Intervention de Didier Marie

Réunion du 25 juin 2020 à 9h00
Nouvelle ère de la décentralisation — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Didier MarieDidier Marie :

Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, si d'aventure certains de nos concitoyens avaient encore besoin d'être convaincus de l'efficacité des élus locaux et des collectivités territoriales pour leur assurer un service de qualité en vue de répondre à leurs besoins, je crois que la crise sanitaire aura achevé de le faire.

Le travail des élus de terrain a été unanimement salué : ils ont réagi dans l'urgence, fourni ou fabriqué des masques, organisé le confinement puis le déconfinement, accueilli les enfants à l'école, maintenu un bon fonctionnement des services publics locaux, alors que les directives de l'État se faisaient attendre, quand elles ne les obligeaient pas à composer avec des injonctions contradictoires.

L'urgence sanitaire a rappelé que les collectivités savaient faire preuve d'une remarquable agilité pour administrer leurs territoires, malgré les contraintes financières qui leur ont été imposées. À cet égard, notre proposition de résolution appelle le Gouvernement à compenser les pertes de recettes et les dépenses spécifiques des collectivités liées à l'épidémie de Covid-19.

Nous demandons, dans le même temps, que le Gouvernement mette en œuvre, dans les meilleurs délais et avec toute la souplesse nécessaire, le plan de soutien permettant à ces mêmes collectivités de relancer leurs investissements et de contribuer ainsi au soutien du tissu économique local.

Plus globalement, nous souhaitons remettre à plat la relation financière entre l'État et les collectivités. Nous demandons en premier lieu l'abandon des contrats de Cahors, carcans budgétaires léonins qui, aujourd'hui plus que jamais, sont en contradiction avec les besoins de solidarité et de relance économique.

Nous proposons ensuite, comme le demandent les associations d'élus, l'instauration d'une loi de financement des collectivités territoriales, en cohérence avec le projet de loi de finances, qui fixerait les dispositions financières, budgétaires et fiscales les affectant. Cette loi permettra de mettre fin aux incertitudes des collectivités, de leur donner de la visibilité sur les moyens mis à leur disposition. Cette loi de financement pour les collectivités serait un gage de clarification et de transparence permettant d'identifier toutes les composantes des ressources disséminées dans les différentes missions de la loi de finances, et pas seulement celles qui figurent dans la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».

De plus, une modernisation des nomenclatures budgétaires serait intégrée à ce cadre financier, afin de ne plus simplement distinguer les dépenses de fonctionnement des dépenses d'investissement, et de mettre en lumière le niveau de dépenses contraintes des collectivités.

La dépendance financière des collectivités aux décisions de l'État s'est considérablement accrue ces dernières années. La suppression de la taxe d'habitation, ainsi que son mode de compensation, non seulement accentueront la dégradation de leur autonomie, mais impacteront aussi la dynamique de leurs ressources et auront des conséquences incontrôlées sur leurs multiples dotations.

Dans ce contexte, la perspective d'une remise en cause des impôts de production ne peut être acceptable. Nous demandons donc la suspension de cette réforme fiscale pour redonner aux collectivités les marges de manœuvre dont elles ont impérativement besoin dans cette période ; nous proposons de redéfinir le ratio d'autonomie financière en éliminant de celui-ci les fractions du produit d'impôt national transférées, et d'instaurer un ratio d'autonomie fiscale.

Par ailleurs, l'État doit assumer une compensation intégrale et évolutive des transferts de charge. De même, l'impact financier des dispositions normatives qui s'imposent aux collectivités locales doit être mesuré et compensé. Aujourd'hui, les ressources et les charges des collectivités sont totalement décorrélées et les principes mêmes de la péréquation obsolètes.

Nous proposons d'engager enfin la révision des valeurs locatives, qui fossilisent les inégalités territoriales, et de réviser l'ensemble des dotations de l'État, au premier rang desquelles la DGF de manière, d'une part, à garantir un niveau de ressources minimum, notamment en stoppant la minoration des variables d'ajustement et, d'autre part, en renforçant leur rôle péréquateur en tenant compte des inégalités structurelles entre les territoires.

De ce point de vue, nous pensons qu'il serait judicieux de déterritorialiser la fiscalité économique en organisant un prélèvement et une redistribution à l'échelon d'au moins une zone d'emploi dans le but de neutraliser les concurrences entre territoires et de favoriser la coopération en ce qui concerne l'accessibilité des usagers aux services et aux équipements. Pour éviter les concurrences parfois exacerbées entre territoires, nous suggérons l'encadrement strict des appels à projets, si ce n'est à court terme leur disparition pure et simple.

Enfin, nous souhaitons que le futur cadre financier proposé aux collectivités prenne en compte l'absolue nécessité de la transition écologique et de la soutenabilité environnementale des politiques publiques. L'État ne pourra se passer des collectivités et de leurs connaissances du territoire pour agir face à l'urgence climatique. Les collectivités ne veulent plus être les réceptacles des politiques nationales établies sans concertation avec les élus locaux. C'est au niveau des territoires que se jouent les questions de mobilité, de maîtrise de l'énergie et de rénovation énergétique. Il faut que l'État fasse confiance aux acteurs de terrain et les accompagne.

Nous demandons à cet effet la création d'une dotation verte territoriale pour donner aux collectivités les moyens du changement que, bien souvent, elles ont déjà engagé, mais qu'elles ne peuvent poursuivre plus avant faute des marges de manœuvre nécessaires. Cette dotation pourrait être créée grâce à une réorientation des dotations existantes et à l'addition d'une fraction d'un impôt national existant. Elle serait susceptible d'être abondée partiellement par des placements citoyens de type « livret d'épargne pour la transition locale ».

De manière globale, tous les défis d'avenir de notre pays, qu'il s'agisse de la transition énergétique et écologique, de la recherche d'un nouveau modèle agricole, de la réindustrialisation du pays, de l'approfondissement de la démocratie et d'une plus grande association des citoyens à la délibération collective, supposent un puissant mouvement de décentralisation.

C'est la raison qui nous conduit à proposer un changement de paradigme qui verrait les compétences de l'État limitativement énoncées dans la Constitution, celles des collectivités locales devenant la règle pour tous les autres sujets.

Pour conclure, je reprendrai volontiers la formule de François Mitterrand, qui est plus que jamais d'actualité : si « la France a eu besoin d'un pouvoir fort et centralisé pour se faire, elle a besoin d'un pouvoir décentralisé pour ne pas se défaire ».

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