Je vous remercie pour vos questions.
Les sujets de biodiversité sont d'une importance croissante. Nous les avons regroupés avec les sujets agricoles et territoriaux, au sein d'un département de l'Agence que dirige Gilles Kleitz, ancien directeur du parc national de Guyane, qui fait très bien le lien entre les enjeux territoriaux de biodiversité dans notre propre pays et les actions que nous pouvons conduire. J'ai visité l'an dernier un parc national que nous soutenons en Chine et qui fait des émules dans d'autres provinces chinoises. Nous passons d'un « 100 % Accord de Paris » à un « 100 % Planète ». Nous accompagnons le Gouvernement dans ses discussions pour préparer la prochaine COP15, en apportant des exemples de projets évalués. Nous tenons à votre disposition de nombreuses évaluations sur ces sujets qui peuvent être utiles dans le cadre des négociations internationales et pour l'intégration des sujets de biodiversité au même niveau que les sujets climatiques. Nous avons même proposé - et c'est un engagement que l'Agence a pris - d'articuler nos financements pour la biodiversité avec nos financements pour le climat jusque dans nos méthodologies. Nous n'opposons pas finance et cobénéfices Climat à finance et cobénéfices biodiversité, avec des cibles et des méthodologies qui seraient différentes. Nous avons proposé que 30 % de nos financements Climat soient fondés sur la nature, contre 15 % actuellement. Nos financements doivent donc être doublés et passer à 1,5 ou 2 milliards d'euros à horizon 2025. J'ai parlé de la Chine et je pourrais aussi vous parler des actions que nous soutenons sur l'eau à Mayotte, puisque c'est un énorme problème. Nous intervenons aussi sur les sujets d'aires protégées et de conservation. Dans le cadre de notre accord de conversion de dettes avec le Gabon, nous avons des projets qui mettent un accent particulier sur la criminalité faunique et le commerce d'ivoire. La lutte contre le braconnage, la politique publique gabonaise et la connaissance des populations d'éléphants constituent un exemple de la politique que nous menons pour 10 millions d'euros d'investissement. Nous continuons ces actions en faveur des aires protégées et de la conservation, notamment sur les questions de déforestation, pour initier un dialogue avec les acteurs privés afin qu'ils adoptent des engagements internationaux et qu'ils respectent les objectifs au-delà de la seule préservation.
Monsieur Houllegatte, vous avez posé plusieurs questions sur notre nature financière. Je considère qu'il convient d'avoir les instruments de la politique qui est définie. Historiquement, pendant une dizaine d'années, l'Agence a souffert de montants de crédits budgétaires insuffisants et elle a donc sous-investi dans les secteurs sociaux. Elle a fait travailler son bilan, ce qui diversifie le risque et renforce la robustesse du modèle financier, ce qui est utile dans le dialogue avec les grands émergents, via des projets utiles, ensuite répliqués. Nous avons pris une belle place dans les prêts aux pays émergents. Nous gagnons de l'argent d'ailleurs en Chine. Les Chinois investissent dans l'AFD, en achetant nos obligations, pourtant rémunérées à un taux très bas, et l'AFD prête de l'argent en Chine, à un taux bien plus élevé qui paie une partie des charges de l'Agence. Les Chinois procèdent ainsi pour avoir accès à une expertise, à une pratique et à des élus qui viennent échanger sur les solutions de développement durable. La dernière fois que j'étais en Chine, dans le grand bassin houiller chinois où de nombreuses mines ferment, le maire de la ville qui comprend la plus grande mine de charbon d'Asie était présent, alors que le gouvernement central a décidé de fermer la mine. Ce maire est donc confronté à un problème environnemental de reconversion et à un problème social puisque de nombreux habitants vivent de la mine. Ce maire m'a montré un PowerPoint avec une photo que j'ai reconnue, photo de Loos-en-Gohelle, dans les Hauts-de-France, ville pilote en matière de développement durable. J'ai été fasciné par le fait qu'un maire, en Chine, se tourne vers l'AFD, sachant que la Chine était prête à financer ce lien avec la France pour accéder à notre pacte charbonnier et savoir comment nous avions procédé pour reconvertir ces territoires et ces salariés, il y a maintenant 25 ans, en 1994. Notre activité dans les pays émergents est utile pour notre pays, son influence et les négociations internationales, mais aussi pour le développement durable de la Chine, du Mexique et des grands émergents... Nous restons modestes, puisque nous faisons des projets pilotes et des expérimentations.
Je défends cette activité dans les pays émergents, mais nous sommes très heureux et redevables d'avoir plus de moyens budgétaires, pour baisser les taux de nos prêts, dans les pays africains ou plus pauvres qui peuvent emprunter. Il est important que des pays s'endettent, comme nous le faisons actuellement pour faire face à la crise, sans tomber dans l'insolvabilité. Il convient de disposer de l'instrument financier adapté à la situation du pays. Il peut s'agir de prêts relativement chers pour les grands émergents ou de prêts à taux quasiment nuls pour des pays qui ont la capacité de s'endetter et doivent financer leurs investissements durables. Il peut aussi s'agir de dons et de subventions, dans des pays beaucoup plus pauvres ou dans des secteurs sociaux. Il est primordial de disposer de la panoplie complète des instruments, avec des garanties. À l'instar de l'État qui accompagne les entreprises françaises à passer la crise de liquidités, nous devons procéder de même auprès des clients de la filiale de l'AFD, Proparco, qui finance des entreprises privées dans les pays du Sud, en les amenant sur les bons investissements. Cette garantie doit s'accompagner d'un dialogue pour ne pas financer une relance qui serait néfaste aux équilibres environnementaux et sociaux.
Il convient de procéder ainsi tout en gardant un modèle d'affaires soutenable, sachant que l'AFD n'est pas subventionnée : les crédits que vous votez dans le budget sont alloués à nos partenaires dans les territoires où l'AFD intervient, sous forme de dons ou de bonifications de prêts, et la rémunération de son activité paie les charges de l'AFD. L'AFD n'est pas en perte, même s'il faudra voir quel sera son résultat cette année, puisque la crise augmente le coût du risque et des provisions et réduit ainsi le résultat net. Chaque année, l'AFD dégage toutefois un résultat compris entre 100 et 200 millions d'euros et verse chaque année - sauf cette année à cause de la crise - un dividende à son actionnaire unique qu'est l'État français. Cette discipline est bonne puisque nous nous efforçons de dégager un résultat et rémunérons l'État. Dans notre contrat avec l'État, le payout est de 20 % chaque année. Ceci nous impose une discipline. L'AFD est par ailleurs une institution financière, sous le contrôle de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et de la Banque de France qui vérifient que l'AFD maîtrise ses risques.
La gouvernance de l'AFD comprend trois tutelles juridiques : le ministère de l'Europe et des affaires étrangères, le ministère de l'économie et des finances et le ministère des Outre-mer. Le ministère de la Transition écologique et solidaire est néanmoins représenté au conseil d'administration de l'AFD par une personnalité qualifiée, Mme Chantal Jouanno, qui porte fortement cette voix, outre Laurence Tubiana, présidente du conseil d'administration de l'AFD, et les autres administrateurs. Le conseil d'administration est très attentif aux sujets qui vous préoccupent.
Madame de Cidrac, l'engagement du Président de la République et la politique du gouvernement sur l'égalité femmes-hommes sont un objectif fort pour notre Agence. L'engagement de 120 millions d'euros pour les ONG féministes du Sud sera mis en oeuvre sur plusieurs années. Je pense que nous dégagerons 40 millions d'euros cette année : l'appel à projets paraîtra bientôt. Il s'agit de subventions et de capacités financières d'appui de la société civile qui sont significatives. Nous menons des actions très diverses en matière d'égalité femmes-hommes. Notre premier prêt en Albanie est un prêt budgétaire sur les questions de genre. Au Maroc, nous avons mené un programme de budgétisation sensible au genre : le ministère des finances marocain, dans son dialogue avec chaque ministère sectoriel, cherche maintenant systématiquement à intégrer des objectifs d'égalité femmes-hommes dans toutes les politiques publiques marocaines. Le prêt budgétaire au Royaume du Maroc comprend toute une méthodologie. Je ne suis pas certain que nous l'ayons nous-mêmes en France. Nous expérimentons avec nos collègues marocains quelque chose qui peut donc nous inspirer. Nous menons des actions sur le genre. À Kochi, en Inde, nous avons financé un métro aérien avec des exigences en matière d'égalité : il y aura des conductrices de train. Plus de la moitié des salariés sont des femmes. Une offre de She taxi est proposée, à la sortie du train, avec un taxi mobylette genré, qui veille à éviter des violences, importantes en Inde à l'égard des femmes. Des règles prévalent dans les voitures. Cette expérience est très intéressante. Je vous cite un autre exemple, dans le secteur financier : dans les banques publiques de développement, nous avons octroyé une ligne de crédit à TSKB, banque de développement turque, pour les PME turques, ligne qui ne peut être débloquée que si l'entreprise a mis en place une politique crédible en faveur de la parité, vérifiée par la banque comme condition du financement octroyé.
Monsieur Gontard, avec le programme Santé en commun, l'AFD a doublé de taille, avec votre confiance, en cinq ans. Quand je suis arrivé à la tête de l'AFD, celle-ci réalisait entre 7 et 8 milliards d'euros de financement par an. En 2019, l'AFD a engagé tous ses crédits, avec 14 milliards d'euros d'engagements ou de projets approuvés par notre conseil d'administration, contre 50 à 60 milliards d'euros pour la Banque mondiale chaque année. La France dispose donc d'un instrument financier qui représente le quart ou le cinquième de la Banque mondiale. Nous pourrions avoir une taille encore un peu plus importante, y compris pour la robustesse de notre modèle financier, mais nous avons une taille critique qui nous permet d'intervenir dans de nombreux débats et cofinancements et de porter l'influence et l'expérience de notre pays pour faire ensuite les connexions utiles avec les acteurs français. Nous avons alloué une enveloppe de 1,2 milliard d'euros pour le programme Santé en commun, réponse sanitaire et de protection sociale ciblée sur l'Afrique et le Proche-Orient, sévèrement touchés par cette crise. Nous n'avons tout de même pas mis tous nos oeufs dans la réponse sanitaire puisque la crise en Afrique est surtout économique et sociale tout en restant environnementale. Dans certains pays, nous ferons des dons, mais nous appuierons aussi les politiques publiques de santé face au Covid-19 avec des prêts, dans certains pays, tout en étant attentifs à ne pas faire basculer ces pays dans le surendettement. Le ministère des finances y veille. Nous basculons vers d'autres instruments si nécessaire.
Je pourrai vous envoyer une fiche sur notre activité dans les Balkans.