Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en propos liminaire, je rappellerai le mouvement mondial de durcissement des relations internationales, de retour de la politique du fait accompli et d’émergence de dirigeants imprévisibles, ce contexte n’étant pas sans conséquence sur le climat dans la région dont nous débattons aujourd’hui.
J’en viens à quelques constats.
Vu d’Europe, la longue séquence de guerre au Proche et au Moyen-Orient contre Al-Qaïda, puis l’État islamique, a fait passer au second plan la situation israélo-palestinienne. Pour autant, les tensions ne se sont pas arrêtées. Elles connaissent des hauts et des bas, mais le conflit s’installe dans une exceptionnelle longévité, après l’échec de nombreux sommets et plans de paix placés sous l’égide de puissants parrains.
Israël se sent toujours en insécurité sur son territoire et au pourtour, dans un contexte géopolitique régional dégradé. Quant aux Palestiniens, ils ont le sentiment, à juste titre, que leur cause n’est plus aussi mobilisatrice qu’auparavant, y compris dans l’opinion publique arabe. Désorganisés, ils voient s’éloigner l’espoir d’une solution favorable, en particulier du point de vue territorial.
Dans ce dossier, l’Europe paie, comme sur d’autres sujets internationaux, son manque d’ambition, d’unité et de poids. Elle est présente comme acteur économique ou culturel, voire humanitaire pour les Palestiniens. Elle est appréhendée comme un bailleur de fonds et porteur de projets, mais malheureusement pas comme un décideur politique majeur. Pourtant, dès le début des années 1980, les Neuf estimaient que « les liens traditionnels et les intérêts communs qui unissent l’Europe au Moyen-Orient leur imposent de jouer un rôle particulier et leur commandent d’œuvrer de manière plus concrète en faveur de la paix ». Vous constaterez avec moi que, malgré la bonne volonté, les résultats sont mitigés.
Quant à la France, elle possède une connaissance fine, inscrite dans la durée, de la région et des parties. Nous auditionnions en commission des affaires étrangères, il y a quelques jours, l’ambassadeur de France en Israël, puis le consul général à Jérusalem, qui nous ont livré leur appréciation de la situation.
Forte de son réseau diplomatique et culturel actif, notre pays entretient des relations suivies, tant du côté israélien que du côté palestinien, mais sa voix et sa « voilure » restreinte portent moins qu’à l’époque du général de Gaulle. Si la France conserve sa capacité à parler à tout le monde, ce qui est éminemment souhaitable, c’est surtout sa capacité à être entendue, à peser, qui s’est dégradée, et pas seulement au Proche-Orient. Sans doute aussi notre action internationale manque-t-elle d’une grande vision, d’un nouveau souffle.
De leurs côtés, les États-Unis, et particulièrement le Président Trump, qualifié par le gouvernement israélien de « plus grand ami qu’Israël ait jamais eu à la Maison-Blanche », avancent sans nuance. Le lien indéfectible avec Israël et les intérêts immédiats priment sur tout le reste, sans égard pour l’avis des alliés européens et les conséquences locales. Comment pourrait-il en être autrement ? Au moment où l’avenir des relations transatlantiques n’a jamais été aussi incertain, les désaccords politiques nombreux et le contentieux commercial à vif, l’Amérique suit son propre agenda.
Le « plan Trump » a suscité de fortes inquiétudes, en raison notamment du projet de faire de Jérusalem la capitale d’Israël et du sort qu’il prévoit pour la vallée du Jourdain, propositions contestées par les Palestiniens et une partie de la communauté internationale.
Au cœur de l’« Orient compliqué », les avis divergent sur l’annexion de la vallée du Jourdain. Au-delà des seuls Palestiniens, des milliers d’Israéliens, cela a été rappelé à juste titre, ont manifesté samedi à Tel-Aviv contre le projet du gouvernement d’annexer des pans de Cisjordanie occupée. À l’inverse, pour certains de ceux qui sont installés dans la zone, « la vallée du Jourdain est une merveilleuse région… qui fait partie d’Israël ! », mais ils regrettent que le plan implique des concessions.
Alors que l’échéance du 1er juillet approche, Paris appelle toujours les autorités israéliennes « à s’abstenir de toute mesure unilatérale qui conduirait à l’annexion de tout ou partie des Territoires » occupés… pardon, « palestiniens », voulais-je dire. Lapsus révélateur…
De même, le chef de la diplomatie de l’Union européenne souligne que « la solution des deux États, avec Jérusalem comme future capitale pour les deux États, est la seule façon de garantir une paix et une stabilité durables dans la région ». Reste à savoir si les Européens pourront s’entendre – c’est souhaitable – et s’ils sont prêts à prendre des mesures concrètes pour dissuader Israël de poursuivre son plan d’annexion et, dans l’affirmative, lesquelles ? Chacun a pu constater l’effet nul de la menace de sanctions contre la Russie dans la crise ukrainienne, ainsi que les effets souvent contre-productifs des sanctions a posteriori.
Si la France et l’Union européenne échouaient à dissuader les autorités israéliennes, cela jetterait le discrédit sur notre capacité à changer le cours des événements mondiaux, et le risque d’embrasement de la région serait important, au détriment de l’intérêt sécuritaire d’Israël. À moins que la Jordanie, qui a menacé le mois dernier de reconsidérer ses relations avec l’État hébreu si ce dernier menait à bien ses plans d’annexion, ne fasse bouger les lignes, ou la Russie, redevenue une puissance majeure du Proche-Orient à la faveur des atermoiements européens en Syrie. Et quelle sera l’attitude de la Chine ? Dans les prochaines années, un succès diplomatique sur ce dossier brûlant lui conférerait ce statut d’acteur politique global, et plus seulement économique, qu’elle recherche.
Monsieur le ministre, je ferai prochainement, avec plusieurs collègues sénateurs, un déplacement en Israël, lequel avait dû être reporté en raison du Covid-19. Nous souhaitons faire entendre la voix de la France, notamment celle du Sénat. La diplomatie parlementaire est faite pour tisser des liens, bâtir des ponts, favoriser le dialogue, et nous nous y efforcerons. Nous ne pouvons pas laisser faire.