord de Paris lors de la COP21.
C'est donc surtout sur cette double casquette de votre institution que nous vous écouterons avec attention aujourd'hui : votre rôle dans la crise en tant qu'accompagnateur des acteurs de l'urgence, et votre rôle plus général d'accompagnement à la prévention des crises, grâce à l'intégration des objectifs de développement durable.
Sur ce deuxième aspect, les projets que vous financez participent-ils à accélérer la transition écologique territoriale, grâce notamment à l'aménagement du territoire, au développement des mobilités, à un accompagnement de l'urbanisation ou encore à la promotion d'un modèle de production alimentaire de proximité ?
Voici les quelques points que je souhaitais vous soumettre à titre liminaire avant de vous laisser la parole puis de la donner à mes collègues qui auront, j'en suis sûr, beaucoup de questions à vous poser.
C'est ma première audition devant votre commission. Je vais souvent devant la commission des affaires étrangères ou devant la commission des finances, puisque nous sommes une institution financière qui porte des risques significatifs pour l'État, mais je voulais vous dire à quel point il est important pour moi d'échanger avec vous sur ces sujets d'aménagement du territoire et de développement durable, très présents dans notre maison.
Je vous propose de vous diffuser un court film, d'une minute, pour présenter notre Agence.
Un film est diffusé.
L'AFD est une maison très singulière : elle travaille sur quatre fractures, lignes de faille, tensions ou réconciliations, qui structurent ce fameux « monde d'après » sur lequel portent vos auditions. La première consiste à opposer le national et l'international et à accueillir les différences et les solutions qui naissent partout dans le monde. L'AFD a une empreinte internationale exceptionnelle : elle a été fondée en 1941 par le général de Gaulle, est implantée à Dakar depuis 1942 et elle est maintenant présente et active dans 115 pays dans le monde, en Afrique, mais aussi dans les grands pays émergents. Nous sommes ainsi présents en Chine, au Mexique ou encore au Brésil, pays où se joue l'avenir de notre planète sur les sujets de développement durable et de climat. Tout ce réseau est à l'écoute de ce qui se passe dans les pays, finance des solutions puis les ramène pour appuyer nos propres trajectoires. Nous réalisons chaque année un sondage sur les Français et le développement : 3 Français sur 4 considèrent que ce qui se passe dans ces pays a une conséquence directe sur leur vie quotidienne, notamment sous l'angle du terrorisme et des problèmes de sécurité, mais de plus en plus aussi sur les questions climatiques, de biodiversité et de développement durable. Un Français sur deux a entendu parler des objectifs de développement durable, alors que les précédents objectifs internationaux n'étaient connus que d'un Français sur dix en 2015. La COP21 a conduit à une inflexion. Nous sommes une institution nationale et notre travail dans les territoires ultra-marins est essentiel puisque les experts de l'AFD savent ce qu'est un CHU, une collectivité locale et une entreprise française. Ils peuvent donc établir un lien entre les expériences de développement étrangères et notre propre expérience de développement. En 2016, nous avons créé une alliance entre le Groupe Caisse des Dépôts et Consignations et le Groupe AFD pour construire ces liens entre territoires et expériences, puisqu'aujourd'hui, à l'heure des objectifs de développement durable les catégories historiques que sont les pays en voie de développement et les pays développés ne sont plus opérantes. Nous n'avons pas les solutions et nous les cherchons tous. Aucun pays n'a pu atteindre des objectifs de bonne santé et de bonne éducation sans épuiser les ressources de la planète. Tous ont donc une transition à accomplir. La nôtre est peut-être encore plus difficile. En apportant des solutions à la Caisse des dépôts et consignations, aux territoires, aux élus et aux entreprises, l'AFD a un rôle à jouer dans notre propre transformation, qui doit à tout prix éviter la tentation du repli et de la protection : la crise du Covid-19 a justement montré qu'il fallait à la fois des solutions nationales, mais aussi une coopération internationale pour trouver des solutions durables. J'espère que l'AFD pourra contribuer, dans le « monde d'après », à réconcilier le national et l'international.
La deuxième dimension de ce « monde d'après » concerne la réconciliation entre l'environnemental et l'économico-social. C'est le message des objectifs de développement durable, qui sont notre mandat à tous depuis 2015 et que nous prenons très au sérieux à l'AFD. Ces objectifs sont parfois décriés, parce que très vastes, mais nous cherchons, modestement, mais concrètement, à démontrer qu'il s'agit de la bonne direction. Quand le monde du développement ne faisait quasiment que du social, dans les années 2000, pour des raisons conjoncturelles puisque nous avions très peu de ressources budgétaires et que les secteurs sociaux exigent des transferts et des subventions, nous avons investi les questions climatiques, en mettant la lutte contre le changement climatique au même niveau stratégique que la santé, l'éducation et la lutte contre les inégalités, et en explorant, dans chaque projet, les liens et les compromis nécessaires dans certains territoires pour débloquer des dynamiques de développement. Nous avons exprimé cela en 2017 dans une stratégie où nous proposons que l'Agence devienne à la fois « 100 % Accord de Paris » et « 100 % lien social ». Nous souhaitons vérifier, pour chaque projet que nous accompagnons, et dans le dialogue avec nos partenaires, que les questions d'inégalité et d'inclusion font l'objet d'une contribution positive. Nous avons intégré les questions climatiques dans notre activité depuis 15 ans avec des bilans carbone dans tous les projets et une cible de cobénéfice climat, progressivement portée à 50 % des activités annuelles. Nous devons vérifier la cohérence d'ensemble de nos activités. Nous nous sommes dotés de procédures internes avec un « avis développement durable » permettant de noter chaque projet présenté à l'aune du développement durable - en particulier climatique - dans le but de ne pas accompagner les projets notés négativement. Nous cherchons à renforcer la contribution positive de chaque projet que nous finançons. Avec le « 100 % Accord de Paris », nous vérifions que les projets sont positifs et que les trajectoires, dans les pays et territoires dans lesquels nous intervenons, conduisent à l'horizon 2030 ou 2050 à respecter les objectifs internationaux. Nous concevons les projets comme des preuves que les transitions sont possibles. Nous disposons d'instruments d'appui budgétaire aux politiques publiques pour les conduire au « jour d'après ». Pour prendre aujourd'hui les bonnes décisions, chaque pays doit avoir une vision de long terme et adopter les bons compromis. Avec les budgets votés chaque année, nous disposons de moyens budgétaires accrus, particulièrement via des subventions, qui nous permettent d'intervenir sur les sujets sociaux. Nous amenons donc les sujets de lien social par le climat et inversement. Nous cherchons à mettre en oeuvre la complexité des objectifs de développement durable de manière concrète et incarnée.
Je termine en vous disant que ce « monde d'après » aura une autre caractéristique. Je souhaite faire un plaidoyer sur l'importance des banques publiques de développement dans ce monde d'après. Dans le monde d'après, il conviendra de réconcilier les investissements publics et privés. Nous passons d'un monde de l'aide publique au développement à un monde où des capacités budgétaires sont utilisées pour réorienter les autres flux financiers et entrer dans un dialogue de cofinancements avec les autres acteurs, notamment du secteur privé, pour améliorer moins la quantité que la qualité des investissements et les aligner sur l'Accord de Paris et les objectifs du développement durable. Les banques publiques de développement sont également à la frontière entre court et long termes. Elles sont évidemment des instruments contra-cycliques. BPIfrance a ainsi quadruplé son activité annuelle pour apporter des financements garantis aux entreprises françaises pendant la crise. Les institutions qui ont compris les enjeux de long terme cherchent, par des études et des appuis aux politiques publiques, à ce que les gouvernements et les territoires se projettent et se fixent des objectifs de long terme.
Outre mes fonctions de directeur général de l'AFD, je préside un club international IDFC (International Development Finance Club) qui réunit 26 banques publiques de développement - qui ressemblent plus à la Caisse des dépôts qu'à l'AFD - qui financent la transformation de leur propre pays et la coopération internationale. Ces institutions se mettent en réseau pour échanger, trouver les meilleures pratiques et financer ensemble des projets. Nous organiserons le 12 novembre prochain, dans le cadre du Forum de Paris pour la paix, la première réunion mondiale de toutes les banques de développement - soit 450 banques dans le monde, banques multilatérales, régionales, nationales ou locales - dont les investissements représentent plus de 2 000 milliards de dollars chaque année, soit 10 % de l'investissement mondial. Les gouvernements ont à leur disposition 10 % de l'investissement mondial chaque année : avec un usage plus ambitieux, avec un effet d'entrainement sur les autres flux financiers, selon l'article 2.1c de l'Accord de Paris, cela pourrait faire une différence dans le monde d'après, dans lequel - nous le savons - nos modèles de développement et nos manières d'investir devront changer. Nous proposerons à ces banques de souscrire à une déclaration commune et chercherons à les amener sur des formes de coopération concrète avec toutes les institutions de bonne volonté.
Je vous propose de m'arrêter là, même si mon propos était court et allusif. Un projet de loi sur le développement et la solidarité internationale doit prochainement être présenté par le Gouvernement au Parlement. Ces questions reviendront en outre par le biais des projets de lois de finances. Je plaiderai pour que nous ayons une capacité d'action internationale significative et suffisante. Ces moyens ont été très fortement réduits au cours des dix dernières années. Le Gouvernement reviendra vers vous avec la question des fonds propres de l'AFD. Je ne rentre pas dans le détail, mais c'est au service des objectifs que vous poursuivez et de cet agenda du développement durable.
Monsieur le Directeur général, vous représentez une très belle institution qui est une fierté pour la France, créée par le général de Gaulle : l'AFD est un très bel outil d'influence française, avec une présence dans plus de 115 pays, particulièrement en Afrique. Je suis, au sein de la commission, référent des questions de biodiversité. Nous avons mené un certain nombre d'auditions et avons formulé des préconisations. Parmi celles-ci, nous avons mis en avant la nécessité de renforcer la lutte contre le commerce illicite d'espèces protégées, quatrième trafic mondial, notamment avec le trafic de viande de brousse. Quelles sont les actions menées par l'AFD dans ce domaine ? Nous avons également identifié l'axe de la lutte contre la déforestation importée par les actes d'achat de nos compatriotes. Pouvez-vous nous décrire les actions de l'AFD dans ce domaine ? Nous avons vu que cette crise sanitaire était liée aux impacts de l'activité humaine sur la biodiversité : les plans de relance doivent être orientés vers la biodiversité.
Vous annoncez cette réunion des banques d'investissements fin 2020, sachant qu'elles représentent 10 % de l'investissement mondial. Comment faire en sorte que cette manne soit bien orientée vers la biodiversité ? Comment évaluer les investissements ciblés sur la biodiversité ? Comment faire en sorte que les crédits inscrits soient bien consommés ? Des sommes importantes sont souvent annoncées, mais dans quelle mesure sont-elles concrètement réalisées ? Il est important de présenter devant la représentation nationale les réalisations concrètes menées par l'AFD en matière de biodiversité.
Nous nous intéressons à la biodiversité, mais également à l'eau. Vous venez de lancer une initiative à destination de l'Outre-mer : des difficultés en matière d'eau nous ont été rapportées dans ces territoires. Dans le cadre du plan d'un milliard d'euros de dotation, comptez-vous agir sur la question de l'eau dans nos territoires d'outre-mer ?
L'AFD est présentée comme l'opérateur français de l'aide publique au développement : elle est au service du développement, mais aussi, par son histoire, au service de la présence et de l'influence françaises dans le monde. L'Agence est avant tout un organisme financier. À ce titre, votre modèle d'affaires, à travers votre politique de marges sur les prêts, est-il susceptible d'influencer le choix de vos bénéficiaires au profit des pays émergents qui offrent un meilleur effet de levier et un meilleur retour sur investissement, avec un risque de sinistralité beaucoup plus faible ? Comment gérez-vous cette tension entre la nécessité de la présence française, parfois contestée, même à travers vos investissements - je pense par exemple au Gabon - et l'outil de développement financier ?
Nous parlons beaucoup de développement durable, mais quelles sont vos relations avec le ministère de la Transition écologique et solidaire, qui n'est pas votre ministère de tutelle ? Ce point fait-il défaut dans votre gouvernance ?
Versez-vous des dividendes en retour au niveau de l'État français ?
Le 8 mars 2019, le Gouvernement annonçait un fonds de soutien pour les mouvements d'égalité femmes-hommes à travers le monde, et notamment dans les pays en voie de développement. Ce fonds semble cependant prendre un certain retard. Le développement durable, s'il doit s'appuyer sur le pilier écologique et environnemental, doit aussi faire vivre ses composantes économiques et sociales dans lesquelles l'égalité entre les femmes et les hommes est primordiale. Je pense que la France doit porter cette voix-là également. Quelle est l'action de l'AFD en matière d'égalité femmes-hommes ?
Lors du sommet de Londres du 10 juillet 2018, M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, a annoncé l'élargissement du mandat d'intervention de l'AFD aux pays des Balkans occidentaux. Il se trouve que j'ai l'honneur de présider le groupe d'amitié au Sénat. Cette région présente une importance stratégique pour la France et pour l'Europe, avec des enjeux politiques, économiques, de sécurité et migratoires. Où en sommes-nous du renforcement de l'implantation et des actions de l'AFD dans cette région, notamment pour financer des projets d'infrastructures, comme le futur métro de Belgrade où la France fait face à la concurrence chinoise, à la transition écologique ou à la jeunesse ?
Ma question porte sur les moyens d'intervention de l'AFD. L'aide sous forme de prêts est largement privilégiée par rapport aux dons, ce qui constitue une spécificité de notre pays puisque les autres pays de l'OCDE équilibrent plus leurs moyens entre dons et prêts. Ainsi, dans le denier plan sur la santé publique de 1,2 milliard d'euros que vous avez lancé, je crois que 550 millions d'euros interviennent sous forme de dons. Il me semble que cette politique incite à investir dans les pays à revenu intermédiaire, au détriment des pays les moins avancés, et risque d'accentuer la dette de pays déjà pauvres et endettés. Nous constatons donc un décalage entre la liste des pays prioritaires et les principaux bénéficiaires. Même si un rééquilibrage est intervenu dans le budget 2019, nous constatons un retour en arrière en 2020. Que pensez-vous de ces choix budgétaires ? Faut-il rééquilibrer ces aides en faveur des dons ?
Je vous remercie pour vos questions.
Les sujets de biodiversité sont d'une importance croissante. Nous les avons regroupés avec les sujets agricoles et territoriaux, au sein d'un département de l'Agence que dirige Gilles Kleitz, ancien directeur du parc national de Guyane, qui fait très bien le lien entre les enjeux territoriaux de biodiversité dans notre propre pays et les actions que nous pouvons conduire. J'ai visité l'an dernier un parc national que nous soutenons en Chine et qui fait des émules dans d'autres provinces chinoises. Nous passons d'un « 100 % Accord de Paris » à un « 100 % Planète ». Nous accompagnons le Gouvernement dans ses discussions pour préparer la prochaine COP15, en apportant des exemples de projets évalués. Nous tenons à votre disposition de nombreuses évaluations sur ces sujets qui peuvent être utiles dans le cadre des négociations internationales et pour l'intégration des sujets de biodiversité au même niveau que les sujets climatiques. Nous avons même proposé - et c'est un engagement que l'Agence a pris - d'articuler nos financements pour la biodiversité avec nos financements pour le climat jusque dans nos méthodologies. Nous n'opposons pas finance et cobénéfices Climat à finance et cobénéfices biodiversité, avec des cibles et des méthodologies qui seraient différentes. Nous avons proposé que 30 % de nos financements Climat soient fondés sur la nature, contre 15 % actuellement. Nos financements doivent donc être doublés et passer à 1,5 ou 2 milliards d'euros à horizon 2025. J'ai parlé de la Chine et je pourrais aussi vous parler des actions que nous soutenons sur l'eau à Mayotte, puisque c'est un énorme problème. Nous intervenons aussi sur les sujets d'aires protégées et de conservation. Dans le cadre de notre accord de conversion de dettes avec le Gabon, nous avons des projets qui mettent un accent particulier sur la criminalité faunique et le commerce d'ivoire. La lutte contre le braconnage, la politique publique gabonaise et la connaissance des populations d'éléphants constituent un exemple de la politique que nous menons pour 10 millions d'euros d'investissement. Nous continuons ces actions en faveur des aires protégées et de la conservation, notamment sur les questions de déforestation, pour initier un dialogue avec les acteurs privés afin qu'ils adoptent des engagements internationaux et qu'ils respectent les objectifs au-delà de la seule préservation.
Monsieur Houllegatte, vous avez posé plusieurs questions sur notre nature financière. Je considère qu'il convient d'avoir les instruments de la politique qui est définie. Historiquement, pendant une dizaine d'années, l'Agence a souffert de montants de crédits budgétaires insuffisants et elle a donc sous-investi dans les secteurs sociaux. Elle a fait travailler son bilan, ce qui diversifie le risque et renforce la robustesse du modèle financier, ce qui est utile dans le dialogue avec les grands émergents, via des projets utiles, ensuite répliqués. Nous avons pris une belle place dans les prêts aux pays émergents. Nous gagnons de l'argent d'ailleurs en Chine. Les Chinois investissent dans l'AFD, en achetant nos obligations, pourtant rémunérées à un taux très bas, et l'AFD prête de l'argent en Chine, à un taux bien plus élevé qui paie une partie des charges de l'Agence. Les Chinois procèdent ainsi pour avoir accès à une expertise, à une pratique et à des élus qui viennent échanger sur les solutions de développement durable. La dernière fois que j'étais en Chine, dans le grand bassin houiller chinois où de nombreuses mines ferment, le maire de la ville qui comprend la plus grande mine de charbon d'Asie était présent, alors que le gouvernement central a décidé de fermer la mine. Ce maire est donc confronté à un problème environnemental de reconversion et à un problème social puisque de nombreux habitants vivent de la mine. Ce maire m'a montré un PowerPoint avec une photo que j'ai reconnue, photo de Loos-en-Gohelle, dans les Hauts-de-France, ville pilote en matière de développement durable. J'ai été fasciné par le fait qu'un maire, en Chine, se tourne vers l'AFD, sachant que la Chine était prête à financer ce lien avec la France pour accéder à notre pacte charbonnier et savoir comment nous avions procédé pour reconvertir ces territoires et ces salariés, il y a maintenant 25 ans, en 1994. Notre activité dans les pays émergents est utile pour notre pays, son influence et les négociations internationales, mais aussi pour le développement durable de la Chine, du Mexique et des grands émergents... Nous restons modestes, puisque nous faisons des projets pilotes et des expérimentations.
Je défends cette activité dans les pays émergents, mais nous sommes très heureux et redevables d'avoir plus de moyens budgétaires, pour baisser les taux de nos prêts, dans les pays africains ou plus pauvres qui peuvent emprunter. Il est important que des pays s'endettent, comme nous le faisons actuellement pour faire face à la crise, sans tomber dans l'insolvabilité. Il convient de disposer de l'instrument financier adapté à la situation du pays. Il peut s'agir de prêts relativement chers pour les grands émergents ou de prêts à taux quasiment nuls pour des pays qui ont la capacité de s'endetter et doivent financer leurs investissements durables. Il peut aussi s'agir de dons et de subventions, dans des pays beaucoup plus pauvres ou dans des secteurs sociaux. Il est primordial de disposer de la panoplie complète des instruments, avec des garanties. À l'instar de l'État qui accompagne les entreprises françaises à passer la crise de liquidités, nous devons procéder de même auprès des clients de la filiale de l'AFD, Proparco, qui finance des entreprises privées dans les pays du Sud, en les amenant sur les bons investissements. Cette garantie doit s'accompagner d'un dialogue pour ne pas financer une relance qui serait néfaste aux équilibres environnementaux et sociaux.
Il convient de procéder ainsi tout en gardant un modèle d'affaires soutenable, sachant que l'AFD n'est pas subventionnée : les crédits que vous votez dans le budget sont alloués à nos partenaires dans les territoires où l'AFD intervient, sous forme de dons ou de bonifications de prêts, et la rémunération de son activité paie les charges de l'AFD. L'AFD n'est pas en perte, même s'il faudra voir quel sera son résultat cette année, puisque la crise augmente le coût du risque et des provisions et réduit ainsi le résultat net. Chaque année, l'AFD dégage toutefois un résultat compris entre 100 et 200 millions d'euros et verse chaque année - sauf cette année à cause de la crise - un dividende à son actionnaire unique qu'est l'État français. Cette discipline est bonne puisque nous nous efforçons de dégager un résultat et rémunérons l'État. Dans notre contrat avec l'État, le payout est de 20 % chaque année. Ceci nous impose une discipline. L'AFD est par ailleurs une institution financière, sous le contrôle de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et de la Banque de France qui vérifient que l'AFD maîtrise ses risques.
La gouvernance de l'AFD comprend trois tutelles juridiques : le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, le ministère de l'économie et des finances et le ministère des Outre-mer. Le ministère de la Transition écologique et solidaire est néanmoins représenté au conseil d'administration de l'AFD par une personnalité qualifiée, Mme Chantal Jouanno, qui porte fortement cette voix, outre Laurence Tubiana, présidente du conseil d'administration de l'AFD, et les autres administrateurs. Le conseil d'administration est très attentif aux sujets qui vous préoccupent.
Madame de Cidrac, l'engagement du Président de la République et la politique du gouvernement sur l'égalité femmes-hommes sont un objectif fort pour notre Agence. L'engagement de 120 millions d'euros pour les ONG féministes du Sud sera mis en oeuvre sur plusieurs années. Je pense que nous dégagerons 40 millions d'euros cette année : l'appel à projets paraîtra bientôt. Il s'agit de subventions et de capacités financières d'appui de la société civile qui sont significatives. Nous menons des actions très diverses en matière d'égalité femmes-hommes. Notre premier prêt en Albanie est un prêt budgétaire sur les questions de genre. Au Maroc, nous avons mené un programme de budgétisation sensible au genre : le ministère des finances marocain, dans son dialogue avec chaque ministère sectoriel, cherche maintenant systématiquement à intégrer des objectifs d'égalité femmes-hommes dans toutes les politiques publiques marocaines. Le prêt budgétaire au Royaume du Maroc comprend toute une méthodologie. Je ne suis pas certain que nous l'ayons nous-mêmes en France. Nous expérimentons avec nos collègues marocains quelque chose qui peut donc nous inspirer. Nous menons des actions sur le genre. À Kochi, en Inde, nous avons financé un métro aérien avec des exigences en matière d'égalité : il y aura des conductrices de train. Plus de la moitié des salariés sont des femmes. Une offre de She taxi est proposée, à la sortie du train, avec un taxi mobylette genré, qui veille à éviter des violences, importantes en Inde à l'égard des femmes. Des règles prévalent dans les voitures. Cette expérience est très intéressante. Je vous cite un autre exemple, dans le secteur financier : dans les banques publiques de développement, nous avons octroyé une ligne de crédit à TSKB, banque de développement turque, pour les PME turques, ligne qui ne peut être débloquée que si l'entreprise a mis en place une politique crédible en faveur de la parité, vérifiée par la banque comme condition du financement octroyé.
Monsieur Gontard, avec le programme Santé en commun, l'AFD a doublé de taille, avec votre confiance, en cinq ans. Quand je suis arrivé à la tête de l'AFD, celle-ci réalisait entre 7 et 8 milliards d'euros de financement par an. En 2019, l'AFD a engagé tous ses crédits, avec 14 milliards d'euros d'engagements ou de projets approuvés par notre conseil d'administration, contre 50 à 60 milliards d'euros pour la Banque mondiale chaque année. La France dispose donc d'un instrument financier qui représente le quart ou le cinquième de la Banque mondiale. Nous pourrions avoir une taille encore un peu plus importante, y compris pour la robustesse de notre modèle financier, mais nous avons une taille critique qui nous permet d'intervenir dans de nombreux débats et cofinancements et de porter l'influence et l'expérience de notre pays pour faire ensuite les connexions utiles avec les acteurs français. Nous avons alloué une enveloppe de 1,2 milliard d'euros pour le programme Santé en commun, réponse sanitaire et de protection sociale ciblée sur l'Afrique et le Proche-Orient, sévèrement touchés par cette crise. Nous n'avons tout de même pas mis tous nos oeufs dans la réponse sanitaire puisque la crise en Afrique est surtout économique et sociale tout en restant environnementale. Dans certains pays, nous ferons des dons, mais nous appuierons aussi les politiques publiques de santé face au Covid-19 avec des prêts, dans certains pays, tout en étant attentifs à ne pas faire basculer ces pays dans le surendettement. Le ministère des finances y veille. Nous basculons vers d'autres instruments si nécessaire.
Je pourrai vous envoyer une fiche sur notre activité dans les Balkans.
Vous m'avez effectivement répondu sur le volet égalité femmes-hommes, mais pas sur celui relatif aux Balkans occidentaux, de manière précise. Pouvez-vous nous en dire un mot rapide ?
Je vous adresserai une fiche avec un état précis des projets. Nous regardons le métro de Belgrade, avec d'autres. Nos ambassadeurs, dans cette zone pourtant si proche et si stratégique, n'avaient pas d'instrument alors que nos collègues allemands sont présents, ainsi que les banques européennes. Nous sommes maintenant présents et commencerons des financements d'infrastructures. Nous disposons désormais d'une équipe à Belgrade qui couvre ce mandat pour l'ensemble des Balkans.
L'audition se veut prospective et j'aurai deux questions. La première concerne l'Europe. Il est difficile d'avoir une vision claire des relations géopolitiques et géostratégiques dans quelques mois, mais nous sentons toutefois une volonté de réaffirmation de l'Europe. Les banques de développement françaises, allemandes et européennes pourraient-elles être demain un outil plus affirmé par l'Europe, y compris dans sa réaffirmation géopolitique ? Le modèle de l'action des banques de développement pourrait-il être différent, au-delà de l'intégration des enjeux Climat et biodiversité, dans le cadre d'une autre stratégie européenne ?
Ma seconde question est liée au tourisme en Afrique. Le tourisme est un secteur extrêmement important du développement de nombreux pays, notamment africains, comme au Maroc ou en Afrique australe avec le tourisme de biodiversité. Douze milliards d'euros de pertes pourraient être enregistrés en lien avec la crise Covid-19 pour l'industrie du safari. L'AFD intègre-t-elle dans sa stratégie cette question du tourisme, relancé ou pensé différemment avec un vrai enjeu sur la biodiversité ? Des informations extrêmement inquiétantes parviennent sur l'état de certains parcs africains qui n'ont plus aucune recette. Dans les recettes de l'AFD, le fonds de solidarité pour le développement (FSD) d'environ 200 millions d'euros est financé par la taxe Chirac sur les billets d'avion. Est-ce que cette recette est menacée, ainsi qu'un certain nombre de projets de l'AFD liés aux compensations aériennes ?
Mes préoccupations concernent la santé. Sur les cinq nouvelles maladies humaines qui apparaissent chaque année en moyenne, trois sont d'origine animale. Avec la crise du Covid-19, nous avons vu comment la santé humaine pouvait trouver des moyens de traiter, de soigner, mais elle ne permet pas de prévenir et d'anticiper le risque épidémique. Il semble qu'il faille mieux tenir compte de l'interdépendance entre la santé animale, la santé humaine et la santé des écosystèmes. Cette conception de la santé progresse depuis les années 2000, avec la première apparition des premiers virus H1N1, etc. Si cette conception s'impose dans les idées, elle a toutefois beaucoup de mal à s'imposer dans les faits, car elle se heurte à une faiblesse des moyens, particulièrement en Afrique où la santé animale est laissée pour compte. Elle s'oppose également à une conception assez universelle d'un fonctionnement en tuyaux d'orgue. Nous avons assez peu l'habitude, même en France, de travailler de manière transversale, alors que la prévention l'impose pourtant. Elle s'oppose enfin à des réticences quant à la mise en oeuvre des politiques de prévention, difficilement quantifiées. Nous pouvons l'observer en France au travers de la quasi-disparition de la santé au travail et de la santé scolaire.
Si je pense que vous êtes convaincu, monsieur le directeur, de l'intérêt d'une telle médecine globale, comment l'intégrez-vous concrètement dans les politiques de santé que vous pouvez mener ? Comment intégrez-vous des critères, dans les aides que vous accordez aux différents pays du monde ?
Merci, Monsieur le Président, d'avoir organisé cette rencontre nécessaire et attendue, merci, Monsieur le Directeur général, d'avoir répondu à notre demande.
Je suis un ancien sénateur et cette commission était auparavant également la commission du développement économique. Je me demande si nous n'avons pas eu tort de la scinder, puisque nous voyons aujourd'hui que les choses sont très imbriquées.
Vous considérez que le développement durable est une gestion responsable, raisonnée et efficace des ressources. Nous savons que l'aide a de plus forts impacts quand elle est gérée localement, dans le cadre d'un partenariat équitable, fondé sur les principes humanitaires. Tout le monde s'accorde à le reconnaître, tant à l'ONU qu'au sein de la Commission européenne. Ce changement de paradigme vertical et transversal est nécessaire, mais pourtant difficile à engager. J'ai lu que 40 millions d'euros avaient été annoncés pour les ONG du Sud : cette somme passera-t-elle par les ONG du Nord ?
Le système peine à changer et le montant de l'aide arrivant véritablement dans les territoires concernés reste faible. La participation des acteurs locaux est souvent citée et elle est d'une grande efficacité puisqu'elle se double d'une formation des bénéficiaires de ces programmes. Ces acteurs locaux sont pourtant assez peu sollicités par nos ONG internationales. Quelle est la vision française de la localisation, vis-à-vis des acteurs locaux, de la société civile ou des autorités locales ou régionales ?
Pour se transformer, le secteur a besoin de champions et je crois que l'AFD pourrait être ce champion - j'en ai même la conviction.
Je profite de votre présence pour vous parler d'un point. J'ai entendu parler, il y a quelques jours, de la « théorie économique du Donut », par un des membres du think tank humanitaire IARAN installé dans les Ardennes, Kate Raworth. J'ai été interpellé et intéressé. Quelle est votre vision par rapport à cela ?
Nous sommes dans un monde dynamique et nous sommes véritablement en phase avec notre temps ici, en organisant ces auditions sur le monde d'après. Je reste plein d'espoir.
Vous l'avez dit, le référentiel des objectifs de développement durable (ODD) est de plus en plus partagé, ce dont nous pouvons nous féliciter. Le financement de cet agenda 2030 suppose de veiller à ce que les investissements ne soient pas en contradiction avec les objectifs environnementaux et sociaux tels que le climat et la biodiversité, mais aussi les inégalités et la sécurité alimentaire. Or, une part importante des flux financiers n'est pas toujours alignée, tant dans le secteur privé que dans le secteur public, ni même compatible avec les ODD. Une étude de l'OCDE de 2019 démontre que les investissements publics et privés favorisent toujours les investissements liés aux combustibles fossiles. Ne pensez-vous qu'il est temps de mettre en place des cadres et des normes afin de faciliter une meilleure compréhension des investissements durables, de la destination des différents flux et de leur impact réel afin de réduire les risques croissants des ODD washing ?
Monsieur Dantec, je crois que l'Europe se situe effectivement à un moment particulier. Depuis longtemps, nous n'avions pas eu une signature aussi forte que l'European New Green Deal. Ces dernières années, n'existaient au plan international que les routes de la soie, comme vision et comme projet. Nous nous positionnons par rapport aux routes de la soie, en parlant de routes de la soie vertes ou de connectivité, en réaction. Nous assistons actuellement à l'affirmation d'une identité, d'un plan d'investissement, ce qui n'est pas facile face à la crise profonde. Ce point a retenu l'attention du monde. Quand j'ai débuté ma carrière sur ces sujets il y a une vingtaine d'années, la construction européenne était quelque chose de puissant. Dans un moment où les constructions régionales et les intégrations régionales en Afrique ne fonctionnent pas si mal et où la question de chaîne de valeurs, de relocalisations et de monde multipolaire se pose, je trouve que l'expérience européenne est intéressante, avec ses forces et ses faiblesses. Ce moment, rendu possible ou difficile par la confrontation entre la Chine et les États-Unis, peut s'exprimer par de la solidarité, avec de possibles taxes carbones aux frontières, mais nous devons prendre garde à ce qu'elles ne soient pas perçues par nos partenaires africains comme une fermeture. De telles mesures devraient s'accompagner d'investissements dans les économies africaines qui les relient à l'Europe. Des instruments comme le nôtre existent, avec la BEI, la BERD, la KfW... La moitié de l'aide publique au développement du monde est européenne : en additionnant les actions de la Commission et des États membres, la somme atteint 75 milliards de dollars chaque année. Il est important d'avoir un projet européen incarné, visible, dynamique et ambitieux, avec un puissant volet international de développement et de solidarité, comprenant des investissements de développement durable.
Au début de la crise du Covid-19, nous avons parlé avec la Commission européenne et la direction générale DEVCO qui s'occupe du développement. Les directeurs généraux du développement de tous les États membres se sont réunis, avec la Commission, dès fin mars, au moment où les discussions sur les réponses à la crise étaient loin d'être consensuelles au niveau européen. Nous avons trouvé très vite un consensus, entre acteurs de développement. Le 3 ou le 4 avril, la Commission a annoncé 20 milliards d'euros mobilisés pour répondre à la crise, additionnant pour la première fois les moyens de la Commission et les moyens des États membres, dont les 1,2 milliard d'euros français que nous portions. Le #Team Europe est né à ce moment-là et nous le faisons vivre pour qu'il y ait une identité de l'action de l'ensemble des institutions européennes, qui forme de plus en plus un système d'institutions de développement, avec la Commission au centre, avec la Banque européenne d'investissement (BEI), avec la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) et avec les institutions de chaque État membre. Il s'agit parfois d'une banque, comme l'AFD, parfois d'une agence de dons, comme en Suède, parfois d'une agence de coopération technique. Ces acteurs échangent, mènent des projets ensemble et cofinancent de manière de plus en plus intégrée au niveau européen. Si ceci peut servir un moment géopolitique, dans l'intérêt de notre pays et de son engagement européen, ce serait formidable. Nous avons réagi relativement vite et cherchons à être présents aux côtés des multilatéraux sur ces sujets.
Sur le tourisme, la crise touche les pays en développement, de manière multiple. La crise est totalement exogène et le tarissement des flux touristiques en est l'une des manifestations. Le secteur est compliqué, notamment en matière de développement durable. Ce sujet constitue un bon exemple puisque nous devons jouer notre rôle contra-cyclique pour permettre aux clients de Proparco de passer la crise, tout en menant un dialogue avec des exigences encore plus élevées pour tracer un chemin d'investissement et changer le tourisme d'avant et d'après la crise. Nous avons de bons exemples, mais si nous devons aider d'autres entreprises touristiques à traverser la crise, il conviendra de trouver de bons équilibres entre la réponse d'urgence, moins conditionnée, et le dialogue pour que les partenaires deviennent ensuite des acteurs du développement durable.
Sur le FSD, je pense que la question concerne plutôt le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et le ministère de l'économie et des finances, qui mettent en place ces financements innovants, constatent l'impact de la crise sur leur mobilisation et leur prélèvement et doivent en voir les conséquences budgétaires pour maintenir le même niveau d'ambition, ou l'accroître. Cela se traduirait in fine par des dispositions en loi de finances. Je ne dispose pas d'informations à ce stade sur d'éventuelles pertes de recettes, même si elles semblent inévitables compte tenu de la crise que traverse le transport aérien et des conséquences que cela peut avoir sur les moyens budgétaires de l'AFD.
Madame Filleul, nous sommes descendus très bas sur les sujets de santé, secteur qui requiert des ressources en subvention pour passer par les canaux des gouvernements ou par la société civile. La santé ne représentait plus que 2 % des investissements de notre Agence : cette proportion a bien augmenté depuis deux ans. Ceci nous permet de financer des projets sur la dimension économique puisque c'est un secteur économique très important, même si sa rentabilité est différée. Le volet baptisé « one health » est nouveau, et nous avons encore peu de preuves d'exemples de recherches systématiques et d'exploration des liens entre santé animale et santé humaine. Nous sommes maintenant incités à le faire. Sur la santé, de grands fonds verticaux traitent de maladies particulières. De l'argent international est actuellement mobilisé pour développer un vaccin qui bénéficiera à toute la population mondiale, ce qui est très intéressant. Nous cherchons les modalités de financement d'un bien commun mondial, à savoir le vaccin contre le Covid-19. Nous avons besoin de coopération internationale et d'un certain niveau de financement international pour coordonner les efforts de chaque pays en matière de recherche puis de diffusion. La Commission européenne a pris cette initiative, avec la France. Pour l'AFD, notre axe sur la santé concerne le renforcement des systèmes de santé, en particulier dans les pays où ces systèmes sont très faibles, très défaillants, pour les rendre en capacité de faire face à une pluralité de maladies potentielles.
Monsieur Huré, nous gérons depuis dix ans un guichet, ou une capacité financière, de 100 millions d'euros qui est l'endroit où les ONG françaises viennent exercer leur droit d'initiative. Les ONG présentent des projets, sélectionnés par un comité. Ce guichet est devenu le principal lieu de financement de l'action internationale des collectivités locales. Avec la société civile, l'action de l'AFD représente 400 millions d'euros. L'enjeu consiste, une fois que nous avons appris à travailler avec la société civile, à les entraîner dans les autres projets financés par l'AFD, notamment dans le Sahel, en passant alors par des ONG locales à cause des risques de sécurité et de rejet qui existeraient sinon.
Plus largement, dans le monde du financement du développement, notre Agence présente une particularité puisque la moitié de nos financements passe par des canaux financiers non souverains. Pour simplifier, la moitié des financements de l'AFD passe par les gouvernements et l'autre moitié par d'autres acteurs. L'AFD a appris à passer par la société civile, chez nous et au Sud. L'AFD est quasiment une des seules agences de développement qui sait prêter à des collectivités locales du Sud. En Afrique du Sud, le gouvernement central a longtemps refusé de s'endetter auprès des institutions internationales, tandis que les collectivités telles que Johannesburg, Durban, Le Cap ou Medellín, étaient prêtes à le faire. Nous avons alors apporté des dons ou même des prêts, avec des risques pris sur les collectivités locales du Sud, sans passer par la garantie de l'État central. Une grande partie des investissements dans les infrastructures passe non pas par les gouvernements centraux, mais par les collectivités locales, partout dans le monde, et il faut donc parvenir à atteindre ces contreparties pour qu'elles fassent les investissements les plus durables possible.
Sur la théorie du Donut, Gaël Giraud que vous avez auditionné était le chef économiste de l'AFD et nous avons vécu une période avec beaucoup d'idées et d'innovations. Cette représentation de l'économie comme une pâtisserie anglo-saxonne a des adeptes dans notre maison. De nombreuses ressources se trouvent sur le site de l'AFD, ainsi que des recherches mises en place et rendues publiques. Pendant le confinement, nous avons mis en place une offre de MOOC.
Monsieur Marchand, il est urgent que le référentiel ODD advienne. Nous avons fixé les objectifs de finances Climat dans le cadre de l'Accord de Paris et ce travail a débuté pour la biodiversité. Tout ceci doit se consolider dans un référentiel développement durable validé par les institutions internationales : ce référentiel doit avoir un effet d'entraînement non seulement sur l'AFD, mais aussi sur les flux financiers privés au niveau des portefeuilles des institutions financières et des trajectoires des pays. C'est le passage de l'aide publique au développement, référentiel existant, avec un comité à l'OCDE, à l'investissement de développement durable qui est encore très incertain. Nous n'avons pas encore le cadre global dans lequel tous les acteurs pourraient s'inscrire. Il nous manque également au plan international une institution multilatérale qui donne un avis sur les trajectoires des pays. Être aligné avec l'Accord de Paris requiert de vérifier si un projet a une contribution positive, mais aussi s'inscrit ou non dans une trajectoire de moyen et long terme définie par le pays conformément à l'Accord de Paris. En fonction de ce que nous pensons de la trajectoire d'un pays, l'AFD choisit tel ou tel instrument financier. Si un pays a une très bonne trajectoire climat, le plus simple consiste à lui accorder une aide budgétaire. En revanche, si un pays va dans le mur du point de vue climatique, il convient de basculer sur de l'aide projet pour des centrales photovoltaïques ou des parcs nationaux, pour le convaincre qu'il devrait changer sa politique et faire de meilleurs investissements. Nous menons ce travail en interne au sein de l'AFD, mais personne ne nous dit si la France, la Colombie, le Burkina Faso ou la Chine ont une bonne politique Climat et une bonne politique de développement durable. Aucune publication ne porte sur le sujet, alors que de nombreuses publications concernent les finances publiques et la macroéconomie, via le Fonds monétaire international (FMI). Ces informations manquent sur le développement durable.
Vous avez rappelé les missions de l'AFD qui sont essentielles et indispensables. Je voudrais vous interroger sur le modèle économique de l'AFD qui est une banque de développement qui recourt au marché afin d'étendre son champ géographique. Au vu du contexte économique actuel, pensez-vous que vous risquez de rencontrer des difficultés pour maintenir vos équilibres financiers, car, comme le note la Cour des comptes, le modèle comporte des risques ? Ces risques pourraient-ils être accrus et quelles pourraient en être les conséquences ?
Vous dirigez une très belle institution, créée à une époque où notre pays avait une vision de long terme. Je voudrais vous parler des moyens financiers dont vous disposez et dont disposent les pays européens pour défendre l'économie européenne. Je ne sais pas si le jour d'après sera très différent si les gouvernements des grandes économies mondiales ne mettent pas en place des politiques publiques pour s'en donner les moyens. Il n'y a en revanche plus d'interrogations sur la présence de la Chine sur tous les continents : elle est excessivement présente en Afrique, elle est dans le Pacifique, au Vanuatu, elle est en Europe puisqu'elle a racheté un certain nombre de ports européens, en Grèce et en Italie, et a repris des terminaux dans les pays du Nord, avec des investissements colossaux dans le monde entier. Les moyens sont-ils suffisants en Europe pour faire face au développement que nous souhaitons réaliser face au développement chinois, voire américain ?
Ma deuxième question porte sur l'Outre-mer. Nous avons la chance de disposer du deuxième territoire maritime du monde, avec une présence dans tous les océans. L'économie de certains territoires d'outre-mer, comme les Antilles ou la Polynésie, repose uniquement sur le tourisme. Or, des ressources halieutiques considérables pourraient être exploitées en respectant scrupuleusement l'environnement, ce que ne font pas les Chinois en Polynésie, par exemple. Avez-vous des projets pour faire en sorte que le jour d'après l'économie de ces territoires français puisse se développer sans avoir uniquement recours au tourisme qui, si le jour d'après est différent, ne sera plus comme avant ?
Je suis très heureuse de vous entendre à plusieurs titres, puisque je suis une ancienne élève de l'Institut d'étude du développement économique et social (IEDES) de François Perroux, où j'ai eu René Dumont comme professeur, et je suis impliquée de longue date dans l'association CODATU (Coopération pour le Développement et l'Amélioration des Transports Urbains et Périurbains), association internationale où les pays du Nord aident les pays du Sud en matière de transports publics. Aidez-vous plus particulièrement la mise en place de réseaux de transports publics dans les pays émergents pour lutter contre la pollution et contre la concurrence tentaculaire et frénétique de la Chine face à nos industriels français ?
Je vous remercie d'évoquer les objectifs de développement durable : je pense qu'il faut absolument s'en saisir. Ils doivent servir de guide pour tout projet et toute loi et tracer un chemin : ils devraient être affichés comme but. J'avais une question sur le choix des projets que vous faites, pour les financer. Vous intervenez sur une grande partie du globe et notamment dans les trois océans. Sur la gestion des déchets et sur la pollution plastique, vous avez évoqué le thème des communs, or, vous n'êtes pas sans savoir que les plastiques s'accumulent partout dans le monde, particulièrement dans les océans. Nous devons répondre à des enjeux de quantité, pour l'eau, mais aussi à des enjeux de qualité. Or, cette pollution impacte la qualité de l'eau, qui est un objectif de développement durable, et a un effet délétère sur le monde en général. Est-ce un sujet pour vous ? Est-il possible de mettre en place des projets cohérents sur ce sujet, en amont de la production et de la diffusion dans l'environnement de cette pollution plastique ? La même question se pose de manière plus générale sur les plastiques.
Monsieur le directeur général, vous avez travaillé sur un rapprochement de l'AFD et de la Caisse des dépôts et consignations. Quel était l'intérêt de cette démarche, à l'époque ? J'ai cru comprendre que vous y réfléchissiez encore : quelle est votre position sur ce sujet ? Nous constatons un besoin de lisibilité, par rapport aux citoyens, sur les investissements durables : ne serait-il pas opportun de réfléchir sur de nouveaux placements qui permettraient, au niveau national et international, de flécher un certain nombre de dépôts pour accompagner les politiques que vous mettez en place ?
Vous intervenez avec des sommes très importantes dans différents États du monde. Vous procédez à une validation de vos choix mais procédez-vous ensuite à une évaluation de l'efficacité et de la performance des sommes engagées et donc dépensées ? Pouvez-vous nous présenter quelques exemples bénéfiques qui ont permis une accélération ?
Au-delà de mon temps de réponse, nous vous enverrons des éléments complémentaires, pour ceux qui les ont demandés, et le personnel de l'AFD se tient à votre disposition pour vous apporter davantage de précisions.
Plusieurs questions concernaient la géopolitique du développement. L'Agence est née le 2 décembre 1941, pendant la guerre. C'était le Trésor, la Banque de France, la Caisse des dépôts et consignations de la France libre, puisque l'Agence était dénommée la Caisse centrale de la France libre, devenue, à la Libération, Caisse de l'Outre-mer, raison pour laquelle nous sommes historiquement présents dans l'Outre-mer. L'Agence est née d'une guerre. Je sais que cela a suscité un débat, mais ce que nous vivons aujourd'hui ressemble, par certains aspects, à une guerre, si on entend par « guerre » la destruction du capital physique, financier et humain. Nous parlons de cinq points de PIB de perte de richesse sur l'année 2020, dont sept dans les pays développés, ce qui n'est pas arrivé depuis 1870, date d'une autre guerre. Ces circonstances nous obligent à jouer notre rôle souverain, dans un jeu d'acteurs tendu au plan international. L'Europe dispose de la moitié de la capacité mondiale de financement du développement. Elle compte en son sein des institutions financières publiques qui peuvent faire travailler leur bilan, pour peu qu'elles convainquent les responsables politiques de chaque pays et de l'Europe de l'intérêt de l'Europe de continuer à coopérer, ou de coopérer avec encore plus d'ambitions, dans la situation actuelle. Les autres ensembles géopolitiques ne s'y trompent pas. Les États-Unis d'Amérique sont les premiers pourvoyeurs d'aide publique au développement, avec 30 milliards de dollars. Ce montant n'a pas beaucoup baissé depuis l'arrivée du Président Trump. Pour la première fois depuis l'époque du président Kennedy, les Américains ont voté il y a deux ans le Build Act qui a réformé le système de financement du développement. Les États-Unis ont même créé une nouvelle institution financière, US DFC, pour appuyer le secteur privé, en particulier dans les autres pays. Le président Trump vient de confier à cette institution un nouveau mandat de reshoring, pour financer la réinstallation, au sein des États-Unis d'Amérique ou dans les pays voisins, de capacités industrielles qui avaient été éloignées. Il est intéressant d'observer que cette institution financière, qui fait du financement international, vient de se voir confier un mandat dans son propre pays, alors que les États-Unis ne disposent pas de nombreuses banques publiques. Des phénomènes très nouveaux sont observés dans ce monde du développement. Nous connaissons bien l'ambition, les volumes et l'effet de richesse qu'a connu la Chine et la manière dont elle les a utilisés pour son influence, pour son économie et pour bâtir un système un peu alternatif, avec cette grande vision des routes de la soie qu'elle a projetée sur le monde et qui présente un grand attrait. La Chine a apporté beaucoup de financements en Afrique et dans de nombreux pays, à un moment où nous financions moins nous-mêmes : elle a occupé une place que d'autres avaient laissée.
La relation à ces grands ensembles et à la Chine est une grande question qui comporte de très nombreuses dimensions. J'interprète mon mandat comme étant celui qui coopère dans la réponse avec la Chine : je dois essayer d'amener des acteurs chinois vers des financements conformes aux normes internationales. Je ne suis pas sûr d'y arriver. Je trouve intéressant d'essayer d'amener des financements chinois dans des appels d'offres internationaux auxquels des entreprises européennes peuvent accéder, en suivant un jeu de normes sociales et environnementales du meilleur niveau, comme ceux qu'adopte l'Agence française de développement dans tous les projets qu'elle finance. Aujourd'hui, ce n'est évidemment pas le cas : personne n'arrive à coopérer avec les Chinois, et peu avec les Américains non plus, pour être franc. Les investissements chinois sont multiples : certains sont axés sur le développement durable. Le Club IDFC que je préside comprend une institution chinoise, la China Development Bank, qui est le seul lieu au monde où les Chinois déclarent des chiffres selon une méthodologie internationale. La Chine réalise des investissements Climat à hauteur de 100 à 150 milliards de dollars chaque année. Les sommes sont considérables. Ces investissements concernent surtout des réseaux de transport urbains ou des énergies renouvelables en Chine même, mais aussi dans des pays étrangers. La Chine finance toutefois aussi des centrales à charbon qu'il faudrait absolument arrêter et transformer. Pouvons-nous y parvenir par de la coopération ou par d'autres outils publics ? Il appartient aux autorités françaises et européennes de le déterminer. Le sommet des banques de novembre peut être le lieu pour avancer sur le sujet.
L'Outre-mer français me fascine. Nous avons modifié notre organisation et notre stratégie sur ce volet. L'Outre-mer est historique, au sein de l'AFD, et nous essayons d'en faire quelque chose de nouveau via les objectifs de développement durable. Nous avons créé un département « Trois océans » qui casse nos silos : ce département comprend nos territoires ultra-marins et leurs voisins. Nous cherchons à traiter les sujets de développement, de renforcement des maîtrises d'ouvrage, d'intégration régionale puisque l'avenir de nos territoires n'est pas que dans le rattrapage de la métropole, mais aussi dans leur insertion dans leur espace économique où ils ont beaucoup d'atouts et de capacités, et par le développement durable. Je pense que nous pouvons faire de nos territoires ultra-marins des territoires vitrines, en pointe en matière de développement durable par rapport à la métropole. Si nous pouvons ensuite expliquer aux élus de métropole les actions menées en Outre-mer, ces actions seront bonnes pour la métropole, pour l'Outre-mer et pour la coopération internationale. Nos financements s'élèvent à 1,5 milliard d'euros chaque année dans l'Outre-mer et ils devraient être supérieurs cette année du fait de la crise, puisque nous réalisons des prêts d'urgence, en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie, dans un esprit de développement durable.
Madame Vullien, l'IEDES fait partie de notre famille et nous adorons le jardin tropical. Je suis prêt à poursuivre la discussion avec vous. Nous avons de nombreux exemples d'excellents projets de transports publics dans le monde entier et en Outre-mer. Regardez ce que nous avons réalisé à Medellín, ville qui était la plus dangereuse du monde, à l'époque de Pablo Escobar, et qui est devenue une ville extraordinaire : grâce à un financement non souverain de l'AFD pour le tramway de la ville de Medellín, les favelas sont désormais reliées au centre-ville.
Madame Préville, sur les déchets et l'océan, nous publierons prochainement une note de stratégie très intéressante. En rédigeant la note, nous nous sommes rendu compte que nous avions financé 1,5 milliard d'euros depuis dix ans pour des projets sur le développement durable des océans. Nous disposons d'une grande expérience et d'une grande connaissance de ces sujets. Nous avons bâti une initiative avec la BEI et la KfW allemande, il y a maintenant deux ans, la Clean Ocean Initiative, dont le bilan a été publié avant-hier à l'occasion de la journée des océans. Cette initiative porte sur toute la chaîne de gestion des déchets.
Quelle que soit la forme que prend le rapprochement entre l'AFD et la Caisse des dépôts, les ODD sont pris en compte : ce que nous faisons à l'international concerne le national, et inversement. J'ai négocié la COP21 et me trouvais à New-York pour les ODD : j'ai compris le message des ODD dès 2015, et ce message est arrivé aujourd'hui à la Caisse des dépôts. Éric Lombard m'interroge sur ces points. La KfW allemande rend des comptes sur la manière dont elle contribue aux ODD, en expliquant son bilan annuel par rapport aux ODD. Cette question est aujourd'hui posée à l'AFD et à la Caisse des dépôts. Je ne peux vous dire quelle forme ce rapprochement prendra, mais, stratégiquement, relier nos capacités financières nationales à nos capacités financières internationales me semble crucial. Ce phénomène est observé partout dans le monde. Il convient sans doute de casser notre fonctionnement en silos qui conduit à avoir des instruments nationaux et des instruments internationaux. Dans « international », il y a « national ».
Monsieur Ginesta, nous allons effectivement jusqu'à l'analyse de l'impact de nos projets, en précisant par exemple combien de jeunes filles vont en classe, combien de territoires sont restaurés... Nous augmentons fortement notre capacité d'évaluation puisque nous gérons beaucoup plus d'argent public. Le prochain projet de loi développement propose même de créer une instance externe d'évaluation, indépendante ou à la Cour des comptes, qui exercera un contrôle plus fort sur l'AFD et ses opérations - et je n'aspire qu'à cela pour que les Français adhèrent à nos actions. Les sondages montrent bien que les Français se disent mal informés de la politique de développement et pensent donc qu'elle n'en est pas efficace : quand vous interrogez les Français qui se disent bien informés de la politique de développement, ils la jugent très efficace. Il convient donc de leur amener l'information pour qu'ils puissent former leur jugement.
Je vous remercie infiniment : des propos très intéressants ont été tenus et des réponses ont été apportées aux questions des sénateurs.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 11 h 15
Je remercie Martin Bouygues d'être présent, pour évoquer avec nous le déploiement de la 5G et l'aménagement numérique de notre pays. Certains sénateurs sont présents, et d'autres en visioconférence.
Nous vous accueillons ce matin dans le cadre des auditions que nous menons sur les conséquences de l'épidémie de Covid-19 sur l'aménagement numérique du territoire. La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a déjà auditionné Sébastien Soriano, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), et plus récemment, Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Les trois référents de la commission sur les problématiques d'aménagement numérique du territoire - Patrick Chaize, Jean-Michel Houllegatte et Guillaume Chevrollier - ont également entendu la Fédération française des télécoms et les quatre opérateurs, parmi lesquels Bouygues Telecom. C'est la première fois, néanmoins, que notre commission vous auditionne, Monsieur Bouygues, quelques jours seulement après votre tribune qui a fait grand bruit, appelant à reporter les enchères 5G en France en raison de la crise sanitaire.
Permettez-moi de rappeler quelques éléments de contexte sur le calendrier et les modalités de déploiement de cette nouvelle technologie mobile. En avril dernier, chacun des quatre opérateurs a pu acquérir un bloc de 50 MHz, à un prix fixe de 350 millions d'euros. Suite à cette attribution, les fréquences restantes devaient être attribuées aux enchères par blocs de 10 MHz. Un prix plancher de 70 millions d'euros par bloc a été fixé par l'État, portant le montant total de l'attribution des fréquences 5G à un niveau minimum de 2,17 milliards d'euros. En raison de la crise sanitaire, cette deuxième phase d'enchères, qui devait initialement se dérouler au printemps, a été repoussée. Pour l'heure, deux dates sont envisagées par le Gouvernement pour ces enchères : soit fin juillet, soit septembre.
Dans une tribune publiée par le Figaro, vous avez affirmé qu'il serait souhaitable de reporter à la fin de 2020 voire au début de 2021 les enchères sur les fréquences 5G. Selon vous « la 5G n'est pas une urgence pour la France ». Vous estimez tout d'abord que ce report ne présente aucun risque de déclassement ou de retard pour l'économie française, dès lors que les usages potentiellement innovants n'arriveront qu'en 2023 ou 2024. Vous avez également souligné, la défiance croissante de l'opinion publique vis-à-vis de la 5G. Un certain nombre de dégradations ont ainsi été observées en Grande-Bretagne sur des sites 5G. Vous évoquez également les interrogations concernant l'impact de la 5G sur le plan sanitaire et sur le plan environnemental. Je ne doute pas que Monsieur Chevrollier et Monsieur Houllegatte en parleront en tant que rapporteurs de la mission d'information sur l'empreinte environnementale du numérique. Des questions se posent également du point de vue de la souveraineté. Certains ont ainsi vu dans vos interventions une crainte que l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) interdise l'utilisation des équipements de l'entreprise chinoise Huawei, que vous utilisez pour la génération de mobiles précédente.
Vous appelez à la réalisation d'un New Deal 2 ; vous nous expliquerez en quoi cela est nécessaire. En effet, le New Deal actuel est toujours en cours de déploiement et certains de ses volets, comme le dispositif de couverture ciblée, enregistrent déjà des retards.
Suite à votre intervention liminaire, je laisserai la parole aux référents de la commission puis à l'ensemble de mes collègues qui souhaiteront s'exprimer.
Monsieur le président-directeur général de Bouygues, je vous laisse la parole.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je vous remercie tout d'abord de m'avoir invité à m'exprimer devant votre commission aujourd'hui, avec Olivier Roussat, directeur général délégué du groupe Bouygues, et Didier Casas, directeur général adjoint de Bouygues Telecom. Je le fais à un moment particulier, puisque le pays se relève avec difficulté de cette terrible crise du Covid-19. Les conséquences sur l'économie sont évidemment très importantes et, je crains que nous n'en percevions pas encore la pleine ampleur.
Je souhaiterais, avant de répondre à vos questions, vous présenter rapidement les conséquences de la crise sur le groupe Bouygues, les dispositions que nous avons prises pour faire face aux difficultés et les quelques mesures que nous pensons être utiles pour accélérer la couverture mobile du territoire.
En tout premier lieu, s'agissant des conséquences de la crise sur les métiers du groupe Bouygues, les résultats du premier trimestre publiés le 14 mai dernier permettent de mesurer les premières conséquences de la pandémie sur les finances de notre groupe. Nous sommes un des très rares groupes français à publier des comptes trimestriels, à la différence des autres, qui publient des comptes semestriels. Pour l'ensemble du groupe, nous estimons que la baisse du chiffre d'affaires liée au Covid-19 s'élève à environ 750 millions d'euros au premier trimestre 2020, dont 600 millions environ sur la France. La France concentre donc 80 % de l'impact financier du Covid sur les finances du groupe, ce qui est nettement plus que les 60 % qu'elle représente dans notre chiffre d'affaires global. Force est de constater que notre pays est celui dans lequel le ralentissement de l'activité a été le plus fort et le plus lourd. Nous le voyons très nettement aujourd'hui, en phase de sortie de crise ; la plupart des pays dans lesquels nous opérons, soit environ 52 à travers le monde, ont repris presque normalement, tandis que la France, de son côté, marque encore le pas.
Les métiers sont diversement affectés par cette baisse, étant donné la nature des activités. Ce sont les métiers du pôle construction, promotion immobilière, routes et construction qui ont subi le plus gros impact, avec une baisse d'environ 700 millions d'euros sur les 750. Cette baisse s'explique par le quasi arrêt des chantiers en France à partir du 17 mars et le ralentissement ou l'arrêt des chantiers dans de nombreux pays. Fort heureusement, cependant, les atouts traditionnels du groupe lui permettent d'être très bien positionné pour ne prendre aucun retard en sortie de crise.
D'une part, la structure financière du groupe est restée très saine. Nous sommes en effet un groupe très peu endetté. Le groupe dispose d'environ 10 milliards d'euros de trésorerie disponible à fin mars dernier. La situation est donc confortable. D'autre part, la grande qualité du dialogue social dans tous les métiers du groupe ainsi que les décisions que nous avons prises ont permis de limiter au maximum les conséquences sur les collaborateurs et de mettre en place les conditions d'une réponse rapide.
Je vais vous parler maintenant des dispositions que nous avons prises. La première de mes préoccupations était, dès le début de la crise, de prendre immédiatement toutes les dispositions pour préserver la santé de nos collaborateurs. À chaque fois que cela était possible, en fonction du métier, nous avons mis en place le télétravail. Naturellement, cela n'a pas été possible pour certaines activités. Je pense particulièrement aux journalistes qui doivent se déplacer pour préparer les journaux télévisés, réaliser les reportages ainsi que les techniciens qui travaillent avec eux et doivent être présents physiquement pour assurer la maintenance du réseau pour la téléphonie ou pour TF1. Pour tous les collaborateurs, qui depuis quelques jours reviennent progressivement sur le lieu de travail, nous avons préparé des procédures sanitaires très complètes et mis à disposition gel hydroalcoolique, masques et thermomètres. Comme il était impossible d'acquérir en France des masques jusqu'à une date récente, nous nous sommes organisés pour en acheter en Asie. Les équipes achats de la filiale Bouygues Construction ont acheté au total 45 millions de masques pour les besoins de tous les collaborateurs du groupe. Nous avons fait preuve de solidarité en donnant un million de masques aux établissements de santé dès le début de la crise. Nous avons fait de même en Côte d'Ivoire, dont nous sommes un vieux partenaire. Nous avons ainsi offert au pays un million de masques pour l'aider dans la gestion de la crise. Par ailleurs, nous avons aussi mis à disposition de petits fournisseurs des masques, car ils peinaient à s'en procurer.
Confrontés à l'arrêt total de l'activité dans certains métiers, nous avons dû nous poser la question du chômage partiel. Sur ce sujet, nous avons pris deux décisions fortes. D'une part, contrairement à d'autres groupes, nous avons limité au maximum le nombre de collaborateurs concernés. Au pire de la crise, nous n'avons pas eu plus de 26 % des effectifs français du groupe en chômage partiel. L'essentiel des collaborateurs concernés étaient chez Colas, Bouygues Construction et Bouygues Immobilier en raison de l'arrêt total des chantiers. De 26 %, le taux de chômage partiel est tombé à 12 % dès le mois de mai. Il est de 0 % au mois de juin. D'autre part, nous avons pris la décision de neutraliser au maximum l'impact financier du chômage partiel pour les collaborateurs. Chez Bouygues Construction, Colas, TF1 et Bouygues Telecom, la perte de salaire due au chômage partiel du mois de mars a été intégralement compensée. Chez Bouygues Immobilier, le chômage partiel n'a commencé qu'en avril et la perte de rémunération a été compensée à 90 %.
L'important est maintenant d'accélérer le plus possible la reprise d'activité. Dans la construction par exemple, le problème n'est pas le carnet de commandes, qui est déjà très fourni, mais la nécessité de rattraper le retard accumulé pendant le confinement. Nous avons négocié très vite avec les partenaires sociaux un accord qui permet de réduire la longueur des vacances d'été, pour trois semaines consécutives maximum avec une recommandation à deux, d'accroître le nombre de jours pouvant être placés sur le compte épargne-temps et d'augmenter le nombre d'heures travaillées jusqu'au maximum légal. Dans des activités comme le BTP, qui sont fortement saisonnières, il faut absolument tirer le maximum de l'été pour tenter de rattraper une partie du retard pris pendant le confinement.
Que pensons-nous nécessaire pour la reprise de l'activité ? J'ai l'honneur de m'exprimer devant la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et je voudrais évidemment concentrer mes propos sur la question relative à la couverture mobile du territoire et à la 5G. Vous le savez, j'ai fait il y a quelques jours une proposition concernant la 5G et la couverture mobile du territoire en 4G. Je voudrais vous exprimer en quelques mots le sens de ces propositions. Mon raisonnement, simple, tient en plusieurs étapes. S'agissant de la première étape, j'affirme que retarder les enchères 5G de cinq ou six mois ne pose aucun problème pour la compétitivité de l'économie française. La 5G que les opérateurs vont déployer dans un premier temps n'aura pour seul intérêt que de permettre une éventuelle désaturation très locale des réseaux mobiles 4G lorsqu'ils sont saturés. Elle servira donc dans les grands centres urbains et de façon très ponctuelle. Elle permettra de rendre les communications plus fluides. Ce n'est qu'à partir de 2023 que la maturité progressive de la 5G et l'arrivée d'une seconde vague d'équipements permettront d'envisager de nouveaux usages, notamment industriels grâce à des débits plus élevés et à un faible taux de latence. Le gain pour la compétitivité sera alors réel, mais pas avant cette date. Le fait de conduire les enchères en décembre 2020 plutôt qu'en septembre ne me semble donc pas constituer un grand problème.
S'agissant de la deuxième étape, pour l'instant, un nombre croissant de Français exprime au mieux de l'indifférence, au pire de la méfiance pour la 5G. Nous entendons pour notre part beaucoup de discours négatifs à ce sujet. Ceux-ci reposent sur deux thèmes : l'impact environnemental et les effets sanitaires potentiels des ondes. Je crois qu'il est nécessaire de parler dans un débat public serein et éclairé avant de conduire les enchères. Je n'affirme pas cela pour gagner du temps, mais parce que j'estime qu'il est important de ne pas escamoter le débat public sur la technologie, qui me semble être légitime. Manifestement, le Gouvernement a considéré que ce débat ne devait pas avoir lieu. J'ai noté qu'avant même que je puisse m'exprimer devant vous aujourd'hui, la secrétaire d'État a exprimé dans une interview samedi que les enchères auraient lieu en septembre et qu'il était hors de question d'ouvrir une discussion. Cet empressement est un peu curieux ; je n'ai pas la même conception du débat démocratique. Quoi qu'il en soit, jusqu'à preuve du contraire, c'est à l'Arcep que revient la décision, et je considère que le Parlement a également le droit à l'information.
S'agissant de la troisième étape, je constate que les Français restent globalement insatisfaits par la couverture du territoire en 4G, qui reste insuffisante. Les opérateurs ont beaucoup déployé dans les zones blanches - et je considère que le New Deal est un instrument utile et efficace - mais manifestement, il reste à faire. Je pense d'ailleurs que le confinement n'a fait qu'accentuer ce besoin, puisque les Français se sont trouvés confinés dans des zones qui ne sont pas des zones principales. Ils en ont parfois souffert. Il faut donc selon moi aller plus loin et plus vite. C'est pourquoi je propose que les opérateurs construisent 1 500 ou 2 000 sites mutualisés supplémentaires dans les prochaines années, en sus de ceux qui ont déjà été construits dans le cadre du New Deal. Nous pourrions nous mettre d'accord sous l'égide de l'Arcep sur la meilleure façon de réaliser ce programme. C'est la raison pour laquelle nous proposons de repousser les enchères de quelques mois, pour avoir le temps de renégocier un accord global. Les quelques centaines de millions nécessaires à cet investissement nouveau seraient évidemment à prendre en considération sur le montant des redevances payées au titre des fréquences 5G. C'est un système simple, efficace, financé et qui se propose de répondre à la demande des territoires. Apparemment, le Gouvernement pense que ce n'est pas nécessaire, et Bercy, par la voie de Madame Pannier-Runacher, l'a rejeté ; j'en prends acte.
Comme nous l'avons toujours dit, Bouygues Telecom se portera acquéreur de fréquences 5G, même si les enchères ont lieu au mois de septembre. En revanche, il doit être clair pour tout le monde que, si par hasard, il venait à l'idée des pouvoirs publics, après que les enchères auront eu lieu, de demander aux opérateurs de consentir un effort supplémentaire pour la couverture numérique du territoire dans le cadre d'un nouveau programme « zones blanches », supposant des investissements, notre réponse sera nécessairement assez réservée. Nous saurons alors rappeler à la ministre ou son successeur qu'il existait un levier pour améliorer efficacement la situation.
Je me tiens, avec mes collaborateurs, à votre disposition pour répondre à vos questions.
Merci beaucoup. Je vais d'abord donner la parole aux référents de la commission sur les problématiques d'aménagement numérique du territoire.
Je voudrais réagir à ce que vous venez dire. Certains de vos arguments sont les miens, mais je pense que nous avons sûrement des divergences d'analyse, et en tout cas de programmation.
Monsieur Viel, directeur général de Bouygues Telecom, a récemment annoncé dans les Échos que le nouveau New Deal, que vous appelez de vos voeux, pourrait être gagé par un ajustement des conditions de délivrance des fréquences 5G. « Si ce « New Deal 2 » permet de dépenser un peu moins sur la 5G, et un peu plus sur la 4G, cela vaut le coup », affirme-t-il. Pour « moins dépenser sur la 5G », il y a deux solutions : soit l'État réduit le prix plancher fixé pour les enchères, soit le cahier des charges fixant vos obligations de couverture est assoupli. Quelle solution privilégiez-vous ?
Si le cahier des charges fixé par l'Arcep est assoupli, nous savons très bien ce que cela signifie, à savoir des ambitions de couverture 5G moindres dans les territoires. Monsieur Bouygues, l'ajustement des conditions de délivrance des fréquences 5G consiste-t-il à renoncer au déploiement de la 5G dans les territoires peu denses ? D'après vous, le prix à payer pour la « 4G des champs » doit-il être de circonscrire la 5G à la ville ? Je ne partage évidemment pas ce point de vue. Les enjeux du déploiement de la 4G et de la 5G doivent être dissociés. Vous vous êtes déjà engagé - moyennant un effort financier de l'État - à garantir une couverture 4G sur l'ensemble du territoire via le New Deal, que ce soit par la généralisation de la 4G sur les sites existants ou par le dispositif de couverture ciblée.
Concernant le dispositif de couverture ciblée, je constate que les déploiements n'ont pas été totalement arrêtés et que des pylônes ont continué à être érigés pendant la période de confinement. Nous pouvons nous en réjouir et remercier les équipes de terrain pour le travail effectué. Malgré ces efforts, il est certain que la crise sanitaire a ralenti les déploiements. Il y aura sans aucun doute des retards - ce qui est parfaitement compréhensible. Je rappelle cependant que des doutes avaient été émis, avant même le début du confinement, quant au respect de ces échéances. Seuls les retards strictement justifiés par la crise sanitaire seront donc tolérés par l'État ; c'est ce qu'a rappelé, il y a quelques jours, Julien Denormandie, devant notre commission. Le ministre nous a également affirmé que les opérateurs devront être extrêmement transparents et devront présenter très rapidement un état des lieux d'avancement du New Deal. Combien de sites du dispositif de couverture ciblée serez-vous en mesure de livrer fin juin ? Parmi les retards qui seront constatés, combien sont strictement justifiés par la crise sanitaire et la période de confinement ?
Vous nous avez parlé des premiers chiffres sur la perte de chiffre d'affaires pour les trois premiers mois. Disposez-vous d'une projection pour l'ensemble de l'année 2020 ? Certains mois seront malheureusement beaucoup plus pénalisants que les trois premiers de l'année.
Ma question s'inscrit dans le prolongement de ce qui a été dit, notamment au sujet de la 5G. Notre commission s'intéresse beaucoup à l'impact environnemental du numérique. Nous avons créé une mission d'information portant sur ce sujet. Le numérique a été un facteur de croissance mais aussi, pendant cette crise, un vecteur de résilience. Nous l'avons vu, il a permis la continuité de l'activité économique et éducative, parfois également en termes de santé et de lien social. Cependant, il a aussi un impact environnemental, à la fois sur la consommation énergétique liée au trafic sur les réseaux et sur la fabrication et l'utilisation des équipements. Avez-vous conduit une étude sur l'impact environnemental que pourrait avoir la 5G ? Nous savons que les constats sont contrastés. Certains nous affirment qu'elle permettra des économies d'énergie, qui pourraient cependant être compensées par l'accroissement des usages et le renouvellement des smartphones. Quelle est votre opinion sur ce point ?
La loi qui vise à sécuriser les futurs réseaux 5G vous oblige à obtenir une autorisation de l'ANSSI pour être en mesure d'utiliser les équipements 5G des fournisseurs avec lesquels vous souhaitez travailler. Où en êtes-vous de vos demandes d'autorisation auprès de l'ANSSI ? Avez-vous reçu une réponse ? Pouvez-vous nous éclairer sur ce sujet ?
Je rappelle que la commission organise, le 1er juillet, une table ronde à laquelle les opérateurs participeront, sur l'impact environnemental et sanitaire du de la 5G.
De nombreux sujets pourraient être abordés sur vos activités en BTP, à l'international ou sur la couverture mobile du territoire en 4G, mais je vais limiter mes questions au sujet de la 5G.
Conformément aux dispositions de la loi sur la sécurité des réseaux 5G votée en août 2019, vous avez saisi l'ANSSI d'une demande d'autorisation d'exploitation des équipements du Chinois Huawei. La réponse de l'ANSSI n'a toujours pas été publiée. En février dernier, vous aviez prévenu que vous ne toléreriez pas « d'impact financier négatif » ni de « désavantage concurrentiel » qui découleraient d'une interdiction totale ou partielle de Huawei. Didier Casas, le secrétaire général de Bouygues Telecom, avait confirmé que vous vous réserviez toutes les possibilités pour protéger vos droits, par exemple via un recours juridique contre les décrets d'application de la loi de 2019. Maintenez-vous cette position ? Ne pensez-vous pas que la donne a changé avec la crise sanitaire ? Ainsi, le Royaume-Uni, qui avait un temps donné son feu vert, sous condition, à Huawei, pourrait « réduire à zéro » sa participation dans les infrastructures 5G d'ici 2023, selon les informations relayées il y a quelques semaines par la presse britannique. La méfiance vis-à-vis de la Chine, accusée d'avoir manqué de transparence dans sa gestion de la crise du Covid-19, ne pourrait-elle pas avoir raison de l'accès de Huawei au réseau 5G européen ?
J'aimerais également aborder la question des impacts sanitaires et environnementaux de la 5G. Cela a été dit : la dégradation de pylônes et la circulation de thèses complotistes associant 5G et Covid-19 attestent d'un climat de défiance croissant contre cette technologie. Les travaux de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) pourraient contribuer à rationaliser le débat. Je rappelle qu'un rapport préliminaire a été publié il y a quelques mois et qu'un rapport final est attendu pour le début de l'année 2021. L'Anses nous a déjà fait savoir que ses chercheurs avaient des difficultés à accéder à certaines données détenues par les opérateurs. L'agence reconnait que les opérateurs « ont répondu à certaines de ses questions », mais que les « zones d'ombre » qui demeurent vont requérir une plus grande coopération des opérateurs. Nous vous appelons donc, Monsieur Bouygues, à accéder aux demandes de l'Anses, dont les travaux seront indispensables à un déploiement apaisé de la 5G dans notre pays.
Enfin, votre groupe réfléchit-il à des solutions concrètes pour limiter les impacts environnementaux du numérique, et en particulier des réseaux ? Certaines pistes concrètes pourraient être étudiées, concernant par exemple les box internet, dont vous êtes propriétaires. Ne faudrait-il pas, par exemple, systématiser les technologies de mise en veille automatique des box ou réfléchir à une meilleure mutualisation des équipements dans les habitats collectifs ? Par ailleurs, la généralisation de la 4G et l'arrivée de la 5G ne devraient-elles pas vous pousser à planifier l'extinction progressive des anciennes générations mobiles ?
Je souhaiterais rappeler que tout ce que les opérateurs dépensent en termes d'investissements - achats de fréquences, équipements - est payé in fine par les consommateurs. Nous parlons en l'occurrence de sommes relativement importantes.
Vous avez un certain nombre de questions sur le respect du New Deal et le débat de l'articulation entre la 4G et la 5G. Je vais laisser Olivier Roussat, qui est le président-directeur général de Bouygues Telecom, et Didier Casas vous répondre.
Bien évidemment, mon propos correspondra aux propos tenus par Monsieur Bouygues dans l'article que vous mentionniez. Si nous souhaitons favoriser la couverture du territoire et rajouter des sites supplémentaires en zone blanche pour apporter la couverture 4G, nous ne demandons pas un ralentissement de déploiement de la 5G. Certaines zones non couvertes sont apparues comme assez critiques au cours de cette période. Il nous semble dès lors nécessaire d'ajouter quelques milliers de sites en zone blanche et de défalquer le coût de ces sites supplémentaires du socle prévu en début d'année pour les enchères 5G. Nous ne remettons absolument pas en cause le rythme et les conditions de déploiement 5G tels qu'ils sont exprimés dans le cahier des charges publié en début d'année par l'Arcep. Nous ne souhaitons pas du tout avoir une 4G des campagnes et une 5G des villes. Nous devons en revanche renforcer la couverture du territoire. À cette fin, nous estimons que le nombre de sites 4G supplémentaires s'exprime probablement en milliers. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité décaler les enchères 5G : nous souhaitons déduire le coût du New Deal 2 des enchères 5G. Je rappelle qu'à date, nous n'avons rien payé, puisque le paiement effectif des 50 Mhz déjà acquis ne se concrétisera qu'à compter du déroulement des enchères, donc dans plusieurs mois.
Pour répondre à la première question, très clairement, nous ne souhaitons pas remettre en cause le rythme et les conditions de déploiement des sites 5G mais augmenter le nombre de sites disponibles en zones blanches. Je vous rappelle également que notre obligation est de faire passer 75 % des sites du programme « zones blanches » en 4G avant la fin de cette année. Nous serons à plus de 80 %. De même, nous ne pouvons prétendre dans une tribune qu'il est nécessaire d'offrir davantage de couverture, sans respecter nos engagements en faisant basculer l'ensemble nos sites en 4G, comme le prévoit le New Deal. Nous estimons que les Français doivent pouvoir accéder à internet, car nous avons vu, pendant la phase de confinement, qu'un problème d'accès à internet empêchait d'accéder au télétravail ou à la télémédecine. Un sujet aussi simple que la télémédecine ne se posait pas avant le confinement, alors qu'il est devenu la norme après. Les habitudes qui ont été prises pendant le confinement nous semblent, pour un certain nombre d'entre elles, durables, et nous devons offrir davantage de connectivité pour y parvenir. Il existe un mode de financement assez simple ; discutons pendant quelques semaines de l'enveloppe supplémentaire et des méthodes qui permettront de l'attribuer, département par département. Il s'agit d'être cohérent avec la réponse proposée par Monsieur Bouygues.
Le deuxième sujet est l'impact environnemental. Cet argument est utilisé très fréquemment, pour expliquer que la 5G consomme moins que la 4G. La 5G permet, lorsque l'on transporte des données, de le faire avec moins d'énergie. En revanche, elle augmente considérablement les débits et permet donc un usage beaucoup plus important, donc de transporter davantage de données, ce qui est beaucoup plus consommateur. Il est donc erroné d'affirmer que la 5G permettra des efforts en matière d'énergie. Après la première année de déploiement, la consommation énergétique de tous les opérateurs affichera une augmentation importante.
Nous avons pris l'engagement de communiquer à la fin de cette année, pour tous les métiers, au sujet de notre plan d'action pour être conformes à l'accord de Paris et réduire nos émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030. En ce qui concerne Bouygues Telecom, nous savons que notre consommation d'énergie a quoi qu'il en soit vocation à augmenter. En effet, lorsque nous confions une capacité d'usage supérieure à nos clients, ceux-ci l'utilisent.
En ce qui concerne l'impact environnemental des box, nous avons conscience de la nécessité de réduire le nombre d'équipements électroniques consommateurs. Nous venons de loger dans les téléviseurs un logiciel qui permet de supprimer la box. Nous prenons ce type de chemin pour aller dans le sens que vous évoquiez, et nous réglons de surcroît le problème de la mise en veille.
Concernant le dispositif ciblé, nous avions prévu trois points de passage. Nous devions produire 101 sites le 27 juin. En l'occurrence, nous livrerons 70 sites, dont 30 utiliseront des groupes électrogènes, puisqu'Enedis n'a pas été en mesure de mettre à notre disposition l'alimentation électrique nécessaire. Lors de la négociation du New Deal, nous avions insisté sur un point auprès de l'Arcep : le montage des pylônes est notre métier. En revanche, l'acheminement électrique par les syndicats d'électrification est complexe en raison de l'éloignement de l'emplacement qui nous est attribué. Je rappelle que les groupes électrogènes sont des moteurs thermiques qui tournent à longueur de journée. Les 31 sites manquants seront livrés dans les trois mois à venir. Sur le basculement des sites « zones blanches » en 4G, notre engagement passera de 75 à 80 % en tant que seuil minimal.
En outre, Bouygues Telecom emploie 7 000 personnes et assure le même métier qu'une entreprise comme Orange, qui en emploie 80 000. Par conséquent, nous sous-traitons un certain nombre de tâches. Or certaines de ces entreprises n'ont pas travaillé pendant le confinement, notamment pour se conformer au protocole sanitaire utilisé par les sociétés de construction. Nous avons donc perdu du temps. Nous rattraperons une partie de ce retard. À l'heure actuelle, nous ne sommes toujours pas revenus à la normale. Deux facteurs nous pénalisent grandement : l'indice de masse corporelle - qui, à partir de 30, représente un facteur de comorbidité - et l'école. Dans nos activités de promotion immobilière, seuls 85 % des collaborateurs sont présents sur les chantiers. La règle de 4 m² entre chaque collaborateur, par ailleurs, divise par deux les effectifs.
Tous les retards ne sont dus à l'épidémie de Covid-19. Un point m'interpelle dans vos propos : le New Deal était supposé régler le problème global de la couverture du territoire en téléphonie mobile, selon les pouvoirs publics. Il nous semble donc surprenant que vous cherchiez à compléter un dispositif supposé être complet.
J'ai été président d'une compagnie de distribution d'eau. À ma connaissance, pour l'eau potable, les législations ont plus d'un siècle. Pour autant, tout le monde ne bénéficie pas d'un raccordement.
Quelques maisons n'ont pas l'eau en France, mais nous sommes encore loin d'avoir le même niveau de déploiement en matière de téléphonie mobile.
Le Président de la République, lors de son élection, a annoncé que la question de la téléphonie mobile serait réglée « dans les deux à trois ans ». Cette période est écoulée. Le New Deal a ensuite été mis en place, et il nous a été dit qu'il permettrait de couvrir la totalité du territoire en téléphonie mobile. Vous en faites une analyse différente.
Je souhaiterais apporter quelques informations très factuelles.
Le New Deal mobile, tel qu'il a été négocié en 2018, s'étend sur de longues années. Il est exact qu'il a été présenté comme devant permettre la couverture de l'ensemble du territoire. Nous constatons aujourd'hui que dans le principal chantier du New Deal mobile, qui est le dispositif de couverture ciblée, quand l'arrêté ministériel a prévu huit pylônes dans un département comme l'Eure, les collectivités jugent ce nombre insuffisant pour l'intégralité des zones qu'elles souhaitent couvrir. Dans un certain nombre de zones, les équipes projets locales font donc part d'un nombre de sites insuffisant pour répondre aux besoins. Nous proposons de créer un système pour y répondre.
S'agissant du New Deal et du retard supposé dans lequel nous aurions pu nous trouver avant le confinement et a fortiori aujourd'hui, sur le lot 1 du dispositif de couverture ciblé, nous devions initialement réaliser 108 sites, retenus par arrêté ministériel, dont nous défalquons six sites qui devaient être retirés par un arrêté modifié. Sur ce nombre, avant le début de l'épidémie de Covid, Bouygues Telecom avait déclaré qu'il ouvrirait au 27 juin ces 101 ou 102 sites. L'entreprise n'avait alors aucun retard. L'Arcep nous a depuis demandé de justifier, site par site, le retard éventuel. Cependant, Bouygues Telecom n'est pas plus en retard que les autres opérateurs s'agissant du dispositif de couverture ciblée, à l'exception d'Orange, qui est beaucoup moins dépendante de la sous-traitance donc moins impactée par le Covid.
Vous avez proposé le report des enchères 5G. Votre directeur général a expliqué cette proposition par la volonté de déployer plus largement la 4G en zone rurale, pour ajouter 20 à 30 % de pylônes mobiles en sus des 5 000 que chaque opérateur doit installer dans le cadre du New Deal actuel. Qu'en est-il de cette proposition d'un point de vue opérationnel ? Comment ce déploiement de 20 ou 30 % supplémentaire se déroulerait-il ? D'un point de vue territorial, les collectivités, élus et associations perçoivent-ils favorablement cette opération ?
Sur le sujet de la souveraineté, le recours à Huawei n'est pas sans poser des questions. Il me semble primordial que les opérateurs restent maîtres de leur réseau. Quelle place Huawei occuperait-il en réalité dans le développement de la 5G ? Pouvez-vous nous donner davantage d'informations sur les assurances que vous avez obtenues de la part du constructeur chinois ?
Vous avez évoqué le report de l'attribution de la 5G, qui n'est pas une priorité dans le contexte actuel. Je ne vous sens pas convaincus par l'intérêt général de la 5G. Je souhaiterais disposer de votre ressenti sur cette question. Par ailleurs, certains forfaits seront prochainement proposés, intégrant la 5G. Seront-ils remis en cause ? Qu'apporteront-ils de plus aux clients ?
À en croire votre introduction, les interrogations sur l'impact sanitaire de la 5G seraient presque vos alliées dans la période, puisque l'Anses a émis un avis préliminaire en janvier 2020, jugeant pour l'instant impossible de déterminer les effets sanitaires des ondes émises par la 5G, notamment pour les nouvelles fréquences en 3,5 GHz et 26 GHz. Comment vous saisissez-vous de cette question ? Je souhaite également souligner qu'un certain nombre de programmes pour le second tour des élections municipales comprennent des moratoires sur le déploiement de la 5G. Collaborez-vous avec l'Anses sur des données à votre disposition ? Ne faudrait-il pas répondre à ces interrogations avant d'engager les enchères et le déploiement de la 5G ?
Vous accusez un retard plus important que d'autres opérateurs sur l'ouverture des sites dans le cadre du dispositif de couverture ciblée du New Deal. Avez-vous des explications à nous fournir sur le sujet ?
Concernant l'intérêt de la 5G, il est erroné d'affirmer qu'elle permettra un bond économique à la suite du Covid et qu'elle sauvera l'économie de la France, comme dans une des tribunes publiées par le Figaro ce week-end. La 5G, techniquement, a la particularité d'être déployée en deux versions. La première, la Release 15, consiste en une forme de 4G améliorée. La seconde, la Release 16, est très différente. Les usages qui révolutionneront l'industrie ont trait à la Release 16, dont la normalisation n'est pas terminée. En moyenne, il s'écoule entre deux et trois ans entre la normalisation et la réalité de service. C'est la raison pour laquelle nous affirmons que tous les services qui révolutionneront l'industrie n'arriveront pas avant 2023 en France, puisque l'architecture qui les sous-tend n'est pas normalisée.
Plus précisément, la 5G apporte deux éléments : d'abord, pour les clients, le fait de voir apparaître un 5 au lieu du 4, que le client jugera plus efficace par réflexe. En revanche, elle ne changera rien au quotidien du consommateur entre aujourd'hui et 2023. La rapidité, en effet, ne sera pas réellement perceptible. Le véritable apport de la 5G, pour lequel les opérateurs ont tout intérêt à l'installer dans les zones urbaines, réside dans la possibilité d'écouler plus facilement le trafic, à un prix inférieur de moitié au prix de revient précédent. Il s'agit d'un intérêt opérateur, qui n'est absolument pas perçu par le consommateur final. S'il est logique que des équipementiers comme Ericsson encouragent à acheter des produits au plus vite, nous ne serons pas en retard pour la révolution qui aura lieu en 2023 si les enchères ont lieu en décembre. Tous les opérateurs commencent à installer les antennes 5G. Nous accomplissons ce travail, et n'avons pas l'intention de le ralentir parce que les enchères sont décalées au mois de décembre. La France ne prend donc pas de retard et est alignée avec les autres pays européens pour être en mesure de mettre en oeuvre la 5G lorsqu'elle apportera une véritable différenciation. Par ailleurs, aucun iPhone ne prend aujourd'hui en charge la 5G. Les propriétaires de téléphones Apple devront donc changer de téléphone.
En conclusion, la véritable urgence réside dans le déploiement de la 4G. Nous serons ainsi en avance sur la migration 4G qui nous a été demandée en zones blanches.
La priorité doit être donnée à la couverture mobile, particulièrement pour les territoires ruraux.
Comme vous l'avez indiqué, l'Anses a été missionnée par le gouvernement pour réaliser une étude sur les effets possibles des ondes des fréquences 3,5 et 26 GHz sur la santé. Elle a proposé une première déclaration d'ordre méthodologique, dans lequel elle a précisé son calendrier. Les résultats de son étude, qui sera une forme de résumé de l'intégralité de la littérature scientifique dans le monde sur ces sujets, devraient intervenir au cours du premier semestre de l'année 2021. Nous sommes évidemment à la disposition de l'Anses pour lui fournir les éléments dont elle aurait besoin. Je n'ai pas connaissance d'un cas contraire.
En France, contrairement à d'autres pays, l'État demande d'abord aux opérateurs de payer 2 à 3 milliards d'euros pour acheter les fréquences, puis à l'Anses de se prononcer sur leur innocuité. Il serait plus logique de procéder en sens inverse.
Concernant l'ANSSI et Huawei, la loi a été votée. Le 26 décembre 2019, nous avons adressé à l'ANSSI un certain nombre de demandes d'autorisations pour l'intégralité de nos équipementiers, dont Ericsson. À l'heure actuelle, l'ANSSI n'a pas communiqué de réponse. Les délais ne sont pas écoulés, et ont été étendus à la suite du Covid. Nous attendons avec confiance ces décisions. Si des décisions devaient intervenir du fait de l'État, demandant à un opérateur de ne plus utiliser un équipement donné, nous la respecterions parfaitement compte tenu des enjeux de sécurité nationale. Nous estimons cependant qu'il serait légitime qu'une entreprise dont l'économie se trouverait bouleversée par cette décision de l'État puisse se retourner vers lui. Une décision du Conseil d'État, concernant la société La Fleurette, a posé le principe selon lequel lorsque l'État pose une interdiction de nature à bouleverser l'économie d'une entreprise, celle-ci est fondée à engager la responsabilité de l'État. Aux États-Unis, le Président Trump a banni Huawei en tant qu'équipementier et un fonds d'indemnisation d'un milliard de dollars a eu vocation à aider les opérateurs locaux à migrer leurs équipements. Cette approche semble raisonnable.
Les produits Huawei ne sont pas bon marché. Huawei a un an à un an et demi d'avance sur Ericsson et deux ans d'avance sur Nokia. En effet, il dispose d'une R&D environ quatre fois plus forte que celle de ses concurrents. Il lui est donc plus facile de proposer des innovations logicielles. Par conséquent, Huawei est aujourd'hui un équipementier cher.
Le problème que nous avons ne concerne pas la 5G mais la 4G. Il n'est pas possible d'installer un équipement 5G d'Ericsson ou Nokia au côté d'un équipement 4G de Huawei. En effet, il est nécessaire de disposer d'un même fournisseur sur les équipements 4G et 5G. En interdisant une 5G Huawei, l'opérateur doit démonter tous ses équipements 2G, 3G et 4G. Il n'est possible d'équiper une 5G Nokia au côté d'une 4G Huawei qu'avec un échange de logiciel, que Huawei doit fournir à Nokia.
Nous avons demandé à Nokia et Ericsson de nous écrire à ce sujet. Cette solution n'est technologiquement pas possible.
J'ajouterai que le démontage des équipements 2G, 3G ou 4G présente à la fois un coût très important et un délai d'exécution très long. Même dans un pylône existant, le changement d'équipement demande un certain temps.
Nous sommes dans un univers très réglementé. Tout ce que nous avons fait, nous l'avons fait sous le contrôle de l'autorité administrative. Je ne vois aucun inconvénient à ce que l'État change d'opinion. Il doit néanmoins en assumer les conséquences.
Merci de votre présence et de vos réponses apportées aux différentes questions. Je rappelle que, mercredi 24 juin, l'étude commandée à un organisme indépendant sur l'impact carbone du numérique à l'échelle nationale nous sera présentée. Nous aurons également la présentation du rapport et des propositions de la mission d'information sur l'empreinte environnementale du numérique. Mercredi 1er juillet, nous tiendrons en commission une table ronde sur les impacts sanitaires et environnementaux de la 5G.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 40.