Intervention de Laurent Pietraszewski

Réunion du 25 juin 2020 à 9h00
Création d'un fonds d'indemnisation des victimes du covid-19 — Rejet d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargé des retraites et auprès de la ministre du travail, chargé de la protection de la santé des salariés contre l'épidémie de covid-19 :

Madame la présidente, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, la crise sanitaire que nous venons de vivre est, à bien des égards, inédite : inédite par sa fulgurance et sa diffusion – jamais un virus n'avait circulé aussi vite sur l'ensemble de la planète –, inédite par sa mortalité auprès des plus fragiles d'entre nous, inédite, enfin, par la mobilisation que nous lui avons opposée.

L'ensemble de nos forces sanitaires se sont mobilisées, en première ligne face au virus, sans faillir. Le pays a ainsi continué à vivre grâce à ces travailleurs de « deuxième ligne », pour citer le Président de la République : agriculteurs, éboueurs, enseignants, chauffeurs routiers, manutentionnaires, hôtes et hôtesses de caisse, travailleurs sociaux, sans oublier – et cette liste n'est pas exhaustive – les maires et les élus locaux, que votre chambre, mesdames, messieurs les sénateurs, représente si bien.

Vous avez raison, madame la sénatrice Jasmin, les conditions que l'épidémie nous a imposées pour les funérailles des victimes du Covid-19 ont été douloureuses pour les proches et pour les familles.

L'ensemble des Françaises et des Français se sont mobilisés face à cette épidémie. La crise sanitaire n'est d'ailleurs pas achevée, et les actualités internationales nous montrent qu'il nous faut rester vigilants partout, y compris sur notre territoire.

Pourtant, à la crise sanitaire s'ajoute maintenant le risque d'une crise socioéconomique.

Nos concitoyens ont fait face, il est donc normal qu'ils demandent de la protection face à cette crise. Dans l'urgence, le Gouvernement y a répondu : activité partielle généralisée, primes au personnel soignant, plan de soutien aux secteurs sinistrés, allocation exceptionnelle pour les plus fragiles.

Nous sommes aujourd'hui dans une seconde phase, avec le Ségur pour le monde de la santé, mais aussi le soutien aux salariés et aux entreprises et la préparation du plan de relance de l'activité.

Cette proposition de loi déposée par Mme la sénatrice Victoire Jasmin et ses collègues du groupe socialiste et républicain vise à indemniser les personnes qui ont été touchées par le Covid-19 dans le cadre de leur activité professionnelle. Elle prévoit une indemnisation intégrale de toutes les personnes atteintes du Covid-19 ayant été en contact avec des personnes contaminées ou des objets susceptibles de l'être dans le cadre de leur activité professionnelle ou bénévole, ainsi que leurs ayants droit.

Le Gouvernement, madame la sénatrice, partage votre attention sur ce sujet sensible, éminemment complexe. Je connais la difficulté des personnes atteintes du Covid dans le cadre de leur activité professionnelle, ainsi que celle de leurs proches.

Selon cette proposition de loi, il reviendrait au demandeur de justifier de sa contamination dans un cadre professionnel. Une commission médicale indépendante constituée au sein du fonds se prononcerait sur le lien entre la contamination et la pathologie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la prise en charge des travailleurs atteints du Covid-19 dans le cadre professionnel est indispensable. C'est une préoccupation majeure du Gouvernement.

Tout d'abord, nous souhaitons apporter une attention particulière aux soignants – cela a été dit par Mme la rapporteure et par Mme la sénatrice Jasmin.

Le 23 mars dernier, le ministre des solidarités de la santé, Olivier Véran, s'y est engagé : « Aux soignants qui tombent malades, je dis que le coronavirus sera systématiquement et automatiquement reconnu comme une maladie professionnelle. »

Nous avons un devoir : faire en sorte que les soignants ayant contracté le Covid-19 après avoir soigné des patients atteints puissent obtenir une reconnaissance de maladie professionnelle et une indemnisation en cas de séquelles et de décès.

S'agissant de ces travailleurs de première ligne, c'est la moindre des choses. Pour les autres travailleurs contaminés dans le cadre de leur activité professionnelle, nous voulons une indemnisation facilitée. C'est un objectif que je partage avec vous.

Madame la rapporteure, je ne partage cependant pas l'idée de créer un fonds d'indemnisation dédié, ce qui est le cœur de cette proposition de loi. Nous parlons de risques professionnels, nous parlons de travailleurs : notre sécurité sociale dispose d'une branche dédiée à ces questions, la branche accidents du travail et maladies professionnelles, dites AT-MP, que vous avez vous-même évoquée dans votre propos.

Cette branche est la plus ancienne de notre système de protection sociale. Elle est gérée par les partenaires sociaux, et c'est d'ailleurs un pilier de notre démocratie sociale.

Enfin, cette branche fonctionne bien. Elle est tout à fait apte à cette mission.

À l'inverse, je le crois, créer un fonds serait un dispositif lourd et complexe. Il faudrait prévoir une expertise individuelle sur chaque dossier, ce qui serait aussi une source de nombreux contentieux.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne crois pas que cela soit l'intérêt des victimes.

Ce que le Gouvernement propose, c'est de mettre en place un système de reconnaissance simplifié et rapide. Il se traduira par des décrets qui seront présentés très prochainement aux partenaires sociaux, comme le prévoient les textes en vigueur.

Nous allons donc créer un tableau de maladies professionnelles dédié. Il permettra à tous les soignants atteints d'une forme sévère de Covid-19 de bénéficier d'une reconnaissance en maladie professionnelle.

Comme cela m'a été demandé tout à l'heure, je veux préciser quelques éléments.

Ce tableau concernera tous les soignants des établissements sanitaires et médico-sociaux, tous les personnels non soignants travaillant en présentiel dans ces structures, toutes les personnes assurant le transport et l'accompagnement des personnes atteintes du Covid-19.

Les professionnels de santé libéraux bénéficieront de cette reconnaissance dans les mêmes conditions que les autres soignants.

Pour les travailleurs non soignants – je crois que c'est notre objectif commun –, la procédure sera facilitée. En lieu et place des comités régionaux, un comité national dédié au Covid-19 sera constitué ; il assurera un traitement homogène et rapide des demandes.

La reconnaissance des maladies professionnelles est importante, vous le savez. Elle permet une prise en charge des frais de soins à hauteur de 100 % des tarifs d'assurance maladie, une prise en charge plus favorable des indemnités journalières et une indemnité en rente ou en capital en cas d'incapacité permanente.

Une rente est versée aux ayants droit en cas de décès, s'élevant à 40 % du salaire de la victime pour l'époux survivant et à 25 % pour chaque enfant à charge, jusqu'à leurs 20 ans.

C'est une indemnisation importante pour les victimes, dans un cadre simplifié et efficace, avec une prise en charge adaptée à l'origine professionnelle de la maladie.

Avec ces mesures, le Gouvernement entend atteindre l'objectif de votre proposition de loi.

Je veux maintenant aussi parler de financement.

Le Gouvernement ne souhaite pas faire porter la charge de l'indemnisation sur les employeurs directement concernés. Ce serait un non-sens pour ces entreprises qui se sont mobilisées pendant la crise. Nous souhaitons donc mettre en place un dispositif de mutualisation, puisque la cotisation AT-MP comprend une part mutualisée entre tous les employeurs. C'est bien une question de solidarité nationale et, là aussi, je crois que nous pouvons nous retrouver.

Cette part sera prise en charge par l'État pour les professionnels de santé libéraux qui ne bénéficient pas d'une couverture AT-MP.

Madame la rapporteure, je souhaiterais enfin souligner les risques de précédent que constituerait la création d'un fonds dédié. J'ai entendu dans votre propos liminaire que vous n'aviez pas souhaité les éluder, ce dont je vous remercie.

Une indemnisation en dehors de la logique de la branche AT-MP ouvrirait le sujet sur l'ensemble des maladies professionnelles. Cela mettrait en danger les fondements de la branche, qui permet une reconnaissance rapide et facilitée aux travailleurs en contrepartie d'une indemnisation déterminée.

Comment justifier qu'une personne ayant contracté le Covid dans un cadre professionnel soit mieux indemnisée qu'une autre atteinte d'un cancer professionnel ? La différence de traitement ne se justifierait pas, et ce sont donc les principes de la branche AT-MP qui seraient ébranlés.

Rappelons que cette branche fait l'objet d'un consensus social de très longue date. Elle permet une indemnisation rapide de plus de 650 000 accidents du travail et de 50 000 maladies professionnelles par an.

Madame la rapporteure, vous l'aurez compris, je partage pleinement votre objectif, comme, je le crois, l'ensemble de vos collègues sénateurs et sénatrices.

Les Françaises et les Français qui ont permis au pays de tenir méritent notre reconnaissance. Pour celles et ceux qui ont été victimes du Covid-19, nous devons être au rendez-vous.

Vous l'aurez compris aussi, le Gouvernement est attaché à la sécurité sociale et à la branche AT-MP, qui permettent d'indemniser les travailleurs touchés dans le cadre de leur activité. C'est pour cela qu'il propose d'agir par décret, rapidement, et dans le respect de la démocratie sociale. Il s'agit d'un choix de cohérence : nous le devons à tous ces travailleurs et à leurs familles.

Vous pouvez compter, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, sur mon engagement et celui du Gouvernement pour mettre en place cette indemnisation dans les meilleurs délais.

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