Intervention de Martin Bouygues

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 10 juin 2020 à 9h30
Déploiement de la 5g et aménagement numérique de la france — Audition de M. Martin Bouygues président-directeur général du groupe bouygues

Martin Bouygues, président-directeur général du groupe Bouygues :

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les sénateurs, je vous remercie tout d'abord de m'avoir invité à m'exprimer devant votre commission aujourd'hui, avec Olivier Roussat, directeur général délégué du groupe Bouygues, et Didier Casas, directeur général adjoint de Bouygues Telecom. Je le fais à un moment particulier, puisque le pays se relève avec difficulté de cette terrible crise du Covid-19. Les conséquences sur l'économie sont évidemment très importantes et, je crains que nous n'en percevions pas encore la pleine ampleur.

Je souhaiterais, avant de répondre à vos questions, vous présenter rapidement les conséquences de la crise sur le groupe Bouygues, les dispositions que nous avons prises pour faire face aux difficultés et les quelques mesures que nous pensons être utiles pour accélérer la couverture mobile du territoire.

En tout premier lieu, s'agissant des conséquences de la crise sur les métiers du groupe Bouygues, les résultats du premier trimestre publiés le 14 mai dernier permettent de mesurer les premières conséquences de la pandémie sur les finances de notre groupe. Nous sommes un des très rares groupes français à publier des comptes trimestriels, à la différence des autres, qui publient des comptes semestriels. Pour l'ensemble du groupe, nous estimons que la baisse du chiffre d'affaires liée au Covid-19 s'élève à environ 750 millions d'euros au premier trimestre 2020, dont 600 millions environ sur la France. La France concentre donc 80 % de l'impact financier du Covid sur les finances du groupe, ce qui est nettement plus que les 60 % qu'elle représente dans notre chiffre d'affaires global. Force est de constater que notre pays est celui dans lequel le ralentissement de l'activité a été le plus fort et le plus lourd. Nous le voyons très nettement aujourd'hui, en phase de sortie de crise ; la plupart des pays dans lesquels nous opérons, soit environ 52 à travers le monde, ont repris presque normalement, tandis que la France, de son côté, marque encore le pas.

Les métiers sont diversement affectés par cette baisse, étant donné la nature des activités. Ce sont les métiers du pôle construction, promotion immobilière, routes et construction qui ont subi le plus gros impact, avec une baisse d'environ 700 millions d'euros sur les 750. Cette baisse s'explique par le quasi arrêt des chantiers en France à partir du 17 mars et le ralentissement ou l'arrêt des chantiers dans de nombreux pays. Fort heureusement, cependant, les atouts traditionnels du groupe lui permettent d'être très bien positionné pour ne prendre aucun retard en sortie de crise.

D'une part, la structure financière du groupe est restée très saine. Nous sommes en effet un groupe très peu endetté. Le groupe dispose d'environ 10 milliards d'euros de trésorerie disponible à fin mars dernier. La situation est donc confortable. D'autre part, la grande qualité du dialogue social dans tous les métiers du groupe ainsi que les décisions que nous avons prises ont permis de limiter au maximum les conséquences sur les collaborateurs et de mettre en place les conditions d'une réponse rapide.

Je vais vous parler maintenant des dispositions que nous avons prises. La première de mes préoccupations était, dès le début de la crise, de prendre immédiatement toutes les dispositions pour préserver la santé de nos collaborateurs. À chaque fois que cela était possible, en fonction du métier, nous avons mis en place le télétravail. Naturellement, cela n'a pas été possible pour certaines activités. Je pense particulièrement aux journalistes qui doivent se déplacer pour préparer les journaux télévisés, réaliser les reportages ainsi que les techniciens qui travaillent avec eux et doivent être présents physiquement pour assurer la maintenance du réseau pour la téléphonie ou pour TF1. Pour tous les collaborateurs, qui depuis quelques jours reviennent progressivement sur le lieu de travail, nous avons préparé des procédures sanitaires très complètes et mis à disposition gel hydroalcoolique, masques et thermomètres. Comme il était impossible d'acquérir en France des masques jusqu'à une date récente, nous nous sommes organisés pour en acheter en Asie. Les équipes achats de la filiale Bouygues Construction ont acheté au total 45 millions de masques pour les besoins de tous les collaborateurs du groupe. Nous avons fait preuve de solidarité en donnant un million de masques aux établissements de santé dès le début de la crise. Nous avons fait de même en Côte d'Ivoire, dont nous sommes un vieux partenaire. Nous avons ainsi offert au pays un million de masques pour l'aider dans la gestion de la crise. Par ailleurs, nous avons aussi mis à disposition de petits fournisseurs des masques, car ils peinaient à s'en procurer.

Confrontés à l'arrêt total de l'activité dans certains métiers, nous avons dû nous poser la question du chômage partiel. Sur ce sujet, nous avons pris deux décisions fortes. D'une part, contrairement à d'autres groupes, nous avons limité au maximum le nombre de collaborateurs concernés. Au pire de la crise, nous n'avons pas eu plus de 26 % des effectifs français du groupe en chômage partiel. L'essentiel des collaborateurs concernés étaient chez Colas, Bouygues Construction et Bouygues Immobilier en raison de l'arrêt total des chantiers. De 26 %, le taux de chômage partiel est tombé à 12 % dès le mois de mai. Il est de 0 % au mois de juin. D'autre part, nous avons pris la décision de neutraliser au maximum l'impact financier du chômage partiel pour les collaborateurs. Chez Bouygues Construction, Colas, TF1 et Bouygues Telecom, la perte de salaire due au chômage partiel du mois de mars a été intégralement compensée. Chez Bouygues Immobilier, le chômage partiel n'a commencé qu'en avril et la perte de rémunération a été compensée à 90 %.

L'important est maintenant d'accélérer le plus possible la reprise d'activité. Dans la construction par exemple, le problème n'est pas le carnet de commandes, qui est déjà très fourni, mais la nécessité de rattraper le retard accumulé pendant le confinement. Nous avons négocié très vite avec les partenaires sociaux un accord qui permet de réduire la longueur des vacances d'été, pour trois semaines consécutives maximum avec une recommandation à deux, d'accroître le nombre de jours pouvant être placés sur le compte épargne-temps et d'augmenter le nombre d'heures travaillées jusqu'au maximum légal. Dans des activités comme le BTP, qui sont fortement saisonnières, il faut absolument tirer le maximum de l'été pour tenter de rattraper une partie du retard pris pendant le confinement.

Que pensons-nous nécessaire pour la reprise de l'activité ? J'ai l'honneur de m'exprimer devant la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, et je voudrais évidemment concentrer mes propos sur la question relative à la couverture mobile du territoire et à la 5G. Vous le savez, j'ai fait il y a quelques jours une proposition concernant la 5G et la couverture mobile du territoire en 4G. Je voudrais vous exprimer en quelques mots le sens de ces propositions. Mon raisonnement, simple, tient en plusieurs étapes. S'agissant de la première étape, j'affirme que retarder les enchères 5G de cinq ou six mois ne pose aucun problème pour la compétitivité de l'économie française. La 5G que les opérateurs vont déployer dans un premier temps n'aura pour seul intérêt que de permettre une éventuelle désaturation très locale des réseaux mobiles 4G lorsqu'ils sont saturés. Elle servira donc dans les grands centres urbains et de façon très ponctuelle. Elle permettra de rendre les communications plus fluides. Ce n'est qu'à partir de 2023 que la maturité progressive de la 5G et l'arrivée d'une seconde vague d'équipements permettront d'envisager de nouveaux usages, notamment industriels grâce à des débits plus élevés et à un faible taux de latence. Le gain pour la compétitivité sera alors réel, mais pas avant cette date. Le fait de conduire les enchères en décembre 2020 plutôt qu'en septembre ne me semble donc pas constituer un grand problème.

S'agissant de la deuxième étape, pour l'instant, un nombre croissant de Français exprime au mieux de l'indifférence, au pire de la méfiance pour la 5G. Nous entendons pour notre part beaucoup de discours négatifs à ce sujet. Ceux-ci reposent sur deux thèmes : l'impact environnemental et les effets sanitaires potentiels des ondes. Je crois qu'il est nécessaire de parler dans un débat public serein et éclairé avant de conduire les enchères. Je n'affirme pas cela pour gagner du temps, mais parce que j'estime qu'il est important de ne pas escamoter le débat public sur la technologie, qui me semble être légitime. Manifestement, le Gouvernement a considéré que ce débat ne devait pas avoir lieu. J'ai noté qu'avant même que je puisse m'exprimer devant vous aujourd'hui, la secrétaire d'État a exprimé dans une interview samedi que les enchères auraient lieu en septembre et qu'il était hors de question d'ouvrir une discussion. Cet empressement est un peu curieux ; je n'ai pas la même conception du débat démocratique. Quoi qu'il en soit, jusqu'à preuve du contraire, c'est à l'Arcep que revient la décision, et je considère que le Parlement a également le droit à l'information.

S'agissant de la troisième étape, je constate que les Français restent globalement insatisfaits par la couverture du territoire en 4G, qui reste insuffisante. Les opérateurs ont beaucoup déployé dans les zones blanches - et je considère que le New Deal est un instrument utile et efficace - mais manifestement, il reste à faire. Je pense d'ailleurs que le confinement n'a fait qu'accentuer ce besoin, puisque les Français se sont trouvés confinés dans des zones qui ne sont pas des zones principales. Ils en ont parfois souffert. Il faut donc selon moi aller plus loin et plus vite. C'est pourquoi je propose que les opérateurs construisent 1 500 ou 2 000 sites mutualisés supplémentaires dans les prochaines années, en sus de ceux qui ont déjà été construits dans le cadre du New Deal. Nous pourrions nous mettre d'accord sous l'égide de l'Arcep sur la meilleure façon de réaliser ce programme. C'est la raison pour laquelle nous proposons de repousser les enchères de quelques mois, pour avoir le temps de renégocier un accord global. Les quelques centaines de millions nécessaires à cet investissement nouveau seraient évidemment à prendre en considération sur le montant des redevances payées au titre des fréquences 5G. C'est un système simple, efficace, financé et qui se propose de répondre à la demande des territoires. Apparemment, le Gouvernement pense que ce n'est pas nécessaire, et Bercy, par la voie de Madame Pannier-Runacher, l'a rejeté ; j'en prends acte.

Comme nous l'avons toujours dit, Bouygues Telecom se portera acquéreur de fréquences 5G, même si les enchères ont lieu au mois de septembre. En revanche, il doit être clair pour tout le monde que, si par hasard, il venait à l'idée des pouvoirs publics, après que les enchères auront eu lieu, de demander aux opérateurs de consentir un effort supplémentaire pour la couverture numérique du territoire dans le cadre d'un nouveau programme « zones blanches », supposant des investissements, notre réponse sera nécessairement assez réservée. Nous saurons alors rappeler à la ministre ou son successeur qu'il existait un levier pour améliorer efficacement la situation.

Je me tiens, avec mes collaborateurs, à votre disposition pour répondre à vos questions.

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