Intervention de Corinne Feret

Commission des affaires sociales — Réunion du 17 juin 2020 à 9h30
Proposition de loi portant création d'un fonds d'indemnisation des victimes du covid-19 — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Corinne FeretCorinne Feret, rapporteure :

Avant d'aborder l'examen de ce texte, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère que ce périmètre comprend des dispositions relatives : au champ des bénéficiaires du fonds d'indemnisation et aux critères d'éligibilité à une réparation de leurs préjudices ; à la nature des préjudices indemnisables et à la notion de seuil de gravité de ces préjudices ; à la gouvernance du fonds et aux modalités d'instruction des demandes d'indemnisation par le fonds ; à l'articulation de l'indemnisation par le fonds avec les procédures d'indemnisation de droit commun des maladies professionnelles par les régimes de sécurité sociale ; aux modalités de financement du fonds.

En revanche, ne me semblent pas présenter de lien, même indirect, avec le texte déposé, des amendements relatifs : aux conditions d'engagement ou d'exonération de la responsabilité des employeurs publics ou privés ou des autorités publiques dans la gestion de la crise sanitaire ; aux obligations des employeurs en matière de sécurité et de santé au travail.

L'engagement professionnel et bénévole de nombreux de nos concitoyens avant, pendant et après la phase aiguë de l'épidémie de covid-19 a suscité l'émotion et l'admiration de l'ensemble de la population. Dès le début de l'épidémie, les soignants et personnels d'établissements de santé et médicosociaux se sont en effet mobilisés pour prendre en charge les malades et ont, à cette occasion, été exposés à un risque accru de contamination par le SARS-CoV-2, d'autant que des équipements de protection individuelle en quantité suffisante faisaient défaut.

Pendant le confinement, au-delà du soin, d'autres secteurs d'activité ont continué de fonctionner afin d'assurer la continuité de services essentiels à la vie de la nation, dont les premiers secours, les ambulanciers, les forces de sécurité, les personnels de l'éducation nationale et des crèches chargés d'accueillir les enfants de soignants, les services d'aide à domicile, les services de propreté et de salubrité publique, les salariés des pompes funèbres, les salariés de la grande distribution, des transports, de la logistique et de la livraison, du secteur postal ou encore les salariés des abattoirs...

La proposition de loi déposée par notre collègue Victoire Jasmin part du constat que ces nombreux travailleurs et bénévoles, qui ont poursuivi leur activité professionnelle ou associative pendant le confinement, ont également été exposés à un risque accru d'infection par le SARS-CoV-2. Certaines de ces personnes ont développé des formes graves de la covid-19 qui ont pu donner lieu, notamment à l'issue d'une hospitalisation dans un service de réanimation, à des séquelles invalidantes ou incapacitantes, telles que des atteintes respiratoires, neurologiques, cardiaques ou dermatologiques, ou ont pu conduire à des décès.

La reconnaissance de la covid-19 comme maladie professionnelle pour les seuls soignants annoncée par le ministre des solidarités et de la santé le 23 avril ne permet donc pas de reconnaître le service rendu à la nation par l'ensemble de ces travailleurs qui n'ont pu rester confinés. C'est pourquoi la proposition de loi entend instituer un fonds d'indemnisation des victimes de la covid-19 destiné à offrir une réparation intégrale de leur préjudice.

Cette initiative parlementaire, qui répond à des demandes de simplification des procédures d'indemnisation exprimées tant par les associations de victimes que par les organisations syndicales, n'est pas isolée. Deux propositions de loi tendant à permettre la réparation intégrale des préjudices subis par les victimes de la covid-19 ont en effet également été déposées à l'Assemblée nationale : l'une par les députés Les Républicains Daniel Fasquelle et Jean-Pierre Door, l'autre par les députés socialistes et apparentés Régis Juanico et Christian Hutin.

L'ensemble des auditions que j'ai conduites, y compris celles de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) et de la direction de la sécurité sociale, ont mis en lumière la nécessité d'instituer un processus d'indemnisation simplifié et équitable des travailleurs qui auraient été exposés à un risque accru de contamination pendant le confinement, au-delà des seuls personnels soignants.

J'ai bien entendu les réserves légitimes initialement exprimées par notre président. La création d'un fonds d'indemnisation des victimes d'une maladie infectieuse ayant très largement circulé dans la population, bien au-delà des seules situations professionnelles, serait en effet une première. De même, le principe d'une réparation intégrale des préjudices liés à une contamination par le SARS-CoV-2 peut sembler prématuré au regard de l'état encore très parcellaire des connaissances scientifiques sur ses effets à long terme sur la santé. Je m'attacherai donc à vous convaincre du caractère exceptionnel de ce dispositif et à démontrer qu'il est possible de le circonscrire dans son champ et son horizon temporel.

Si l'on s'en tient à l'exposé des motifs de la proposition de loi, le fonds a vocation à répondre à une situation exceptionnelle en indemnisant intégralement des personnes qui, pour assurer la continuité de services vitaux pour la nation, ont maintenu leur activité professionnelle ou bénévole en dehors de leur domicile et ont pu, dans ce cadre, être exposées à un risque accru de contamination, pendant une période où le reste de la population était appelé à demeurer confiné. Ce fonds est également censé garantir une simplicité d'accès à l'indemnisation, fondée sur des critères standardisés et objectivables afin de limiter autant que faire se peut les risques d'inégalité de traitement entre les victimes et donc de contentieux.

Or il est vrai que l'article 1er de la proposition de loi ne reflète pas pleinement le lien entre la réparation intégrale des préjudices subis par les victimes de la covid-19 et le fait que celles-ci ont rendu un service à la nation dans des circonstances exceptionnelles. Par ailleurs, il fait peser sur la victime l'intégralité de la charge de la preuve de l'acquisition en milieu professionnel ou bénévole de sa contamination, les contacts réguliers avec des personnes ou objets contaminés étant matériellement impossibles à établir.

C'est pourquoi, afin de mieux définir les contours de la présomption de l'origine professionnelle ou en milieu bénévole de la contamination, je vous proposerai de circonscrire le champ des bénéficiaires à deux niveaux.

Tout d'abord, il apparaît nécessaire de définir les éléments qui permettront d'établir une présomption irréfragable de contamination en milieu professionnel ou bénévole, dans le souci d'alléger la charge de la preuve pesant sur les victimes. Ces éléments reposeront, d'une part, sur une liste d'activités professionnelles ou bénévoles ayant exposé à un risque accru de contamination et, d'autre part, sur des critères objectivables permettant de présumer avec une assurance raisonnable une contamination en milieu professionnel ou bénévole. Bien entendu cette liste ne saurait se limiter aux activités en milieu de soins et nous préciserons qu'elle devra tenir compte du maintien en activité de secteurs indispensables à la vie de la nation.

Ensuite, je vous proposerai de fixer une borne temporelle au risque d'exposition professionnelle ou bénévole à la contamination justifiant une indemnisation intégrale, afin de prendre acte du fait que, pendant la phase aiguë de l'épidémie, des personnes ont été plus exposées à un risque d'infection pour assurer la continuité de certains services que celles qui ont pu être maintenues à leur domicile. Cette période irait du début du confinement, soit le 16 mars 2020, à la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire, soit le 10 juillet 2020.

Cette borne temporelle ne s'appliquerait bien entendu pas aux personnes, notamment les soignants, qui auraient déjà obtenu la reconnaissance de leur contamination par le coronavirus par les voies de droit commun, que ce soit par le dispositif de reconnaissance automatique envisagé par le Gouvernement ou par la voie dérogatoire des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP). Ces personnes pourront ainsi prétendre à une réparation intégrale de leurs dommages au titre du fonds, quel que soit le moment présumé de leur contamination, puisque l'origine professionnelle de leur atteinte aura déjà été établie.

On peut bien entendu regretter l'adossement du fonds à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam) qui a plutôt vocation à réparer les dommages nés de dysfonctionnements de notre système de soins. Il aurait été préférable d'intégrer le fonds à la CNAM dont la branche concernant les accidents du travail et les maladies professionnelles (AT-MP) dispose d'une expertise solide en matière de reconnaissance de maladies professionnelles. Ce transfert d'établissement porteur n'est toutefois pas envisageable par voie d'amendement parlementaire, en raison de l'article 40 de la Constitution.

En revanche, je vous proposerai de veiller à ce que participent à la gouvernance du fonds, au niveau de son conseil de gestion, non seulement des représentants de l'État et des personnes qualifiées, mais également des représentants des partenaires sociaux siégeant à la commission AT-MP de la CNAM et des représentants des associations de victimes de la covid-19.

Enfin, il est bien entendu difficile à ce stade d'estimer le nombre de bénéficiaires potentiels du fonds et son coût. Nous ne disposons que de données parcellaires qui concernent essentiellement les personnels soignants hospitaliers et médicosociaux. Néanmoins, les modifications que je vous proposerai d'adopter à l'article 1er sur le champ des bénéficiaires et les critères d'éligibilité devraient permettre d'en maîtriser le coût.

S'agissant du financement du fonds, la création d'une taxe additionnelle à la taxe « Gafam » sur les géants du numérique peut surprendre. Toutefois, sauf à créer une taxe complètement nouvelle, il n'apparaît pas illogique de faire contribuer un secteur numérique qui, au moins en partie, a pu bénéficier pendant le confinement d'un recours plus important au e-commerce, aux livraisons à domicile, aux paiements sans contact ou encore aux outils de visioconférence. La création d'une nouvelle taxe sur les contrats de prévoyance, fortement critiqués pour leurs clauses restrictives pendant la crise sanitaire, aurait pu être envisagée, mais le risque existe qu'une telle taxe se répercute sur le montant des cotisations payées par les salariés adhérents et les employeurs.

Par ailleurs, asseoir le financement du fonds principalement sur une contribution de la branche AT-MP pourrait fragiliser encore plus la logique d'une branche assurantielle fondée sur la responsabilisation des employeurs dans la protection de leurs salariés, protection qui reste a fortiori difficile à garantir face à une maladie infectieuse qui a largement circulé dans la population générale bien au-delà des seules situations de travail.

En outre, l'exposition au virus d'agents de l'État et l'indemnisation des ayants droit de personnes décédées plaident pour une mobilisation de la solidarité nationale par un engagement financier de l'État. Dans ces conditions, je vous proposerai que le financement du fonds s'appuie également sur une contribution de l'État.

Au bénéfice de ces observations, j'invite donc la commission à adopter ce texte modifié par les amendements que je vous soumets.

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