Intervention de Laurence Harribey

Réunion du 24 juin 2020 à 15h00
Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Laurence HarribeyLaurence Harribey :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, lorsque la commission des lois m’a confié cette mission en précisant qu’il s’agissait d’une simplification du droit, j’ai eu quelques doutes. En effet, quand on fait une loi pour simplifier la loi, on a généralement tendance à compliquer les choses, à ajouter des textes aux textes et à augmenter la complexité. Ce n’est pas le cas de ce texte, mais, si nous sommes obligés de simplifier le droit, c’est bien parce que l’on a, à un moment donné, complexifié les choses. Cela dit, je le répète, il s’agit réellement ici d’un travail de simplification.

Sans reprendre la procédure visée par le texte, que nous avons examinée en commission et qui vient d’être rappelée par Mme la garde des sceaux, je veux rappeler que le système français est fondé sur la réparation intégrale, sans condition de ressources, de tous les dommages physiques graves et que cette réparation est garantie par la solidarité nationale, c’est-à-dire par la communauté des assurés. Il est important de le souligner.

Ce système est l’un des plus complets au monde ; il s’est construit au fil des années, depuis 1951, avec la création d’un fonds de garantie, jusqu’en 2008, avec la création du service d’aide au recouvrement des victimes d’infractions (Sarvi). Ce système, assez important, a toujours eu pour souci la réparation et les droits de la victime.

Cela vient d’être souligné, la question a trait non au système, mais à l’accès réel au droit de réparation, du fait d’une confusion possible dans la compréhension des délais de forclusion. Jusqu’en 2000, les choses étaient claires : en l’absence d’une action pénale engagée, le délai de forclusion était de trois ans ; si l’action pénale était engagée, le délai était prorogé d’un an après la décision définitive. En 2000, le législateur, voulant protéger la victime au travers d’une augmentation du droit de celle-ci à être informée, ne s’est pas contenté de donner un droit à l’information ; il a instauré un délai différent, d’un an, à partir de cette notification.

On peut donc avoir deux délais différents pour une même situation, car il est assez logique que la ou les victimes veuillent aller au bout de la procédure avant de saisir la CIVI pour obtenir réparation. Malheureusement, les cas de forclusion se sont multipliés, avant même que les victimes puissent en prendre conscience.

Nous nous sommes posé une question, au cours de nos auditions : pourquoi s’est-il écoulé vingt ans avant que l’on se décide à changer le droit ? L’explication est assez simple : l’information des victimes par les juridictions est devenue quasi systématique et automatique dans les années 2010, du fait de la numérisation des procédures. Par conséquent, le nombre de cas dans lesquels les victimes ont été forcloses, en raison de la mauvaise compréhension du délai et de la volonté d’attendre une décision définitive, s’est multiplié. La jurisprudence l’a d’ailleurs confirmé, dans un arrêt de la Cour de cassation de 2013, qui analyse le droit stricto sensu et montre qu’il peut y avoir problème.

D’où l’intérêt de cette proposition de loi, qui vise très simplement à supprimer le délai spécifique lié à l’information des victimes. Il comporte une autre mesure, qui est intéressante et qui va dans le sens de la volonté du législateur de l’année 2000 : l’absence d’information entraîne l’absence de forclusion. C’était déjà le cas, mais ce n’était pas codifié ; la proposition de loi a le mérite de le faire.

La commission des lois a considéré que cette réponse était adaptée et conforme à l’intention du législateur de 2000.

Toutefois, nous voulons mettre l’accent sur deux questions soulevées lors des auditions, madame la garde des sceaux.

La première difficulté est relative au classement sans suite d’un dossier, qui n’entraîne pas la prolongation du délai pour saisir la CIVI ; par conséquent, certaines victimes peuvent se trouver forcloses quand elles apprennent, plus trois ans après les faits, que l’action publique ne sera pas engagée. Nous vous incitons donc à étudier les moyens de surmonter cette difficulté.

La seconde difficulté va bien au-delà du texte qui nous est soumis ; elle réside dans le fait que la CIVI, juridiction indépendante, n’est pas tenue par le montant des dommages et intérêts fixé par les juridictions pénales – c’est une question complexe – et, très souvent, le montant de l’indemnisation qu’elle détermine peut être inférieur à celui figurant dans le jugement pénal. C’est douloureux pour la victime, qui sort d’une procédure pénale pour entrer dans une procédure d’indemnisation. Il y aurait, là aussi, je pense, un travail à produire, car, même si les propositions du Fonds de garantie sont acceptées dans 70 % à 75 % des cas par la victime – il faut le souligner –, il reste quand même 25 % de cas litigieux. Je le rappelle, si la victime n’accepte pas la proposition du Fonds de garantie, c’est la CIVI qui tranche.

Ces difficultés, selon nous, méritent d’être abordées, mais nous avons estimé qu’elles n’appelaient pas d’amendements au présent texte, qui soulève d’autres questions et qu’il ne faudrait pas complexifier, son objectif étant précisément de simplifier le droit pour les victimes.

Pour l’ensemble de ces raisons, la commission a adopté cette proposition de loi sans modification.

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