Intervention de Rémy Rioux

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 10 juin 2020 à 9h30
Audition de M. Rémy Rioux directeur général de l'agence française de développement afd

Rémy Rioux, directeur général de l'Agence française de développement :

Monsieur Dantec, je crois que l'Europe se situe effectivement à un moment particulier. Depuis longtemps, nous n'avions pas eu une signature aussi forte que l'European New Green Deal. Ces dernières années, n'existaient au plan international que les routes de la soie, comme vision et comme projet. Nous nous positionnons par rapport aux routes de la soie, en parlant de routes de la soie vertes ou de connectivité, en réaction. Nous assistons actuellement à l'affirmation d'une identité, d'un plan d'investissement, ce qui n'est pas facile face à la crise profonde. Ce point a retenu l'attention du monde. Quand j'ai débuté ma carrière sur ces sujets il y a une vingtaine d'années, la construction européenne était quelque chose de puissant. Dans un moment où les constructions régionales et les intégrations régionales en Afrique ne fonctionnent pas si mal et où la question de chaîne de valeurs, de relocalisations et de monde multipolaire se pose, je trouve que l'expérience européenne est intéressante, avec ses forces et ses faiblesses. Ce moment, rendu possible ou difficile par la confrontation entre la Chine et les États-Unis, peut s'exprimer par de la solidarité, avec de possibles taxes carbones aux frontières, mais nous devons prendre garde à ce qu'elles ne soient pas perçues par nos partenaires africains comme une fermeture. De telles mesures devraient s'accompagner d'investissements dans les économies africaines qui les relient à l'Europe. Des instruments comme le nôtre existent, avec la BEI, la BERD, la KfW... La moitié de l'aide publique au développement du monde est européenne : en additionnant les actions de la Commission et des États membres, la somme atteint 75 milliards de dollars chaque année. Il est important d'avoir un projet européen incarné, visible, dynamique et ambitieux, avec un puissant volet international de développement et de solidarité, comprenant des investissements de développement durable.

Au début de la crise du Covid-19, nous avons parlé avec la Commission européenne et la direction générale DEVCO qui s'occupe du développement. Les directeurs généraux du développement de tous les États membres se sont réunis, avec la Commission, dès fin mars, au moment où les discussions sur les réponses à la crise étaient loin d'être consensuelles au niveau européen. Nous avons trouvé très vite un consensus, entre acteurs de développement. Le 3 ou le 4 avril, la Commission a annoncé 20 milliards d'euros mobilisés pour répondre à la crise, additionnant pour la première fois les moyens de la Commission et les moyens des États membres, dont les 1,2 milliard d'euros français que nous portions. Le #Team Europe est né à ce moment-là et nous le faisons vivre pour qu'il y ait une identité de l'action de l'ensemble des institutions européennes, qui forme de plus en plus un système d'institutions de développement, avec la Commission au centre, avec la Banque européenne d'investissement (BEI), avec la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) et avec les institutions de chaque État membre. Il s'agit parfois d'une banque, comme l'AFD, parfois d'une agence de dons, comme en Suède, parfois d'une agence de coopération technique. Ces acteurs échangent, mènent des projets ensemble et cofinancent de manière de plus en plus intégrée au niveau européen. Si ceci peut servir un moment géopolitique, dans l'intérêt de notre pays et de son engagement européen, ce serait formidable. Nous avons réagi relativement vite et cherchons à être présents aux côtés des multilatéraux sur ces sujets.

Sur le tourisme, la crise touche les pays en développement, de manière multiple. La crise est totalement exogène et le tarissement des flux touristiques en est l'une des manifestations. Le secteur est compliqué, notamment en matière de développement durable. Ce sujet constitue un bon exemple puisque nous devons jouer notre rôle contra-cyclique pour permettre aux clients de Proparco de passer la crise, tout en menant un dialogue avec des exigences encore plus élevées pour tracer un chemin d'investissement et changer le tourisme d'avant et d'après la crise. Nous avons de bons exemples, mais si nous devons aider d'autres entreprises touristiques à traverser la crise, il conviendra de trouver de bons équilibres entre la réponse d'urgence, moins conditionnée, et le dialogue pour que les partenaires deviennent ensuite des acteurs du développement durable.

Sur le FSD, je pense que la question concerne plutôt le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et le ministère de l'économie et des finances, qui mettent en place ces financements innovants, constatent l'impact de la crise sur leur mobilisation et leur prélèvement et doivent en voir les conséquences budgétaires pour maintenir le même niveau d'ambition, ou l'accroître. Cela se traduirait in fine par des dispositions en loi de finances. Je ne dispose pas d'informations à ce stade sur d'éventuelles pertes de recettes, même si elles semblent inévitables compte tenu de la crise que traverse le transport aérien et des conséquences que cela peut avoir sur les moyens budgétaires de l'AFD.

Madame Filleul, nous sommes descendus très bas sur les sujets de santé, secteur qui requiert des ressources en subvention pour passer par les canaux des gouvernements ou par la société civile. La santé ne représentait plus que 2 % des investissements de notre Agence : cette proportion a bien augmenté depuis deux ans. Ceci nous permet de financer des projets sur la dimension économique puisque c'est un secteur économique très important, même si sa rentabilité est différée. Le volet baptisé « one health » est nouveau, et nous avons encore peu de preuves d'exemples de recherches systématiques et d'exploration des liens entre santé animale et santé humaine. Nous sommes maintenant incités à le faire. Sur la santé, de grands fonds verticaux traitent de maladies particulières. De l'argent international est actuellement mobilisé pour développer un vaccin qui bénéficiera à toute la population mondiale, ce qui est très intéressant. Nous cherchons les modalités de financement d'un bien commun mondial, à savoir le vaccin contre le Covid-19. Nous avons besoin de coopération internationale et d'un certain niveau de financement international pour coordonner les efforts de chaque pays en matière de recherche puis de diffusion. La Commission européenne a pris cette initiative, avec la France. Pour l'AFD, notre axe sur la santé concerne le renforcement des systèmes de santé, en particulier dans les pays où ces systèmes sont très faibles, très défaillants, pour les rendre en capacité de faire face à une pluralité de maladies potentielles.

Monsieur Huré, nous gérons depuis dix ans un guichet, ou une capacité financière, de 100 millions d'euros qui est l'endroit où les ONG françaises viennent exercer leur droit d'initiative. Les ONG présentent des projets, sélectionnés par un comité. Ce guichet est devenu le principal lieu de financement de l'action internationale des collectivités locales. Avec la société civile, l'action de l'AFD représente 400 millions d'euros. L'enjeu consiste, une fois que nous avons appris à travailler avec la société civile, à les entraîner dans les autres projets financés par l'AFD, notamment dans le Sahel, en passant alors par des ONG locales à cause des risques de sécurité et de rejet qui existeraient sinon.

Plus largement, dans le monde du financement du développement, notre Agence présente une particularité puisque la moitié de nos financements passe par des canaux financiers non souverains. Pour simplifier, la moitié des financements de l'AFD passe par les gouvernements et l'autre moitié par d'autres acteurs. L'AFD a appris à passer par la société civile, chez nous et au Sud. L'AFD est quasiment une des seules agences de développement qui sait prêter à des collectivités locales du Sud. En Afrique du Sud, le gouvernement central a longtemps refusé de s'endetter auprès des institutions internationales, tandis que les collectivités telles que Johannesburg, Durban, Le Cap ou Medellín, étaient prêtes à le faire. Nous avons alors apporté des dons ou même des prêts, avec des risques pris sur les collectivités locales du Sud, sans passer par la garantie de l'État central. Une grande partie des investissements dans les infrastructures passe non pas par les gouvernements centraux, mais par les collectivités locales, partout dans le monde, et il faut donc parvenir à atteindre ces contreparties pour qu'elles fassent les investissements les plus durables possible.

Sur la théorie du Donut, Gaël Giraud que vous avez auditionné était le chef économiste de l'AFD et nous avons vécu une période avec beaucoup d'idées et d'innovations. Cette représentation de l'économie comme une pâtisserie anglo-saxonne a des adeptes dans notre maison. De nombreuses ressources se trouvent sur le site de l'AFD, ainsi que des recherches mises en place et rendues publiques. Pendant le confinement, nous avons mis en place une offre de MOOC.

Monsieur Marchand, il est urgent que le référentiel ODD advienne. Nous avons fixé les objectifs de finances Climat dans le cadre de l'Accord de Paris et ce travail a débuté pour la biodiversité. Tout ceci doit se consolider dans un référentiel développement durable validé par les institutions internationales : ce référentiel doit avoir un effet d'entraînement non seulement sur l'AFD, mais aussi sur les flux financiers privés au niveau des portefeuilles des institutions financières et des trajectoires des pays. C'est le passage de l'aide publique au développement, référentiel existant, avec un comité à l'OCDE, à l'investissement de développement durable qui est encore très incertain. Nous n'avons pas encore le cadre global dans lequel tous les acteurs pourraient s'inscrire. Il nous manque également au plan international une institution multilatérale qui donne un avis sur les trajectoires des pays. Être aligné avec l'Accord de Paris requiert de vérifier si un projet a une contribution positive, mais aussi s'inscrit ou non dans une trajectoire de moyen et long terme définie par le pays conformément à l'Accord de Paris. En fonction de ce que nous pensons de la trajectoire d'un pays, l'AFD choisit tel ou tel instrument financier. Si un pays a une très bonne trajectoire climat, le plus simple consiste à lui accorder une aide budgétaire. En revanche, si un pays va dans le mur du point de vue climatique, il convient de basculer sur de l'aide projet pour des centrales photovoltaïques ou des parcs nationaux, pour le convaincre qu'il devrait changer sa politique et faire de meilleurs investissements. Nous menons ce travail en interne au sein de l'AFD, mais personne ne nous dit si la France, la Colombie, le Burkina Faso ou la Chine ont une bonne politique Climat et une bonne politique de développement durable. Aucune publication ne porte sur le sujet, alors que de nombreuses publications concernent les finances publiques et la macroéconomie, via le Fonds monétaire international (FMI). Ces informations manquent sur le développement durable.

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