Nous examinons le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière, plus communément désigné sous l'acronyme DDADUE. Son titre est conforme au contenu : le texte comporte un ensemble divers de mesures, dont certaines relevant de la compétence de la commission des affaires économiques. La cohérence du texte tient à l'adaptation de notre droit économique et financier aux évolutions décidées par le législateur européen.
La diversité des dispositions initiales a été renforcée par le recours à deux lettres rectificatives successives, respectivement en date du 18 mars et du 17 juin derniers. Elles ont chacune complété le texte de deux articles supplémentaires pour des habilitations à légiférer par ordonnance. Un nouvel ajout est d'ores et déjà attendu en séance publique, puisque le Gouvernement a indiqué qu'il allait déposer un amendement pour l'habiliter à transposer par ordonnance la directive sur les services de médias audiovisuels (SMA).
Dans sa version définitive, le projet de loi comporte vingt-cinq articles, répartis en neuf chapitres. La commission des finances a examiné treize articles - les articles 8 à 17, 21, 23 et 24 -, l'examen des douze autres articles - articles 1 à 7, 18 à 20, 22 et 25 - ayant été délégué à la commission des affaires économiques.
Je concentrerai donc mon propos sur les treize articles que nous examinons, en m'efforçant de vous éclairer sur un texte touffu et dont les dispositions sont, pour l'essentiel, techniques. Les articles relevant de notre commission concernent deux domaines.
Il y a tout d'abord des mesures relatives à la réglementation douanière qui procèdent directement aux modifications législatives requises. Sont concernées des dispositions relatives aux sanctions applicables aux transporteurs, aux règles déclaratives applicables aux produits vitivinicoles, aux conditions d'enregistrement préalable des représentants en douanes et aux contrôles des flux d'argent liquide au sein de l'Union européenne et en provenance de pays tiers. Compte tenu de l'importance des flux de marchandises en provenance d'Asie, ces dispositions me paraissent essentielles.
S'ajoutent ensuite des dispositions relatives au droit bancaire et financier, correspondant essentiellement à des demandes d'habilitations à légiférer par ordonnance, ainsi que deux mesures de coordination. Les habilitations sollicitées concernent le régime d'émission et de surveillance des obligations garanties, la surveillance prudentielle des entreprises d'investissement et la distribution transfrontalière des organismes de placement collectif.
En outre, le projet de loi comporte trois articles plus spécifiques, concernant les conditions de transmission d'informations fiscales par l'administration fiscale dans le cadre du contrôle des aides d'État, une demande d'habilitation pour permettre au Gouvernement de prendre les mesures requises en cas d'absence d'accord sur les termes de la relation future entre l'Union européenne et le Royaume-Uni avant la fin de la période de transition et une mesure relative aux conditions de gestion du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). Ainsi, du FEADER au paquet bancaire, les treize articles couvrent de nombreux champs d'action de l'Union européenne.
L'analyse du texte appelle, à mon sens, trois remarques.
La première tient au choix du Gouvernement de privilégier le recours aux ordonnances pour adapter notre cadre juridique au droit de l'Union européenne. Ce sont ainsi treize articles sur les vingt-cinq du projet de loi qui sollicitent des habilitations à légiférer par ordonnances. La proportion se retrouve pour les articles examinés par notre commission, avec sept des treize articles. Certes, le Gouvernement fait valoir que certaines dispositions portent sur des éléments dont la portée est avant tout technique. Toutefois, un tel choix conduit à déposséder le législateur national de sa compétence. Surtout, j'estime que la démarche n'est pas de nature à renforcer les indispensables liens à tisser entre l'Union européenne et les parlements nationaux. La technicité des sujets ne saurait occulter l'importance des enjeux soulevés. Les dispositions correspondent à des projets européens essentiels, à l'instar de l'union bancaire ou de l'union des marchés de capitaux qu'il convient de parfaire malgré l'indéniable avancée que constitue le plan de relance européen. Certes, une approche européenne est essentielle en la matière, mais elle ne saurait se traduire par une dévitalisation des parlements nationaux. Il importe donc que nous nous saisissions des enjeux européens par le biais de résolutions européennes, mais aussi que le Gouvernement n'écarte pas le Parlement lorsqu'il s'agit d'adapter notre cadre juridique au droit de l'Union européenne. Cette question recoupe la stratégie de la Commission européenne de renvoyer à de nombreux actes délégués, au détriment du contenu des actes législatifs. La commission des affaires européennes le propose régulièrement, mais n'est que timidement entendue.
Ma deuxième remarque porte sur l'ancienneté de plusieurs dispositions qu'il est proposé de transcrire dans notre droit national. Certains articles concernent ainsi des actes législatifs européens adoptés il y a plus de trois ans, pour lesquels le Gouvernement procède à une adaptation tardive du cadre juridique national afin de faire face à l'imminence de leur entrée en vigueur. Voilà qui rappelle l'enjeu, pour la France, de mieux anticiper la transposition des directives européennes et l'ajustement de notre cadre juridique pour répondre à l'application directe des règlements européens. C'est d'ailleurs à l'aune de cet enjeu que le Gouvernement présente le projet de loi.
Enfin, il apparaît nécessaire d'être à jour de nos obligations en vue de la présidence française du Conseil de l'Union européenne au cours du premier semestre 2022.
Sans prendre pour argent comptant la communication du Gouvernement, il me semble effectivement indispensable que nous ne prenions pas la présidence du Conseil avec des retards de transposition. Certaines dispositions concernent par ailleurs des ajustements indispensables pour l'après-Brexit, qui devrait s'ouvrir dès le début de l'année prochaine. Cependant, ces objectifs auraient pu être poursuivis sans recourir à de multiples ordonnances. C'est pourquoi j'ai procédé, pour chaque demande d'habilitation, à une analyse des enjeux soulevés, à un contrôle de l'étendue du périmètre et de la durée proposée.
Pour mémoire, l'examen du projet de loi par la commission, initialement prévu le 24 mars, puis en séance publique le 8 avril, a été reporté en raison de la crise sanitaire. Ce décalage a rendu obsolètes certaines des dispositions, de sorte que je vous proposerai des amendements de coordination, pour tenir compte des mesures adoptées entre-temps.
La grille de lecture que je vous ai détaillée me conduit à vous proposer d'accepter quatre habilitations, d'en modifier une et d'en supprimer deux. Les habilitations figurant aux articles 12, 13, 14 et 21 ne me paraissent pas soulever de difficulté et peuvent être adoptées en l'état.
En revanche, l'article 15 pose problème : le Gouvernement précise le périmètre d'une habilitation qu'il avait demandé au Parlement d'autoriser à l'occasion de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte), pour transposer le paquet bancaire, avant même que les directives qui le composent n'aient été définitivement adoptées. Relevons que cette anticipation s'est surtout traduite par une précipitation : un an plus tard, le Gouvernement n'a pas fait usage de l'habilitation et n'est pas en mesure de proposer un dispositif « en dur ». Surtout, il ne tire pas toutes les conséquences du délai de transposition prévu, en maintenant un délai d'habilitation plus long. Je vous propose donc, par cohérence, d'aligner le délai d'habilitation sur le délai de transposition.
Ensuite, je vous propose de supprimer les habilitations des articles 23 et 24, pour deux raisons différentes.
L'article 23 concerne une habilitation générale en vue de prendre les mesures tirant les conséquences de la fin de la période de transition prévue par l'accord de retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, en cas d'absence d'accord sur les termes de leurs relations futures. Elle a été adoptée dans une version resserrée à douze mois dans la loi du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne. Les dispositions de l'article 23 étant devenues caduques, il convient de le supprimer.
L'article 24 concerne la gestion des crédits du FEADER et procède à deux modifications. La première ne pose guère de difficulté, puisqu'elle prolonge jusqu'au terme des opérations budgétaires correspondant au cadre financier pluriannuel 2014-2020 l'attribution aux régions de la gestion du fonds prévue par la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM). Il s'agit en réalité de corriger une incohérence du dispositif initial qui limitait cette attribution à la fin de l'année 2020, alors que la période d'exécution s'étend jusqu'à la fin de l'année 2023. Rappelons que le logiciel Osiris a mis en grande difficulté les régions comme les agriculteurs.
La seconde modification apparaît plus problématique. Elle habilite le Gouvernement à déterminer par ordonnance la distribution des responsabilités de gestion du FEADER pour le cadre financier pluriannuel en cours de négociation. L'objectif, à peine voilé, est de redéfinir la répartition des rôles entre l'État et les régions et pourrait se traduire par une recentralisation. Ce n'est pas par ordonnance qu'une telle question doit être tranchée ! Toute évolution doit résulter d'une concertation préalable des acteurs et donner lieu à un débat au Parlement. Je vous propose donc de supprimer cette habilitation.
Enfin, je vous présenterai plusieurs amendements de coordination et d'amélioration rédactionnelle.