Intervention de Jean-Claude Requier

Réunion du 25 juin 2020 à 9h00
Nouvelle ère de la décentralisation — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Jean-Claude RequierJean-Claude Requier :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis le début des années 1980 et le vote des lois Defferre, la décentralisation est l’un des principaux mots d’ordre des politiques publiques – presque une incantation magique ! Les réformes se succèdent depuis que l’organisation décentralisée de la République a été consacrée à l’article 1er de la Constitution. L’activité du Parlement sur ce sujet est permanente et quasiment frénétique, chaque gouvernement souhaitant imposer sa marque et chaque ministre donner son nom à une loi. Après les lois RCT, Maptam et NOTRe, nous attendons le projet de loi 3D, pour décentralisation, différenciation et déconcentration.

Nos collègues du groupe socialiste et républicain proposent aujourd’hui de débattre de ce que pourrait être le prochain acte de la décentralisation. À vrai dire, il semble que c’est ce que nous faisons depuis bientôt quarante ans, sans parvenir, en dépit des effets d’annonce et des concertations, à la stabilité de notre organisation territoriale. Cela est même suggéré dans l’exposé des motifs de cette proposition de résolution, qui indique que, dans leur grande majorité, les maires ne sont pas « favorables à un nouveau bouleversement institutionnel entre collectivités locales ou en matière de compétences ».

Il est bien sûr indispensable de remédier à cette situation. En tant qu’interlocuteur privilégié des élus locaux, le Sénat doit être un catalyseur attentif. Pensons, par exemple, aux imbroglios en matière de compétence « eau et assainissement ».

L’appel à renforcer le plan de soutien aux collectivités dans le contexte sanitaire et économique actuel apparaît comme une priorité conjoncturelle indéniable, a fortiori alors que la période de confinement a éprouvé nombre de nos concitoyens.

Le « plan de rebond territorial », qui se concentrerait sur la santé ainsi que sur la couverture et l’accessibilité numérique, semble également primordial – c’est même une évidence dans la situation que nous connaissons. Les territoires, en particulier ruraux, souffrent d’inégalités profondes qui les empêchent de profiter des facilités offertes par le numérique. Celles-ci sont pourtant nécessaires pour leur développement économique et leur attractivité.

Vous le savez, mon groupe y attache une très grande importance, lui qui est à l’origine de la création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires précisément pour combattre les ruptures d’égalité dans l’accès aux services publics et aux infrastructures, même si cette ANCT est sortie édulcorée des débats du Parlement.

Dans la même logique, l’égalité entre les territoires doit également passer par la lutte contre l’illectronisme – une question chère à Raymond Vall et à mon groupe qui gagnerait à être déclarée grande cause nationale, comme nous le soutenons.

Cela étant dit, cette proposition de résolution comprend quelques aspects qui nous semblent plus problématiques.

Nous restons très sceptiques – pour ne pas dire opposés – à l’introduction d’une clause constitutionnelle attributive de compétences à l’État. Cela nous semble même antinomique avec la stabilité institutionnelle réclamée par les élus, puisqu’il faudrait une nouvelle fois réorganiser toute l’architecture institutionnelle de nos collectivités. Souvenons-nous également des débats interminables entre 2010 et 2015 sur la clause de compétence générale. Pourquoi vouloir rouvrir ces débats ?

L’égalité devant la loi est bien sûr l’une des pierres angulaires de la République. L’organisation décentralisée de la République ne peut et ne doit pas nuire à ses caractères indivisible, démocratique et social, qui reposent largement dessus. Une telle innovation constitutionnelle, conjuguée au renforcement du pouvoir réglementaire local, entraînerait des conséquences qui nous dirigeraient vers un modèle quasi fédéral, dont je ne suis pas certain qu’il corresponde aux aspirations de nos concitoyens. La France est un pays riche de sa diversité et splendide par son unité, une condition décisive de son existence, selon l’historien Fernand Braudel.

Par ailleurs, en ces temps de crise où tous – collectivités, agents économiques, acteurs associatifs ou simples citoyens – demandent davantage de l’État, il serait paradoxal d’ouvrir cette brèche. Il conviendrait plutôt de se concentrer sur l’amélioration de l’efficacité de l’État.

Les inégalités entre collectivités proviennent aussi de la disparité des tissus économiques, que nourrit le manque d’équipement ou d’infrastructures. Sur ce point, rien ne serait pire que de libéraliser l’autonomie fiscale, au risque de créer une véritable concurrence entre collectivités et de favoriser celles qui sont déjà bien pourvues en valeur ajoutée. Il convient d’abord d’améliorer la solidarité financière et la péréquation indispensable à l’unité de notre nation, unité qui serait fragilisée par la compétence de principe des collectivités territoriales hors matières régaliennes.

Cela étant dit, nous sommes aussi surpris qu’heureux de constater que l’échelon départemental, celui de la proximité, retrouve grâce aux yeux des auteurs du texte. Chacun se souvient ici que telle n’était pas leur position lors des débats sur la loi Maptam et la loi NOTRe, car la métropole était vue comme un nouvel eldorado.

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