Intervention de Franck Montaugé

Réunion du 24 juin 2020 à 15h00
Assurance récolte — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Franck MontaugéFranck Montaugé :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie le RDSE de revenir sur ce sujet qui, effectivement, peine à progresser si l’on se réfère aux chiffres du développement de l’assurance – ils ont été rappelés.

L’assurance récolte fait partie des outils de gestion des risques en agriculture. Depuis 2016, le groupe socialiste et républicain a été, au sein du Sénat, une force de proposition sur le sujet du développement des outils de gestion des risques en agriculture. Le trio de l’époque, dans l’ordre alphabétique, était composé d’Henri Cabanel, de Didier Guillaume et de moi-même.

Nous disions alors, et le propos n’a pas pris une ride depuis, que la mise en œuvre d’une véritable politique de gestion des risques en agriculture était essentielle à l’heure de la multiplication des aléas économiques, climatiques et sanitaires.

Face au constat que la France ou l’Europe ne peuvent pas peser réellement sur les cours des marchés agricoles dans une optique de stabilisation et de régulation, il convient de prévoir des mécanismes de soutien aux agriculteurs qui leur apportent une aide dans les périodes difficiles et une capacité d’épargne attractive dans les périodes plus favorables.

Les deux textes votés en 2016 sur l’initiative du groupe socialiste et républicain du Sénat préconisaient de développer une véritable politique contracyclique afin d’être en phase avec les besoins et les attentes du monde agricole, tout cela dans une perspective claire de soutien du revenu.

Le 6 avril 2016, nous adoptions ici, au Sénat, une proposition de résolution visant à encourager le développement d’outils de gestion de l’aléa économique en agriculture.

Cette résolution proposait tout d’abord d’encourager la solidarité professionnelle afin que les filières travaillent ensemble pour développer des organisations économiques plus résilientes. Elle proposait ensuite de construire un système de mutualisation du risque économique, avec un objectif de stabilisation et de garantie des revenus. Elle proposait enfin de déterminer les conditions dans lesquelles le mécanisme de stabilisation des revenus au sein du deuxième pilier de la PAC pourrait être mis en œuvre en France, et de rendre le dispositif de l’assurance récolte plus attractif et plus accessible pour les exploitants.

Le 30 juin 2016, le Sénat adoptait une proposition de loi visant à mettre en place des outils de gestion des risques en agriculture.

Dans ce texte nous proposions, notamment, la mise en place d’un fonds de stabilisation des revenus agricoles, la mise en œuvre d’expérimentations de mécanismes de gestion des risques économiques agricoles et de stabilisation des revenus dans les territoires et les filières, ou encore l’intensification de l’intervention du FNGRA en matière d’aides à la souscription d’une assurance en agriculture.

Nous financions ces mesures par une augmentation de la taxe sur les surfaces commerciales de plus de 2 500 mètres carrés, par la mise en place d’une taxe sur les transactions financières sur les marchés des matières premières agricoles ou encore par la hausse de la contribution de la taxe sur la cession à titre onéreux de terrains nus rendus constructibles.

Ce texte avait été adopté à l’unanimité au Sénat, mais n’a pas terminé sa navette.

En 2019, toujours sur l’initiative du groupe socialiste et républicain du Sénat, une mission d’information relative à la gestion des risques et à l’évolution de nos régimes d’indemnisation était constituée. Si la majeure partie des préconisations formulées en juillet 2019 concerne le régime général des catastrophes naturelles, le rapport préconise également des réformes qui rejoignent totalement notre débat d’aujourd’hui.

Tout d’abord, il préconise de déplafonner le rendement de la contribution additionnelle aux primes ou cotisations afférentes à certaines conventions d’assurance alimentant le FNGRA.

Il préconise ensuite la réduction des effets de seuil permettant l’entrée dans le régime des calamités agricoles en rendant éligible un agriculteur remplissant soit le critère de perte de rendement, soit le critère de perte de produit brut.

Il préconise également de diminuer, comme le permet le droit européen depuis le règlement Omnibus, le seuil de déclenchement à 20 % de pertes et d’augmenter le taux de subvention publique à la prime d’assurance du contrat socle à 70 % au lieu de 65 %.

Il préconise enfin d’allonger la durée permettant le calcul de la moyenne olympique pour mieux évaluer la perte de rendement théorique des agriculteurs permettant d’être éligible au régime des calamités agricoles.

En définitive, la proposition de résolution du groupe du RDSE rejoint, voire reprend, des positions et propositions déjà défendues par le groupe socialiste et républicain ces dernières années, et votées par notre assemblée dans son ensemble. Le groupe socialiste et républicain se réjouit d’avoir ouvert la voie, si j’ose dire. Tous les groupes de la Haute Assemblée s’étaient retrouvés à l’époque sur ces propositions, je voulais aussi le souligner. Nous devons unir nos forces pour soutenir l’agriculture française, comme le fait systématiquement le Sénat sur ces sujets.

Alors pourquoi les outils ne se développent-ils pas ? Pourquoi ces textes votés par une importante majorité au Sénat n’ont-ils pas prospéré jusqu’à devenir des lois ?

Il est évident que le contexte européen n’est pas étranger à cette situation. Les États membres peinent à se mettre d’accord sur le cadre financier pluriannuel (CFP) du budget de l’Union européenne. La pandémie du Covid-19 complexifie encore ce préalable majeur.

À cela s’ajoute l’annonce du Green Deal de la Commission européenne qui, s’il est réellement mis en œuvre, rebattra très clairement les cartes de l’ensemble des politiques européennes.

Si la contribution budgétaire de chaque État membre reste identique, que deviendront les budgets sectoriels, celui de la PAC en particulier ?

Les inquiétudes qui sont les nôtres depuis le début du processus de révision de la PAC restent entières à ce jour. M. le ministre nous dira ce qu’il en est des perspectives d’aboutissement des négociations en cours.

Concrètement, pourra-t-on affecter de façon significative des fonds publics pour développer l’assurance récolte dans le cadre d’une PAC dont le budget à euro constant diminuerait ? Ne faut-il pas mettre en place une taxe sur les transactions financières (TTF) pour abonder les ressources publiques qui pourraient être affectées à l’assurance récolte, au Fonds de stabilisation du revenu agricole (FSRA), au Fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA), et à d’autres fonds, comme le Fonds national agricole de mutualisation sanitaire et environnementale (FMSE) ? C’est là un point majeur de contexte au vu du sujet qui nous intéresse.

La PAC a atteint la plupart de ses objectifs initiaux, mais elle n’a pas répondu de façon satisfaisante et durable, tant s’en faut, à la question du revenu du producteur. Pas davantage n’a permis d’y parvenir, à ce jour en tout cas, la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi Égalim, et nous le regrettons.

L’assurance récolte doit être développée, cela ne fait aucun doute. Mais qu’en sera-t-il de la façon de compenser les baisses du premier et du second piliers pour ce qui concerne la poursuite et le renforcement indispensables de la transition agroécologique ?

Sur le plan économique, où trouverez-vous les ressources publiques nécessaires à l’accompagnement des agriculteurs qui veulent souscrire ces polices d’assurance, mais qui en sont empêchés du fait de la faiblesse de leur revenu ou de leur épargne ? Quels crédits envisageriez-vous de redéployer ?

Sur le plan environnemental, ne faut-il pas aider davantage ceux qui investissent pour la transition climatique, la biodiversité, la qualité de la ressource en eau, en air, etc. à prendre une assurance ? Sur le plan culturel, la gestion des risques en agriculture est-elle pratiquée et maîtrisée par tous les chefs d’exploitations ?

L’assurance récolte est un moyen, le plus évident peut-être, mais d’autres outils de gestion des risques agricoles méritent d’y être ajoutés pour construire une véritable résilience à l’égard de tous les aléas potentiels.

En réalité, c’est une acculturation à ces techniques, complémentaires les unes des autres, qui est nécessaire pour que la réussite individuelle et collective soit au rendez-vous. La montée en connaissances et en compétences sur ces sujets techniques permettra que les stratégies des filières et des exploitations se complètent pour maximiser l’efficacité globale de la ferme France.

Je ne reviendrai pas sur les paiements pour services environnementaux (PSE), mais, vous le savez, je considère qu’ils font également partie des outils qu’il faudra développer à l’avenir pour soutenir le revenu agricole.

Par ailleurs, comme l’a dit Franck Menonville, sans une adhésion et un engagement les plus larges possible de la part des agriculteurs, rien ne pourra se faire à une échelle significative, ou bien peu.

En 2019, le ministre de l’agriculture, Didier Guillaume, se disait favorable à une assurance récolte généralisée et mutualisée. Les idées émises par le groupe de travail mis en place sur son initiative sont intéressantes, je tiens à le dire : un fonds de mutualisation étendu à la ferme France, la mise en place de contrats à terme, l’intéressement des sociétés d’assurance.

Quels que soient les outils, la part de financement de l’État devra être importante, et celle des agriculteurs également. Mais encore faudra-t-il, et c’est un point essentiel, faire la démonstration à ces derniers qu’ils y gagneront plus qu’ils n’y perdront.

Il serait intéressant que le ministre nous dise comment et avec quels moyens il envisage d’avancer sur ces pistes, rapidement. En effet, je le disais au début de mon intervention, ce sont non pas les bonnes intentions et les idées qui manquent sur ce sujet, mais davantage les prises de décisions fortes et structurantes. Le contrat socle de 2016 était une première étape importante, il s’agit désormais d’en engager une nouvelle.

Au terme de cette prise de parole au nom de mon groupe, je veux remercier les auteurs de la proposition de résolution, Yvon Collin, Nathalie Delattre, et Henri Cabanel avec lequel j’ai beaucoup travaillé il y a quelque temps sur ce sujet tout aussi important qu’inabouti.

Dans le droit fil de ses travaux antérieurs, le groupe socialiste et républicain approuvera cette proposition de résolution.

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