Intervention de Rémy Rioux

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 10 juin 2020 à 9h30
Audition de M. Rémy Rioux directeur général de l'agence française de développement afd

Rémy Rioux, directeur général de l'Agence française de développement :

Au-delà de mon temps de réponse, nous vous enverrons des éléments complémentaires, pour ceux qui les ont demandés, et le personnel de l'AFD se tient à votre disposition pour vous apporter davantage de précisions.

Plusieurs questions concernaient la géopolitique du développement. L'Agence est née le 2 décembre 1941, pendant la guerre. C'était le Trésor, la Banque de France, la Caisse des dépôts et consignations de la France libre, puisque l'Agence était dénommée la Caisse centrale de la France libre, devenue, à la Libération, Caisse de l'Outre-mer, raison pour laquelle nous sommes historiquement présents dans l'Outre-mer. L'Agence est née d'une guerre. Je sais que cela a suscité un débat, mais ce que nous vivons aujourd'hui ressemble, par certains aspects, à une guerre, si on entend par « guerre » la destruction du capital physique, financier et humain. Nous parlons de cinq points de PIB de perte de richesse sur l'année 2020, dont sept dans les pays développés, ce qui n'est pas arrivé depuis 1870, date d'une autre guerre. Ces circonstances nous obligent à jouer notre rôle souverain, dans un jeu d'acteurs tendu au plan international. L'Europe dispose de la moitié de la capacité mondiale de financement du développement. Elle compte en son sein des institutions financières publiques qui peuvent faire travailler leur bilan, pour peu qu'elles convainquent les responsables politiques de chaque pays et de l'Europe de l'intérêt de l'Europe de continuer à coopérer, ou de coopérer avec encore plus d'ambitions, dans la situation actuelle. Les autres ensembles géopolitiques ne s'y trompent pas. Les États-Unis d'Amérique sont les premiers pourvoyeurs d'aide publique au développement, avec 30 milliards de dollars. Ce montant n'a pas beaucoup baissé depuis l'arrivée du Président Trump. Pour la première fois depuis l'époque du président Kennedy, les Américains ont voté il y a deux ans le Build Act qui a réformé le système de financement du développement. Les États-Unis ont même créé une nouvelle institution financière, US DFC, pour appuyer le secteur privé, en particulier dans les autres pays. Le président Trump vient de confier à cette institution un nouveau mandat de reshoring, pour financer la réinstallation, au sein des États-Unis d'Amérique ou dans les pays voisins, de capacités industrielles qui avaient été éloignées. Il est intéressant d'observer que cette institution financière, qui fait du financement international, vient de se voir confier un mandat dans son propre pays, alors que les États-Unis ne disposent pas de nombreuses banques publiques. Des phénomènes très nouveaux sont observés dans ce monde du développement. Nous connaissons bien l'ambition, les volumes et l'effet de richesse qu'a connu la Chine et la manière dont elle les a utilisés pour son influence, pour son économie et pour bâtir un système un peu alternatif, avec cette grande vision des routes de la soie qu'elle a projetée sur le monde et qui présente un grand attrait. La Chine a apporté beaucoup de financements en Afrique et dans de nombreux pays, à un moment où nous financions moins nous-mêmes : elle a occupé une place que d'autres avaient laissée.

La relation à ces grands ensembles et à la Chine est une grande question qui comporte de très nombreuses dimensions. J'interprète mon mandat comme étant celui qui coopère dans la réponse avec la Chine : je dois essayer d'amener des acteurs chinois vers des financements conformes aux normes internationales. Je ne suis pas sûr d'y arriver. Je trouve intéressant d'essayer d'amener des financements chinois dans des appels d'offres internationaux auxquels des entreprises européennes peuvent accéder, en suivant un jeu de normes sociales et environnementales du meilleur niveau, comme ceux qu'adopte l'Agence française de développement dans tous les projets qu'elle finance. Aujourd'hui, ce n'est évidemment pas le cas : personne n'arrive à coopérer avec les Chinois, et peu avec les Américains non plus, pour être franc. Les investissements chinois sont multiples : certains sont axés sur le développement durable. Le Club IDFC que je préside comprend une institution chinoise, la China Development Bank, qui est le seul lieu au monde où les Chinois déclarent des chiffres selon une méthodologie internationale. La Chine réalise des investissements Climat à hauteur de 100 à 150 milliards de dollars chaque année. Les sommes sont considérables. Ces investissements concernent surtout des réseaux de transport urbains ou des énergies renouvelables en Chine même, mais aussi dans des pays étrangers. La Chine finance toutefois aussi des centrales à charbon qu'il faudrait absolument arrêter et transformer. Pouvons-nous y parvenir par de la coopération ou par d'autres outils publics ? Il appartient aux autorités françaises et européennes de le déterminer. Le sommet des banques de novembre peut être le lieu pour avancer sur le sujet.

L'Outre-mer français me fascine. Nous avons modifié notre organisation et notre stratégie sur ce volet. L'Outre-mer est historique, au sein de l'AFD, et nous essayons d'en faire quelque chose de nouveau via les objectifs de développement durable. Nous avons créé un département « Trois océans » qui casse nos silos : ce département comprend nos territoires ultra-marins et leurs voisins. Nous cherchons à traiter les sujets de développement, de renforcement des maîtrises d'ouvrage, d'intégration régionale puisque l'avenir de nos territoires n'est pas que dans le rattrapage de la métropole, mais aussi dans leur insertion dans leur espace économique où ils ont beaucoup d'atouts et de capacités, et par le développement durable. Je pense que nous pouvons faire de nos territoires ultra-marins des territoires vitrines, en pointe en matière de développement durable par rapport à la métropole. Si nous pouvons ensuite expliquer aux élus de métropole les actions menées en Outre-mer, ces actions seront bonnes pour la métropole, pour l'Outre-mer et pour la coopération internationale. Nos financements s'élèvent à 1,5 milliard d'euros chaque année dans l'Outre-mer et ils devraient être supérieurs cette année du fait de la crise, puisque nous réalisons des prêts d'urgence, en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie, dans un esprit de développement durable.

Madame Vullien, l'IEDES fait partie de notre famille et nous adorons le jardin tropical. Je suis prêt à poursuivre la discussion avec vous. Nous avons de nombreux exemples d'excellents projets de transports publics dans le monde entier et en Outre-mer. Regardez ce que nous avons réalisé à Medellín, ville qui était la plus dangereuse du monde, à l'époque de Pablo Escobar, et qui est devenue une ville extraordinaire : grâce à un financement non souverain de l'AFD pour le tramway de la ville de Medellín, les favelas sont désormais reliées au centre-ville.

Madame Préville, sur les déchets et l'océan, nous publierons prochainement une note de stratégie très intéressante. En rédigeant la note, nous nous sommes rendu compte que nous avions financé 1,5 milliard d'euros depuis dix ans pour des projets sur le développement durable des océans. Nous disposons d'une grande expérience et d'une grande connaissance de ces sujets. Nous avons bâti une initiative avec la BEI et la KfW allemande, il y a maintenant deux ans, la Clean Ocean Initiative, dont le bilan a été publié avant-hier à l'occasion de la journée des océans. Cette initiative porte sur toute la chaîne de gestion des déchets.

Quelle que soit la forme que prend le rapprochement entre l'AFD et la Caisse des dépôts, les ODD sont pris en compte : ce que nous faisons à l'international concerne le national, et inversement. J'ai négocié la COP21 et me trouvais à New-York pour les ODD : j'ai compris le message des ODD dès 2015, et ce message est arrivé aujourd'hui à la Caisse des dépôts. Éric Lombard m'interroge sur ces points. La KfW allemande rend des comptes sur la manière dont elle contribue aux ODD, en expliquant son bilan annuel par rapport aux ODD. Cette question est aujourd'hui posée à l'AFD et à la Caisse des dépôts. Je ne peux vous dire quelle forme ce rapprochement prendra, mais, stratégiquement, relier nos capacités financières nationales à nos capacités financières internationales me semble crucial. Ce phénomène est observé partout dans le monde. Il convient sans doute de casser notre fonctionnement en silos qui conduit à avoir des instruments nationaux et des instruments internationaux. Dans « international », il y a « national ».

Monsieur Ginesta, nous allons effectivement jusqu'à l'analyse de l'impact de nos projets, en précisant par exemple combien de jeunes filles vont en classe, combien de territoires sont restaurés... Nous augmentons fortement notre capacité d'évaluation puisque nous gérons beaucoup plus d'argent public. Le prochain projet de loi développement propose même de créer une instance externe d'évaluation, indépendante ou à la Cour des comptes, qui exercera un contrôle plus fort sur l'AFD et ses opérations - et je n'aspire qu'à cela pour que les Français adhèrent à nos actions. Les sondages montrent bien que les Français se disent mal informés de la politique de développement et pensent donc qu'elle n'en est pas efficace : quand vous interrogez les Français qui se disent bien informés de la politique de développement, ils la jugent très efficace. Il convient donc de leur amener l'information pour qu'ils puissent former leur jugement.

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