Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du 24 juin 2020 à 15h00
Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Nicole Belloubet :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi sur laquelle vous êtes amenés à vous prononcer aujourd’hui permet d’éclaircir notre droit et de renforcer les droits des victimes d’infractions graves.

Pour bien saisir cette problématique très pratique et qui emporte des conséquences importantes pour les victimes, je reprendrai simplement quelques éléments de présentation de la procédure d’indemnisation des victimes d’infractions ; je serai brève, parce que je sais que vous les maîtrisez également.

Il est institué, auprès de chaque tribunal judiciaire, une commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI), devant laquelle les victimes d’infraction et leurs ayants droit peuvent réclamer une indemnisation. Celle-ci est versée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI), au titre de la solidarité nationale, ce dernier pouvant, bien entendu, intenter un recours ultérieur contre l’auteur des faits.

La réparation qui est accordée par la CIVI est intégrale et sans condition de ressources dans les cas d’atteintes les plus graves à la personne – mort, incapacité permanente ou incapacité totale de travail pendant plus d’un mois – ou résultant des infractions les plus graves, telles que le viol, l’enlèvement, la réduction en esclavage, la traite des êtres humains ou encore le proxénétisme. La CIVI répare également, mais sous conditions de ressources, d’autres atteintes à la personne, lorsque les faits ont entraîné une incapacité totale de travail inférieure à un mois, et les préjudices subis par les victimes d’atteintes aux biens, telles que la dégradation, le vol, l’extorsion de fonds ou l’escroquerie, lorsque ces victimes sont dans l’impossibilité d’obtenir une réparation effective et suffisante et se trouvent, de ce fait, dans une situation matérielle ou psychologique grave.

La procédure en vigueur devant la CIVI est autonome ; elle se déroule en parallèle des procédures judiciaires ouvertes aux victimes contre les auteurs des faits devant le juge pénal. L’objectif de cette procédure est d’assurer aux victimes une réparation rapide, qui permettra à celles-ci de se reconstruire sans devoir attendre l’issue de la procédure pénale. Le recours devant la CIVI n’est pas subsidiaire ; il peut être exercé par les victimes avant l’engagement des poursuites pénales ou après celles-ci, si elles n’ont pas permis à la victime d’obtenir réparation.

La proposition de loi que vous examinez aujourd’hui porte sur le délai au cours duquel la CIVI peut être saisie d’une demande indemnitaire par la victime, dont elle vise à modifier le point de départ. L’article 706-5 du code de procédure pénale, dans la rédaction issue de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, prévoit que, à peine de forclusion, la demande d’indemnité doit être présentée dans le délai de trois ans à compter de la date de l’infraction. Toutefois, lorsque des poursuites pénales sont exercées, ce délai est prorogé ; il n’expire alors qu’un an après la décision de la juridiction pénale qui a statué définitivement sur l’action publique ou l’action civile.

Depuis la loi précitée du 15 juin 2000, le texte a été complété pour préciser que, lorsque l’auteur de l’infraction a été condamné à verser des dommages et intérêts, le délai d’un an court à compter de l’information, donnée par la juridiction qui a statué au fond, de la possibilité de saisir la CIVI, en application de l’article 706-15 du code de procédure pénale. Cette précision visait à tirer les conséquences de la création, par cette loi, de l’obligation, pour la juridiction qui condamne l’auteur d’une infraction à verser des dommages-intérêts, d’informer la victime de la possibilité de saisir la CIVI.

Toutefois, en n’exigeant pas que la décision de justice soit définitive, cela aboutit en réalité à réduire, dans cette hypothèse, le délai de forclusion. La rédaction de ce texte est donc aujourd’hui complexe, puisqu’elle prévoit deux solutions différentes lorsqu’un jugement pénal est intervenu. Le délai pour saisir la CIVI est en principe d’un an à compter de la décision définitive de la juridiction pénale, c’est-à-dire d’une décision qui n’est plus susceptible d’aucune voie de recours ; néanmoins, si un jugement pénal est intervenu, qui a condamné l’auteur des faits à des dommages et intérêts, alors, le délai d’un an court à compter de l’avis informatif rendu par la juridiction informant du droit au recours devant la CIVI, que cette décision ait ou non un caractère définitif.

Dans cette dernière hypothèse, les parties civiles devront saisir la CIVI sans attendre l’expiration des voies de recours contre la décision leur allouant des dommages et intérêts, comme c’était le cas avant la loi du 15 juin 2000. Or certaines victimes peuvent légitimement vouloir attendre une décision définitive du juge pour que celle-ci ne puisse plus être contestée et ils peuvent aussi, le cas échéant, vouloir avoir tenté de recouvrer les dommages et intérêts contre l’auteur des faits avant de faire appel à la solidarité nationale pour obtenir cette indemnisation.

Il s’agit donc ici, par un souci tant d’équité que de lisibilité du texte, d’unifier le délai ouvert à toutes les victimes pour exercer leur recours en indemnité devant la CIVI. Ce délai doit courir, dans tous les cas, à compter de la date à laquelle la juridiction pénale a statué définitivement sur l’action publique ou sur l’action civile.

En outre, il est précisé que, lorsque l’avis prévu à l’article 706-15 du code de procédure pénale devant informer les victimes de leur droit de saisir la CIVI ne leur aura pas été donné par la juridiction, cette commission devra écarter la forclusion.

Tel est l’objet de cette proposition de loi, dans la rédaction issue de l’Assemblée nationale et de votre commission des lois, à laquelle le Gouvernement est bien évidemment favorable.

Je souhaite terminer mes propos en remerciant les auteurs de cette proposition de loi, en particulier la députée Jeanine Dubié, ainsi que Mme la rapporteure, Laurence Harribey, dont la vigilance et le travail permettront, dans l’intérêt des victimes, de trouver une issue favorable et rapide à ce qui était une incohérence législative.

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