Intervention de Gilbert Roger

Réunion du 24 juin 2020 à 21h30
Quelle réponse de la france au projet d'annexion de la vallée du jourdain par l'état d'israël — Débat organisé à la demande du groupe crce

Photo de Gilbert RogerGilbert Roger :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le gouvernement israélien doit se prononcer à partir du 1er juillet sur la mise en œuvre du plan Tramp pour le Proche-Orient, qui prévoit l’annexion formelle et unilatérale par Israël de la vallée du Jourdain, territoire palestinien occupé par Israël depuis 1967. Si cette décision d’imposer ses lois en Cisjordanie occupée était mise à exécution, au mépris du droit international, elle serait non seulement dévastatrice pour une potentielle relance des négociations et pour la paix régionale, mais elle remettrait également en cause le projet même d’un État palestinien, qui est jusqu’ici au cœur du processus de paix.

En réaction, le mois dernier, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a annoncé qu’il romprait les accords sécuritaires et économiques conclus avec Israël dans le cadre du processus de paix engagé à Oslo si le projet d’annexion était mené à bien. La Jordanie, seul pays arabe avec l’Égypte à avoir conclu un accord de paix avec Israël, a fait savoir qu’elle reconsidérerait également ses relations avec l’État hébreu en cas d’annexion.

Ce projet est contesté au sein même de la société israélienne. Plusieurs experts israéliens ont en effet publié une tribune pour faire part de leur inquiétude quant à la menace que ferait peser cette annexion sur la sécurité nationale d’Israël.

Pour les signataires de ce texte, elle remettrait en cause le traité de paix avec l’Égypte, mais également celui avec la Jordanie. Avec une communauté palestinienne très nombreuse, le Royaume de Jordanie pourrait connaître des troubles en cas d’annexion israélienne de l’autre côté du fleuve Jourdain. Or la Jordanie offre à Israël une profondeur stratégique en direction de la Syrie, l’Irak et, surtout, l’Iran. Ces troubles pourraient donc lui être fortement dommageables.

Toujours selon les signataires de ce texte, les pays arabes du Golfe favorables à Israël, notamment l’Arabie saoudite, pourraient eux aussi faire entendre leur voix face à une colère populaire attisée par la baisse des prix du pétrole.

Enfin, les signataires n’excluent pas un effondrement de l’Autorité palestinienne en cas d’annexion. Or Israël a besoin de la collaboration avec l’Autorité palestinienne dans la lutte qu’elle mène contre le terrorisme.

Le chef de file centriste de l’opposition israélienne, Yaïr Lapid, a déclaré avec le parti démocrate et une majorité des juifs américains que cette annexion unilatérale provoquerait des dommages irréparables. Quant à Amit Gilutz, porte-parole de l’ONG israélienne B’Tselem, que nous connaissons bien ici, qui lutte pour la défense des droits humains dans les Territoires palestiniens occupés et qui milite pour une solution à deux États équilibrée, il a rappelé à juste titre que cette annexion existait déjà de fait et qu’elle ne constituait qu’une volonté de légitimer une situation déjà existante et dramatique pour le peuple palestinien. Il a appelé la communauté internationale « à ne plus se taire ».

La France, qui est depuis le Brexit le seul pays de l’Union européenne membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, ne peut rester silencieuse à cet appel et doit agir pour préserver la solution à deux États, en n’abandonnant ni l’exigence de sécurité pour Israël ni celle de la justice pour les Palestiniens.

Depuis l’adoption par les deux chambres du parlement français au mois de décembre 2014 de deux propositions de résolution invitant le gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine, force est de constater que le processus de paix est au point mort. La France a certes accueilli, en 2017, soixante-dix pays et organisations internationales pour une conférence internationale pour la paix au Proche-Orient, mais, soyons réalistes, rien n’en est ressorti.

Depuis la tenue de cette conférence, qu’il faut tout de même saluer, s’est ouverte une période d’incertitudes au Proche-Orient. Le 6 février 2017, la Knesset adoptait une loi légalisant les colonies sauvages de Cisjordanie, au mépris de la résolution 2334 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies au mois de décembre 2016. Cette loi était déjà un pas vers l’annexion formelle de la Cisjordanie. Le 19 juillet 2018, le Parlement israélien adoptait une loi fondamentale disposant qu’Israël est « l’État-nation du peuple juif » avec Jérusalem pour capitale et l’hébreu comme seule langue officielle. Le texte va à l’encontre des principes démocratiques et institutionnalise des discriminations raciales envers les Arabes israéliens.

Si le projet d’annexion de la vallée du Jourdain était formellement mis en œuvre, sans susciter de lourdes sanctions de la part de l’Europe et de la France, ce serait la fin de tout espoir de voir naître un État de Palestine.

Dans ce contexte, la France ne peut pas faire l’économie d’une réflexion en profondeur sur la méthode d’accompagnement international du processus de paix. Elle ne doit pas se résoudre à abandonner l’objectif d’un État de Palestine, vivant dans la paix et la sécurité aux côtés de l’État d’Israël, au sein de frontières internationalement reconnues et avec Jérusalem pour capitale des deux États.

Aussi, en ma qualité de président du groupe d’amitié France-Palestine de la Haute Assemblée, j’appelle une nouvelle fois, solennellement, le gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine. Reconnaître la Palestine comme un État, ce serait se conformer au droit international et, lorsque l’on est législateur, on se doit d’être du côté du droit.

La France doit également enclencher une dynamique à l’échelon européen sur la question des sanctions. L’Union européenne doit absolument s’accorder rapidement sur des sanctions économiques à l’encontre d’Israël, si ce projet d’annexion de la vallée du Jourdain allait à son terme, comme elle a réussi à le faire à l’encontre de la Russie après l’annexion de la Crimée. Compte tenu de l’importance de leurs échanges commerciaux avec l’État hébreu, les Européens, s’ils en ont la volonté politique, ont tous les outils nécessaires pour condamner Israël.

La France devrait également manifester son soutien à l’Autorité palestinienne dans les poursuites qu’elle a entamées à l’encontre d’Israël auprès de la Cour pénale internationale en saisissant à son tour la CPI, alors que cette dernière, après un examen préliminaire de cinq ans, vient d’autoriser la Palestine à attaquer Israël pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, la France ne peut plus attendre, les enjeux sont trop importants pour se contenter de grandes déclarations et de très petites sanctions. Le gouvernement français a l’obligation d’agir, et il doit le faire maintenant.

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