Merci, madame la ministre, d'avoir répondu à notre invitation. Nous nous réunissons ce matin pour le traditionnel débat préalable au Conseil européen qui se tiendra dans huit jours par visioconférence. Lors du précédent Conseil européen, nous étions encore en période de confinement, et nous vous avions entendue par téléphone, avec quelques difficultés techniques dont je vous prie encore de nous excuser. Je me réjouis donc que nous soyons aujourd'hui réunis physiquement au Sénat, et je tiens à vous remercier, ainsi que plusieurs de mes collègues, d'avoir bien voulu vous déplacer pour cela.
Le Conseil européen du 19 juin s'annonce, une fois de plus, comme un jalon important de l'histoire de l'Union européenne (UE). Celle-ci traverse une crise inédite, sanitaire, économique et bientôt sociale, qui appelle une réponse tout aussi inédite. Cette réponse s'est construite progressivement au fil des dernières semaines. La Banque centrale européenne (BCE) s'est mobilisée la première et est désormais engagée dans un programme de rachat de dettes souveraines, en réponse à la pandémie, qui s'élève à 1 350 milliards d'euros. L'UE a ensuite construit une réponse économique à hauteur de 540 milliards d'euros, à trois volets : le mécanisme européen de stabilité (MES), un instrument de soutien aux régimes nationaux de chômage partiel (SURE : Support to mitigate Unemployment Risks in an Emergency), et un fonds de garantie de la Banque européenne d'investissement (BEI).
Lors de sa dernière réunion, le 23 avril, le Conseil européen a également décidé le principe de la création d'un instrument spécifique de relance de l'économie européenne. Un mois plus tard, s'inspirant d'une initiative franco-allemande que nous saluons, la Commission européenne proposait un nouveau schéma, qui repose sur un nouveau projet de cadre financier pluriannuel (CFP), augmenté d'un effort financier substantiel - je souligne le mot, puisqu'il s'agit de 750 milliards d'euros consacrés à la relance.
L'intégration dans le CFP de ce plan destiné à rendre l'Europe plus verte, numérique et résiliente est une bonne nouvelle pour la construction européenne, car la solidarité communautaire devient ainsi le socle du plan de relance. Elle soulève toutefois des questions complexes et exige du Conseil européen, qui l'examinera le 19 juin, de s'entendre en même temps sur le CFP et sur le plan de relance. C'est un énorme défi, surtout dans un contexte où quatre États dits frugaux ont déjà marqué leur résistance.
Le Sénat tient à se positionner en amont de cette réunion. C'est pourquoi notre commission des affaires européennes a adopté hier sur ce sujet une proposition de résolution européenne (PPRE), que la commission des finances examinera mardi. Son texte salue la proposition de la Commission, sa structure, son ampleur et ses objectifs, tout en insistant sur quelques impératifs.
Dans le CFP que je qualifierais de « socle », nous réaffirmons l'importance de la souveraineté alimentaire, et donc la priorité qu'il faut accorder au premier pilier de la politique agricole commune (PAC), dont la Commission entend raboter les crédits par rapport au CFP actuel. Nous nous inquiétons aussi de voir émerger une conception du verdissement de la PAC qui pourrait conduire, si nous n'y prenions garde - et le Sénat sera particulièrement attentif - à la décroissance, avec 10 % de surface agricole utile (SAU) en moins. Il faudra comptabiliser tous les efforts qui ont été faits par la France en la matière depuis des décennies, parce que notre pays a une fâcheuse tendance à en faire plus, quand nos autres partenaires s'en tiennent simplement aux orientations de la Commission.
Nous insistons aussi sur la nécessité de renforcer quelques lignes budgétaires essentielles pour l'autonomie européenne. Il s'agit d'abord du Fonds européen de défense, dont va nous parler Ladislas Poniatowski, qui représente parmi nous le président Cambon : il n'est pas convenable que ce fonds devienne la variable d'ajustement des crédits européens. Il s'agit aussi de la politique spatiale, dont le budget a certes été relevé par rapport à la proposition finlandaise, mais pas suffisamment. Il s'agit encore du programme ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor) : si la France ne parle pas du nucléaire, qui le fera ? Il s'agit enfin de l'agence Frontex, essentielle pour la protection de nos frontières.
L'enjeu principal de cet effort financier substantiel que l'UE envisage est là : dans quelle mesure confortera-t-il la puissance européenne ? Nous relevons avec satisfaction la création d'un programme d'Union européenne de la santé ; nous nous félicitons aussi que le mécanisme juridique de filtrage des investissements directs étrangers, dont la France a récemment obtenu le renforcement, se voie doté de moyens financiers. Pouvez-vous nous en dire plus sur son montant et ses modalités de mise en oeuvre ?
L'ambition que propose la Commission européenne a un prix. Elle passe par un relèvement du plafond de ressources de l'UE. Pouvez-vous nous éclairer, à ce propos, sur la justification du relèvement permanent de ce plafond que réclame la Commission et qui viendrait en plus du relèvement temporaire nécessaire pour financer le plan de relance ? Pour notre pays, quel sera le prix de cette nouvelle ambition européenne ? La nouvelle « facilité pour la reprise et la résilience » bénéficiera surtout aux États les plus touchés, dont le nôtre...
Le financement de ce plan de relance implique assurément la création de nouvelles ressources propres pour l'UE. La Commission étend le champ des possibles en la matière, c'est heureux, mais nous nous inquiétons de l'hypothèse d'une nouvelle contribution assise sur les grandes entreprises. De quoi s'agit-il ? Il ne faudrait pas que ce plan revienne en boomerang sur l'économie européenne.
Il doit aussi s'accompagner d'une révision de la politique de concurrence, que nous appelons de nos voeux. Nous recevons d'ailleurs prochainement Mme Margrethe Vestager, dont la réflexion semble s'être affinée, notamment sur le fait, pointé par le Sénat depuis des années, que nous ne pouvions pas faire émerger des champions européens. Or, le temps économique va beaucoup plus vite que le temps politique, et il nous tarde de disposer d'une feuille de route exemplaire en la matière. Nous voudrions également une optimisation de notre politique commerciale, au risque sinon que nos efforts budgétaires et environnementaux profitent in fine à nos concurrents. Quelle assurance avons-nous à cet égard ?
Quid, enfin, de l'autre grand sujet de ce Conseil européen, l'issue de la négociation sur la relation future avec le Royaume-Uni ? Nous sommes perplexes. Cette négociation patine visiblement, au point que notre négociateur, Michel Barnier, avoue sa lassitude. Chacun campe sur ses positions. Notre partenaire britannique ne veut pas jouer les prolongations et entend restaurer sa compétitivité en s'écartant des normes européennes. Le Parlement vient d'habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnances les mesures qui seraient nécessaires faute d'accord en fin d'année. Je me réjouis que la commission mixte paritaire (CMP) soit convenue d'une durée convenable pour cette habilitation, ce qui donne au Gouvernement une certaine latitude. Il était pourtant prévu de conclure d'ici la fin de ce mois, au moins sur le volet pêche. Avez-vous des informations ? À quoi doivent s'attendre nos pêcheurs européens, et français en particulier ?