Au risque de sortir de sujets relevant strictement de la commission des affaires étrangères, je souhaite évoquer trois points.
Sur le fonds européen de la défense, nous sommes très inquiets. Et je remarque, sous forme de boutade, qu'à chaque fois que vous venez nous voir, le montant de fonds diminue ! De 17 milliards d'euros, on est passé à 10 milliards d'euros, et désormais à 8 milliards d'euros. Le président Bizet a parlé de variable d'ajustement, il n'a pas tort. Jusqu'où ira cette diminution ? Elle constitue une erreur, pour les pays qui ont des industries d'armement - et c'est le cas de la France, qui compte des centaines de milliers de salariés dans ce domaine. Bien sûr, vous ne savez pas ce qui va sortir du prochain Conseil européen. Au moins, la France dira-t-elle clairement que cette baisse doit être endiguée ?
Second sujet d'inquiétude, la réouverture des frontières. Elle devrait être coordonnée au niveau européen, et elle ne l'est pas. Chaque soir, le journal télévisé nous montre que les pays les plus concernés par le tourisme, comme la Grèce, l'Italie ou le Portugal, sont déjà en train de préparer leurs plages et rouvrent leurs frontières, alors que d'autres pays continuent à vivre avec des frontières fermées. Cette question est liée à celle des transports aériens, qu'il faudra aussi débloquer. Pensez-vous que pourra sortir de ce Conseil européen une politique de coopération, pour que les États membres fassent la même chose au même moment ? Après tout, le tourisme est très important pour nous aussi, d'autant que nous savons très bien que nous n'aurons pas les touristes des continents américains ou asiatiques : nous avons donc besoin que l'activité touristique européenne redémarre. Quelle sera la position que la France défendra ?
Enfin, au risque de m'écarter du domaine de la commission des affaires étrangères, nous avons des inquiétudes sur le plan de relance. La réunion des ministres des finances a montré les désaccords entre les 27. Or, cette réunion était faite pour préparer le Conseil européen de la semaine prochaine. Elle a manifesté les positions des uns et des autres et, sur quatre points, on voit se dessiner désaccords et divisions.
D'abord, sur le calendrier. L'objectif annoncé est d'aller vite mais, quand on voit la vitesse à laquelle avance la préparation du CFP, depuis des mois, ce n'est pas rassurant. L'objectif de finaliser le plan de relance de 750 milliards d'euros avant la fin du mois d'août, pour que les différents programmes de chacun des pays soient engagés dès 2021, pourra-t-il être atteint ? Cela semble une mission impossible.
Il y a ensuite les réticences des pays dits frugaux que sont l'Autriche, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède et la Finlande. Celles-ci portent d'abord sur le montant. Pourtant, sur les 750 milliards d'euros, seuls 500 milliards d'euros prendraient la forme de subventions. Ces pays trouvent que c'est encore trop, et souhaiteraient que l'aide revête davantage la forme de prêts. Quelle sera la position de la France vis-à-vis de ces réticences ?
Notre troisième inquiétude porte sur les critères de répartition de ces 750 milliards d'euros. Trois ont été annoncés : la taille des États, le PIB par habitant et le taux de chômage. Ils seraient pris en compte en fonction des chiffres d'avant la crise, ce qui est très surprenant ! Les enveloppes allouées à chaque pays correspondront donc à son PIB et à son taux de chômage d'avant la crise, alors que nous parlons d'un plan de relance pour redresser l'économie après la crise. Cela donne des résultats stupéfiants : dans ce qui est proposé, un pays comme la Grèce, qui a été très peu frappé par la crise, serait très bien servi ; un pays comme la Pologne, qui a traversé une crise sanitaire et économique plutôt limitée, sera parmi les plus gros bénéficiaires ; et la Belgique, dont les chiffres, en termes de nombre de morts et de personnes frappées par la crise sanitaire, sont terribles, serait très peu aidée. Et, si l'on additionne l'Italie, l'Espagne et la France, on obtient la moitié de l'aide proposée par l'UE ! C'est de la provocation ! On comprend que les pays frugaux protestent, et que ces critères suscitent des désaccords... Qu'en dites-vous ?
Dernière inquiétude : Bruxelles va porter un jugement sur les plans de relance de chacun des pays. La Commission jugera en fonction de critères dont certains sont sans doute objectifs, comme la transition verte ou la numérisation. Mais le plus important sera d'effectuer des réformes susceptibles d'accélérer la reprise, ce qui est un critère très subjectif. J'ajoute, enfin, que les désaccords portent aussi sur les modalités de remboursement des emprunts consentis. Tout le monde semble d'accord avec l'idée d'un emprunt de trente ans qui débuterait en 2028. C'est sur son financement que surgissent les désaccords. La Commission propose de le financer grâce à des taxes sur le numérique, les émissions de CO2, les multinationales et les actions polluantes. Or les 27 sont très divisés sur la répartition de ces taxes. Quelle position la France défendra-t-elle sur la manière de rembourser cet emprunt géant ?
Sur le Brexit, nous ne sommes pas rassurés par la conférence de presse qu'a tenue Michel Barnier à la suite de la dernière rencontre. Il y a un blocage sur tous les sujets qui restent à discuter et, sur certains sujets pour lesquels il y avait eu un accord, les Anglais sont en train de remettre les conclusions sur le tapis. Quel est votre point de vue ? À mon avis, c'est très mal parti - et il ne sortira pas grand-chose du prochain Conseil européen. Bref, je ne suis guère optimiste...