Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons ce matin une proposition de loi socialiste qui vise à réparer une profonde injustice.
Nous souhaitons voir reconnaître et indemniser un préjudice, celui d'avoir été contaminé par le virus de la Covid en ayant permis à notre pays de vivre, lorsque la plupart d'entre nous se confinaient.
Cette proposition de loi s'inscrit dans une continuité : le soutien aux victimes est défendu de longue date par les socialistes et par la gauche en général.
Dernièrement, les travaux que le député de la Martinique Serge Letchimy a dédiés à l'indemnisation des victimes du chlordécone ont fait écho aux propositions d'indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques soutenues ici depuis 2012 par notre collègue Nicole Bonnefoy.
Dans un autre domaine de risque, avec mon collègue Yannick Vaugrenard et bien d'autres, je soutiens régulièrement les démarches engagées par les associations de victimes de l'amiante pour une juste reconnaissance du préjudice subi.
Je pourrais également citer les travaux en vue d'une juste indemnisation des catastrophes naturelles menés par Nelly Tocqueville ou pour une meilleure reconnaissance des victimes des essais nucléaires en métropole ou en Polynésie française.
Cet historique nous rappelle que ces débats sont âpres et longs. Souvenons-nous de Martin Nadaud : c'est après dix-huit années de luttes parlementaires, menées entre 1880 et 1898, que ce député-ouvrier républicain socialiste obtint l'instauration, par la loi, d'une protection contre les accidents du travail. Il fut ainsi le précurseur de la branche AT-MP.
Ces débats sont longs, car le rapport de force qu'ils cherchent à rééquilibrer est souvent en défaveur des victimes. Si ces dernières sont nombreuses, leur indemnisation coûte cher et suscite des réserves et des précautions pour abonder les fonds. Si elles sont peu nombreuses et isolées, la tentation est forte de les ignorer et de les oublier.
Le 21 avril dernier, le Gouvernement a annoncé l'indemnisation des soignantes et des soignants contaminés dans l'exercice de leurs fonctions. Outre que ce dispositif tarde à démontrer son efficacité – j'y reviendrai –, il écarte une part non négligeable de la population concernée.
Les précédents orateurs l'ont dit : les professionnels de santé n'étaient pas seuls « mobilisés », « sur le front ». La société dans son ensemble s'est montrée solidaire et une myriade de professions a contribué à « l'effort de guerre », pour reprendre les termes du Président de la République.
À mon tour, j'en nomme quelques-unes : les hôtes et hôtesses de caisses de supermarchés et d'épiceries, à qui, par un sourire masqué, nous avons témoigné notre soutien ; les professionnels de la chaîne logistique, qui s'affairaient dans l'ombre ; les camionneurs et transporteurs, que leurs tournées exposaient à de multiples reprises ; les éboueurs, toujours au rendez-vous, même quand le moindre emballage devenait suspect ; les conductrices et les conducteurs de transports en commun, confinés dans leurs cabines ; les membres des forces de l'ordre et de sécurité, les agents pénitentiaires, exposés sur le terrain, qui ont observé un régime de quatorzaines pour éviter de contaminer leurs unités ; l'ensemble des personnels des Ehpad, chargés des soins, de l'accompagnement, de l'entretien, des services de restauration et d'hébergement ou des tâches administratives ; les aides à domicile, dont les associations étaient souvent les dernières à recevoir les masques et les protections distribués par les agences régionales de santé (ARS) ; les travailleuses sociales chargées d'accompagner les femmes victimes de violences conjugales ; les animateurs et les animatrices qui ont accueilli les enfants des personnels mobilisés, dans une ambiance éducative à l'opposé de leurs habitudes de travail, sans proximité ni activité collective, afin de protéger tout ce petit monde, tout en croisant, le soir venu, des pompiers, des infirmières potentiellement contaminés ; enfin, les employés funéraires, confrontés à l'anxiété d'être contaminés au contact des défunts et à la douleur, parfois à l'incompréhension, des familles devant se conformer aux mesures de précaution. Évidemment, cette liste n'est pas exhaustive.
Mes chers collègues, il a fallu toute une nation pour faire face à cette pandémie et contenir sa propagation. Les personnes contaminées ont éprouvé la souffrance de la maladie, la détresse respiratoire, l'intubation, qui peut laisser des séquelles, et bien des symptômes. Après de longues semaines d'épuisement, certaines d'entre elles ont guéri, d'autres sont décédées.
Ces personnes sont des victimes ; leurs proches et leurs ayants droit sont des victimes. Nous le reconnaissons pleinement et nous souhaitons les indemniser, parce qu'il serait injuste d'appauvrir davantage encore ces malades, qui ne sont en rien responsables de la pandémie. Bien qu'étant en deuxième ligne, ils étaient souvent les premiers et les premières de corvée.
Tel est l'objet de cette proposition de loi, préparée par notre collègue Victoire Jasmin et construite avec l'appui du secteur associatif et des organisations syndicales. Saluons l'expertise de l'Andeva, de Coronavictimes et de la Fnath, le soutien de la CFDT, de Force ouvrière et de la Confédération générale des cadres (CGC). Leur regard acéré a permis d'éviter les écueils de la réglementation actuelle, liés au régime de la reconnaissance comme maladie professionnelle, l'établissement de la preuve incombant à la victime.
Depuis le dépôt du présent texte, ces discussions nous ont conduits à adapter le dispositif : nous examinerons donc des amendements socialistes visant à préciser le champ d'application du dispositif, la période couverte et le mode de financement du fonds d'indemnisation.
Nous souhaitons élargir le bénéfice de ce fonds à toutes celles et tous ceux, salariés ou bénévoles, qui ont assuré la continuité des activités essentielles. Ils furent légion à affronter le risque pour exercer leurs compétences, en tant que secouristes par exemple.
Nous ciblons les activités exercées au cours de la période de risque maximal : entre le 16 mars dernier et le 10 juillet prochain, c'est-à-dire entre le début du confinement strict et la fin de l'état d'urgence sanitaire. Au cours de cette période, nombre de nos concitoyens ont pu bénéficier d'autorisations spéciales d'absence, d'un régime d'activité partielle ou de travail à domicile ; pour les autres, l'exposition au risque fera l'objet d'une présomption irréfragable : c'est la seule manière d'inverser la charge de la preuve.
Enfin, nous prévoyons que les connaissances scientifiques viennent compléter, par décret, l'appréciation de cette exposition et de ses conséquences devant faire l'objet d'un dédommagement.
En ce qui concerne le « nerf de la guerre », à savoir le financement, point sur lequel achoppe souvent la mise en place d'un fonds d'indemnisation, nous proposerons par voie d'amendement de solliciter la solidarité nationale, à savoir l'État, d'une part, et la branche AT-MP, d'autre part, celle-ci étant excédentaire, comme l'a rappelé la Fnath.
Ces dispositions ont été préparées par la rapporteure, notre collègue Corinne Féret, dont je salue le travail. En commission des affaires sociales, les membres du groupe Les Républicains ont rejeté ces amendements, ce que nous regrettons. Je salue toutefois leur abstention constructive sur le texte, qui permet son examen en séance publique. Mes chers collègues, il n'est jamais trop tard pour bien faire…