Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie M. Kerrouche, ainsi que le groupe socialiste, pour cette proposition de résolution, qui nous donne l'occasion de débattre d'un sujet pour lequel vous connaissez, bien sûr, mon engagement.
Ce texte montre à quel point la décentralisation est devenue la forme naturelle de l'organisation de notre République, principe d'ailleurs gravé dans le marbre de la Constitution. Elle le doit à ses nombreux pères fondateurs, que ce soit des membres de votre famille politique, monsieur Kerrouche – vous avez rappelé le rôle important que le parti socialiste a joué –, ou d'autres serviteurs de l'État au-delà des frontières partisanes.
La décentralisation est aussi par essence un processus. À ce titre, elle suscite régulièrement réflexions et propositions, plus encore aujourd'hui, après une crise sanitaire que vous avez tous mentionnée et qui a mis à l'épreuve notre organisation territoriale. Aussi, vos propositions ne manqueront pas de venir nourrir les réflexions en cours.
Alors même que les conséquences de la crise sanitaire demeurent perceptibles – ne l'oublions pas –, j'ai la conviction que nous devons rester à l'écoute des événements.
À cet égard, il faut faire preuve de prudence – peut-être aussi de modestie, monsieur Durain – lorsque l'on évoque les supposées réussites des uns ou les échecs des autres, car ils ont tous eu la volonté de servir au mieux leurs concitoyens. Cela me gêne beaucoup d'entendre les uns et les autres saluer la réussite des collectivités territoriales en expliquant qu'elle a souvent pour corollaire l'échec de l'État.
Moi, je crois que, dans un sens comme dans l'autre, chacun fait son travail et agit avec les responsabilités qui sont les siennes. Je pense aussi que, au moment où l'on en parle, on devrait saluer la réussite de l'État dans la lutte contre l'épidémie. Je pense bien sûr à tous les personnels qui, dans les hôpitaux, ont fait un travail absolument remarquable. Globalement, le système sanitaire français a tenu. Je rappelle d'ailleurs que l'État est le garant de la sécurité sanitaire et de la « sécurité sociale » dans notre pays, et ce n'est pas rien.
Nous devons donc rester à l'écoute des événements, mais garder également à l'esprit que la décentralisation est un sujet finalement assez complexe. Méfions-nous dès lors des réactions hâtives, ayons le courage d'assumer que, parfois, le besoin de stabilité et de pérennité l'emporte sur l'envie de transformer, si légitime soit-elle.
C'était du reste, comme le sénateur Kerrouche le mentionnait dans son propos introductif, une demande unanime des élus locaux en 2017 au début du dernier mandat municipal. Je me souviens très bien que les élus me disaient à l'époque qu'il y avait eu suffisamment de réformes, qu'il ne fallait pas en rajouter, afin qu'ils puissent les digérer.
Cependant, des voix se sont élevées ici et au sein des associations d'élus pour demander un approfondissement de la décentralisation. Or la stabilité n'empêche pas la mobilité, comme vous l'avez très bien dit, monsieur le sénateur Savoldelli. C'est ainsi que nous devons poursuivre le chemin que nous avons patiemment tracé, celui d'une reprise du dialogue entre l'État et les collectivités territoriales.
Vous le savez, j'ai lancé en janvier dernier une série de consultations régionales pour échanger avec les acteurs locaux de tous horizons sur leurs attentes en matière de décentralisation. Nous avons continué à discuter et à échanger sur ces sujets, y compris tout au long de la crise – mais évidemment par écran interposé – dans un climat, je dois le dire, de grande confiance.
Enfin, j'ajouterai peut-être qu'une longue vie d'élue locale m'a donné le temps de méditer quelque peu sur ces orientations : j'ai acquis la ferme conviction – c'est la raison pour laquelle j'ai préparé le projet de loi 3D – que la prochaine étape de la décentralisation n'était pas forcément ou ne devait pas forcément être la copie conforme de ce que l'on avait connu par le passé, que l'on vivait dans le moment présent et qu'il fallait regarder les choses telles qu'elles sont.
C'est pourquoi j'ai ajouté au mot « décentralisation » les mots « déconcentration » et « différenciation ». C'est quelque chose que je sentais profondément dans le pays. Nous avons pensé que la décentralisation résidait aussi dans les principes d'expérimentation et de différenciation.
Aussi, mardi dernier, le Gouvernement a transmis au Conseil d'État un projet de loi organique relatif aux expérimentations territoriales. La différenciation territoriale, dont les premiers jalons seront posés dans ce texte, est bien le nouveau visage de la décentralisation. Elle mettra fin à une conclusion binaire, dont j'ai entendu parler tout à l'heure, chère Françoise Gatel, c'est-à-dire à la généralisation ou à l'abandon des projets au terme des expérimentations, de manière à pouvoir les pérenniser sur certains territoires.
Dans un pays construit depuis plus de deux siècles sur l'uniformisation, c'est bien sûr une révolution même si, je le dis pour rassurer ceux qui s'inquiètent de l'expérimentation ou de la différenciation, il existe déjà un certain nombre d'exemples en la matière dans le droit actuel et dans ce qu'un certain nombre de majorités ont réalisé.
En votant la loi Montagne en 2016, par exemple, qu'a-t-on fait sinon reconnaître qu'il existe des territoires spécifiques et qu'il faut donc apporter des réponses spécifiques ? Ne nous mettons pas martel en tête quand on parle d'expérimentation et de différenciation, car on les pratique déjà. Cela étant, le projet de loi organique facilitera l'expérimentation et, donc, la différenciation.
Le grand historien Fernand Braudel écrivait, non sans admiration d'ailleurs, que « la France se nomme diversité ». C'est cette diversité que nos politiques publiques doivent désormais mieux prendre en compte pour s'y adapter. Il faut affirmer que des réponses différentes peuvent être apportées en fonction de la singularité des situations. C'est ce que j'appelle le « cousu main ».
C'est d'ailleurs ce que nous avons fait, madame la présidente, en créant la Collectivité européenne d'Alsace, qui peut désormais exercer des compétences spécifiques et particulières, notamment sur des sujets qui la concernent au premier chef : je pense, par exemple, à l'expérimentation transfrontalière. Je ne vais pas plus loin de peur de susciter des débats chez les Alsaciens…